Au Forum Social Mondial 2013 à Tunis, les femmes s’abreuvent de liberté

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Cette semaine, Flore Viénot de LaTéléLibre est partie suivre le Forum Social Mondial qui se tient cette année à Tunis. Elle nous fait parvenir sa première correspondance : un état des lieux de la liberté des Femmes en Tunisie depuis la chute de Ben-Ali.

Choisir Tunis pour débattre et construire « un autre monde possible » ne s’est pas fait par hasard… Quelle charge symbolique que de choisir le campus universitaire Tunis Al Manar pour le 12e Forum Social Mondial… Capitale des révolutions arabes, la société tunisienne s’était levée pour la démocratie et le changement, contre la dictature et l’oppression. Puis le rêve de liberté s’est estompé, balayé d’un revers de mains par les intégristes du parti Ennahda à qui on a donné le pouvoir. Et avec eux, envolé le vent de liberté ! Balayée la perspective d’une société changée ! Disparue la confiance dans un futur où règne l’égalité entre les citoyens, hommes et femmes… Les yeux rivés sur ce bout de Maghreb où –dit on– tout a commencé, les citoyens du monde chavirent, entre espoir et angoisse. L’angoisse de voir la société tunisienne libérée d’une dictature qui ne disait pas son nom, tomber sous le joug du fondamentalisme. Les femmes, premières victimes.

Le Forum Social Mondial ne pouvait se tenir que là car, si l’inquiétude est de mise, elle est une étape certainement nécessaire, moteur du processus révolutionnaire en cours.

La lutte pour la liberté et l’égalité continue, et la transition démocratique se poursuit ; des revendications nouvelles font surface chaque jour, chaque jour le débat s’alimente et égraine son désir profond de changement, ici au coin de la rue, là, dans les maisons… et prend racine dans l’esprit de chacun. La stérilité du débat identitaire qui n’attend d’autre réponse que celle de savoir qui est le plus tunisien de tous, le religieux ou le laïque, étouffe la merveille de la diversité des revendications sociales et des débats d’idées, dont celui sur la laïcité n’est qu’une partie de ce foisonnement. Les femmes, sources intarissables de cette créativité en acte.

Si l’intégrisme et la religion ne doivent pas occulter la diversité du débat, il est bien présent et se doit d’être pris en compte.

A l’ONU, la question sur les violences faites aux femmes a provoqué de violentes oppositions du Vatican et de plusieurs pays musulmans : certains réclamaient que les recommandations de l’ONU au sujet de la contraception, de l’avortement et des violences domestiques ne s’appliquent pas si les lois, les coutumes ou les traditions religieuses d’un pays s’y opposaient. En Tunisie, des manifestations de féministes ont été réprimées par les mouvements religieux ; en aout 2012, dans la proposition du parti islamiste (finalement rejetée en septembre), la femme passait d’ « égale » à « complémentaire de l’homme » ; et les agressions régulières envers les femmes ne sont pas de simples faits divers mais s’érigent en véritables actes politiques.

Mais l’islamisme fondamentaliste auquel se confrontent les femmes tunisiennes aujourd’hui n’est pas venu de nulle part. Très présent dans les discours et la pratique politique depuis peu, il n’avait en fait jamais disparu et n’attendait que la Révolution pour éclore librement. Et si les mouvements de libération de la femme viennent de loin, ils ne se sont jamais libérés du carcan religieux. Le féminisme porté par Tahar Haddad dans les années 1930 n’était qu’une tentative de moderniser l’islam. Puis plus tard, en 1957, le Code du Statut personnel, bien qu’apportant des avancées considérables pour les femmes, a en fait été pensé et écrit par des théologiens et reste ainsi imprégné par la religion sans remettre fondamentalement en question la position de la femme dans la société tunisienne. En réalité, la Révolution, profondément mixte, n’a fait que lever le couvercle sur la menace, latente… Les femmes ont été bercées par un rêve, celui de l’égalité, vraie et entière. Mais voilà que sur les 230 sièges à l’Assemblée, on ne trouve que 40 femmes dont 9 seulement sont progressistes. Et dans le nouveau gouvernement annoncé le 8 mars : une seule femme ministre –et chargée des affaires de la femme… La Révolution ne fait donc que commencer et porte l’espoir d’un véritable changement de société. Les femmes, en première ligne de front.

Le combat des femmes n’est pas coupé du contexte global, il est même la condition pour un véritable changement démocratique.

