Pour Soutenir le PIB, Allez aux Putes !

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Comment augmenter son PIB de 1% sans rigueur économique supplémentaire, sans remettre en cause quelconque politique financière, sans sortir de l’euro, sans modifier nul traitement salarial, sans peser sur la dette publique, etc. ? Autant résoudre la quadrature du cercle ? Non, cette solution est en passe d’être mise en place dès octobre 2014.

Depuis 2012, le système européen de comptabilité nationale demande à ses membres, les 27 pays de l’Union Européenne (à cette époque), de commencer à prendre en compte dans leurs statistiques les activités souterraines. Un nouveau jeu d’écriture  qui deviendra obligatoire en 2016. Mais l’Institut National de la Statistique (agence de statistiques espagnole) a décidé de commencer dès l’exercice 2014.

Intégrer la prostitution, la production et la consommation de drogue dans le produit intérieur brut (PIB) peut prêter à sourire, mais l’objectif serait de refléter correctement le niveau d’activité économique, qu’elle soit illégale ou non. Cette décision a été motivée par le désir de mieux saisir la valeur réelle des économies des États membres, et de pouvoir établir des comparaisons plus justes entre eux.

Une tentative avortée

La Grèce elle-même avait déjà tenté d’améliorer la présentation de ses comptes au moyen d’un artifice comparable. En 2006, elle a tenté de réviser ses statistiques en incluant la prostitution, le blanchiment d’argent et d’autres activités illégales, ce qui avait abouti à augmenter brutalement le PIB de 25%. A l’époque, Bruxelles avait rejeté cette méthode.

Eurostat avait tout autant tiqué et le PIB grec n’avait au final été revu à la hausse que de 9,6 %.

Cependant, en 1995, la législation européenne avait été modifiée pour inclure la comptabilisation de la prostitution et du trafic de drogue à partir de 1998, mais cette loi n’a jamais été appliquée.

L’Espagne comme test grandeur nature

L’économie espagnole sera officiellement plus grosse de 20 milliards d’euros cet automne. Cette augmentation ne sera la conséquence d’aucune reprise économique ni de réformes imposées par la troïka (UE, FMI et Banque mondiale). Son origine résidera dans une nouvelle méthodologie statistique s’appliquant à la mesure du PIB, qui comportera deux changements singuliers à partir du mois d’octobre 2014.

Parmi ceux-ci, l’incorporation de l’économie illégale à l’activité économique. L’Institut National de la Statistique (INE) va commencer à évaluer combien d’argent génèrent les transactions économiques comme la prostitution, le trafic de drogue ou la contrebande. Des experts assurent que le résultat approchera les 1% du PIB. L’économie espagnole étant de 1 000 milliards d’euros environ, l’économie illégale génèrerait donc 10 milliards d’euros (à titre de comparaison, l’incidence de cette mesure pour la Grande-Bretagne serait de environ 12 milliards d’euros, pour un PIB qui se monte actuellement à environ 1 920 milliards d’euros).

Depuis des années, le système européen de comptabilité nationale demande à ses membres, les 28 pays de l’Union Européenne, de commencer à prendre en compte dans leurs statistiques ces opérations hors norme.

Cette recommandation deviendra obligatoire en 2016 mais l’INE a décidé de la rendre active dès l’exercice 2014. La raison en est que d’autres changements statistiques entrent en vigueur comme la comptabilisation de la Recherche et Développement (R&D) ou la production d’armement. Dès lors, les dépenses en R&D seront comptabilisées non plus comme consommation intermédiaire mais investissement.

Les responsables de la statistique espagnole préfèrent modifier en une seule fois la méthodologie. Ils profiteront donc du changement obligatoire de cet automne pour introduire la mesure de l’économie illégale. Il se trouve que Bruxelles a également estimé que ce changement de mesure des dépenses d’investissement entrainera une augmentation du PIB de 1 à 2%.

La taille de l’économie sera donc plus grande (élargissant la base de calcul du PIB). Avec cette nouvelle base, toutes les données seront recalculées y compris pour les années passées. Ainsi, les taux de croissance ne varieront qu’à la marge. Cela signifie que les données qui mesurent la croissance ou la chute de l’activité économique seront à peine altérées.

Regagner des points sur l’Allemagne

Une donnée sera néanmoins bel et bien impactée : le niveau d’endettement. En ayant une base élargie, le ratio dette publique / PIB va subséquemment diminuer.

Mettre un chiffre en face des activités illégales n’implique pas une quelconque création d’activité. On quantifie simplement une activité déclarée mais qui n’était pas comptabilisée de manière officielle. Un point pris par la France sur l’Allemagne puisque la prostitution et ses fameuses maisons closes sont autorisées de l’autre côté du Rhin (« travailleur indépendant ou salarié en établissement spécialisé ») et étaient donc déjà prises en compte dans leur PIB. Un gain de comparaison pas très signifiant pour la France dans le match contre l’Allemagne, mais toujours bon à prendre !

Sauf que dans le même temps, le gouvernement français se tire une balle dans l’orteil gauche en pénalisant les clients des prostituées (https://latelelibre.fr/2013/12/25/hollandie-lennemi-cest-la-fine-hanche/). Ça fait un peu boiter sur le trottoir…

Globalement, la prise en compte de l’activité souterraine devrait gonfler le PIB européen entre 0,5 % et 2.4% mais certains pays seront plus touchés que d’autres. D’où un prosélytisme pour cette réforme proportionnel à l’avantage que chacun pensait en tirer. Les pays où la prostitution et la vente de drogue s’organisent dans un cadre légal étaient ainsi favorables à une telle réforme.