Otage d’une bipolarisation de la vie politique tunisienne, la lutte féministe est enfermée dans l’obligation de choisir entre deux partis –l’un religieux, l’autre conservateur– et s’insérer dans le débat stérile, s’insérer, jusqu’à s’y fondre, et disparaître ; elle est instrumentalisée par cette vie politique qui sépare et qui étouffe la vision du monde que le mouvement des femmes propose. Ce n’est pas la violence d’un seul parti mais d’une volonté globale de présenter le droit des femmes comme isolé du contexte global, comme un problème secondaire appartenant seulement aux petites bourgeoises de Tunis, à mille lieues des vraies préoccupations du peuple. Les femmes, exclues de la réflexion globale productrice de changement sociétal.

Pourtant, si le féminisme abrite en son nom même l’enfantement, c’est de l’enfantement des mondes possibles dont il est porteur. Et les tunisiennes construisent ce monde en devenir en brisant les carcans de la réflexion stérile et du faux débat. Ce monde où l’expression est libre et l’égalité entre les citoyen/nes de mise. Jour après jour les femmes militantes posent les fondations d’un changement véritable que les mouvements révolutionnaires leur ont permis de penser ; les fondations de la Révolution qu’elles façonnent ; de ce bouleversement sociétal dont elles sont les créatrices en action. En ce sens, l’écriture de la constitution est l’étape immanquable pour ces femmes de voir se concrétiser leur vision du futur tunisien. « Le débat actuel, c’est celui de la constitution » explique une des fondatrices de l’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates). « Il faut maintenant que la réflexion des mouvements des femmes tunisiennes se concrétise, on n’a pas le droit de dire “non, nous ne sommes pas prêt !“, un peu de courage : il est temps! ».

Parmi les débats portés par les femmes : la laïcité. Dans une nouvelle Tunisie, libre, démocratique et égalitaire, que doit on en faire ?

Une vraie réflexion sur ce terme et ce qu’il signifie est nécessaire afin de ne pas cristalliser le mouvement autour d’un débat identitaire. Dans les esprits, la laïcité est incroyance et répression de la foi et son image n’est pas belle : tout comme le mouvement féministe, elle est rattachée à l’Occident et à la bourgeoisie, et, tout comme le mouvement féministe, elle a été utilisée comme vitrine diplomatique sous Ben Ali et Liliane Trabelsi. Ainsi, le mouvement islamiste se sert de ce terreau et porte élégamment l’habit des modernistes, de la libre expression et de l’égalité… Pourtant « il n’y a pas de démocratie sans laïcité » disent la plupart des mouvements féministes. Dans l’Assemblée constituante, un homme va dans ce sens. Pour Fadhel Ben Moussa et le parti qu’il représente (le Bloc Démocratique, opposé à Ennhada), la laïcité est le fondement de la liberté de conscience. Il exige ainsi en permanence l’abrogation des lois tunisiennes inspirées de la religion. « La laïcité a mauvaise presse en Tunisie » raconte Chiraz Bitrou, une militante féministe. « Appelons-la sécularisation, ou séparation de l’Etat et de la Religion ou… quel que soit le nom qu’elle porte, elle est une valeur universelle indispensable à la construction d’un futur véritablement libre et démocratique ! ».

Et ce futur ne se fera pas sans le monde mais au contraire en lien étroit avec les luttes des quatre coins du globe. Le Forum Social Mondial lance le défi de cette construction en réseaux. Pour cela, plus de 4500 associations et ONG de 127 pays des cinq continents organisent des milliers d’ateliers, de conférences et de débats auxquels participent 30 000 visiteurs. Les grandes thématiques pour bâtir des alternatives y sont débattues : démocratie, gouvernance, écologie, logement, consommation, développement, économie, éducation, relations nord/sud… Quatre jours pour que se concrétise, par les liens tissés au niveau international, l’ « autre monde possible » dont chaque Forum social mondial apporte une pierre supplémentaire depuis 2001. Les femmes, piliers de ces alternatives. Dès le 26 mars, le Forum s’est ouvert sur la grande marche d’ouverture, et sur l’Assemblée des femmes. Les femmes, en marche pour construire cet autre monde possible…

Flore Vienot, à Tunis.

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Les commentaires (2)

  1. salut …
    dans le cadre d’ archiver le forum social mondial en Tunisie:
    je suis intéressé d’ avoir votre reportage qui vous avez filmé à propos de ce forum .et si possible des photos, ainsi les photos sur votre page de Facebook.
    et merci.