Les effets devraient être positifs pour la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Ce sont des États avec une dette importante et dont les activités de drogue et de prostitution sont cantonnées dans la sphère illégale. Au Portugal, la drogue est tolérée mais elle reste encore dans l’économie informelle.

La Belgique, le Danemark, l’Allemagne et la France verront leurs richesses produites annuellement grimper de 2 à 3 %. La Finlande et la Suède devraient être les pays les plus touchés avec un bond compris entre 4 et 5 %. En revanche, les États où la vente de drogue et la prostitution s’organisent dans le circuit légal ne devraient pas voir leur PIB significativement modifié. On pense d’emblée aux Pays-Bas où la vente de cannabis est encadrée.

Pour information, Les États-Unis ont également revu leur mode de calcul du PIB en ce sens, gonflant le PIB américain de 3%, soit environ 470 milliards de dollars.

De la difficulté de prendre en compte ces offres

Des doutes subsistent. Comment quantifier avec précision une activité par nature cachée ? Comment en effet calculer les dépenses de prostitution ou de contrebande sans une comptabilité officielle ?

Chaque État membre devra fournir une estimation globale de l’activité souterraine. Il n’y aura pas de répartition détaillée par secteur

 

Eurostat ne donne pas beaucoup de précisions mais fournit une ébauche technique. La prostitution sera mesurée dans une perspective d’offre, en fonction de la valeur du service fourni et, pour ce qui touche au trafic de drogue, par le biais d’une évaluation de la demande : la valeur payée par le client. Il est tout de même précisé que ces transactions illégales doivent comporter le consentement des deux parties. Les vols, par exemple, ne pourraient pas être pris en compte. Certains pensent devoir inclure dans la statistique les affaires de trafic de personnes puisqu’elles supposent une transaction économique.

Eurostat a fait parvenir en toute discrétion une note technique aux agences nationales pour leur expliquer comment procéder. Ainsi, il est confirmé que la prostitution fera partie des « services » et sera estimée à partir de l’ « offre », tandis que le trafic de stupéfiants sera estimé à partir de la « demande ».

Brèfle, une grande collecte de sources indirectes à prévoir (police, études internationales ou celles d’ONG).

Les pays de l’Union Européenne incorporent lentement cette activité dans leurs comptes. Un des pionniers en la matière a été la Suède qui la comptabilise depuis 2007. Cependant, en Suède, l’économie illégale ne représente que 0,17% de l’activité totale.

Il ne faut non plus confondre l’économie illégale avec l’économie souterraine (cette dernière se mesurant indirectement de différentes manières, via la consommation, mais aussi au moyen de l’Enquête de Population Active (EPA) qui recense la population active même « au noir »).

Des conséquences de ces modifications

Par ailleurs, la participation au budget de l’Union pourrait être sensiblement modifiée comme à la défaveur de certains pays de l’Est. En effet, le PIB sert d’assiette à la contribution des États-membres au budget de l’UE. Un État dont l’activité souterraine est importante verra son PIB boosté davantage que celui des autres pays. Et comme la contribution au budget européen dépend de la taille du PIB, certains États pourraient voir leur contribution augmenter. Aussi, les Pays-Bas espèrent que les autres contribueront davantage au budget de l’UE. Pendant des années, des pays avec un grand secteur informel, comme la Grèce et les pays de l’Europe de l’Est, ont aussi poussé cette réforme afin de bénéficier de chiffres de déficit plus favorables. Du gagnant-gagnant quoi.

L’EPA est précisément une des autres statistiques impactée par un troisième changement qui va influer sur la mesure du PIB. Un des travaux statistiques les plus importants s’est terminé au mois de décembre 2012 : le recensement de la population. Ce nouveau recensement, effectué tous les dix ans, doit être mis en relation avec les calculs de PIB et de l’Enquête de Population Active. L’introduction de cette nouvelle donne a toujours un fort impact sur ces statistiques, puisque les mouvements de population en Espagne, et spécialement durant la période 2001-2011, ont été importants avec une augmentation de la population de presque 6 millions de personnes.

Comme la population peut s’avérer supérieure à celle estimée jusqu’à présent, cela peut avoir un effet sur le taux de chômage (Chômeurs/Population active).

Il y aura un autre changement dans la comptabilité nationale, mineur mais intéressant : la fabrication d’armement sera prise en compte. Jusqu’à aujourd’hui, on considérait que la capacité destructrice de ces engins venait diminuer l’activité économique, mais, compte-tenu du fait qu’ils ne sont pas utilisés sur le continent européen, on a décidé de les faire basculer dans la partie comptabilisée de l’économie.

A terme, une question éthique inhérente : comment lutter contre les trafics quand il s’agira de se satisfaire de leur excellents résultats sur le plan comptable ?

Enfin, et dans le même ordre d’idée, pourquoi ne toujours pas comptabiliser dans le PIB l’autoproduction, l’autoconsommation, la production domestique (jardin familial), les activités domestiques (d’un homme ou d’une femme au foyer), le bénévolat, l’administration publique ?

Lurinas

Concernant le titre, ça fleure bon la titraille hara-kiriesque… Petit hommage personnel à Cavanna donc !

Sources

http://www.les-crises.fr/

http://www.lepoint.fr

http://www.lalibre.be/

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