Des Caricatures Contre les Kalachnikovs

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Des bulles, comme de petites fenêtres ouvertes sur la réflexion. D’allures anodines, en un espace restreint au strict minimum. Pourtant percutantes. Les dessins de presse soulignent, gueulent, interpellent, crient, gratouillent, chatouillent, rendent hilares, etc. Et ont parfois de grandes répercussions dans la vie de la Cité. Ces crobards méritent bien une soirée de remise de prix dédiés, celle des trophées Presse Citron. LaTéléLibre en était.

Les caricaturistes sont l’étendard de la liberté d’expression. Et parce que leurs dessins donnent à réfléchir, émeuvent ou dénoncent, ne laissant jamais indifférents, l’école Estienne et la Bibliothèque Nationale de France (BNF) entendent soutenir ce métier particulier en remettant un trophée dédié, le trophée Presse Citron. Ce concours annuel et national, ouvert aux professionnels et aux étudiants, récompense le meilleur dessin d’actualité de l’année écoulée.

Un contexte particulier

Cette année plus que jamais, le dessin de presse est à l’honneur. Ou comment des gribouillis peuvent engendrer des conséquences plus importantes que n’importe quel article journalistique écrit. Si les attentats de Charlie et de l’Hyper Casher ont laissé place à une vive émotion nationale et internationale, le temps est maintenant à la méfiance, à l’attentisme, à l’autocensure. Oui, car il est maintenant évident que ces caricatures donnent certains à réagir violemment. Bêtement et méchamment…

Forts d’une tradition française historique, les festivals de dessins de presse sont nombreux sur le territoire national depuis une trentaine d’années. Et si leur visibilité s’était accrue au fil du temps, les derniers événements peuvent faire douter les organisateurs sur le maintien de leur manifestation face aux risques et aux menaces. Sentiment d’insécurité général, pernicieux et diffus, mais qui a le don de faire renoncer.

Ainsi, dernièrement, l’attaque en un lieu culturel danois d’une réunion publique à laquelle participait un caricaturiste suédois (Lars Vilks, auteur d’un dessin polémique de Mahomet), n’a pas aidé à faire retomber la pression et à ramener calme et sérénité dans les esprits. Alors, dans ce même élan apeuré, le Mémorial de Caen décidait d’annuler les 5èmes rencontres du dessin de presse. Quarante-quatre dessinateurs, venus du monde entier, devaient y participer les 10 et 11 avril.

La caricature heurte. Ce qui est pourtant leur objectif premier, étymologiquement, leur volonté intrinsèque initiale. Car oui, la caricature vise à charger. A grossir les traits, à grands coups de crayon. Et c’est souvent grinçant, acerbe. Mais toujours sous l’égide de l’humour, qui doit bénéficier d’une immunité particulière. Le dessin bénéficie justement d’un droit juridique positif de principe. Une permission spéciale est accordée aux caricatures : celle de choquer, sans distinction de bon ou mauvais goût. Une liberté qui nous réapparait bien fragile.

« La caricature et la satire étant par nature abusives, les limites du droit à l’humour doivent être considérées comme des abus d’abus » (Me Basile Ader)

Croquer, déformer, portraitiser, caricaturer. Mettre en lumière un trait de caractère, appuyer une actualité. Ce genre littéraire est délibérément provocant, participe pleinement à la liberté d’expression. Plus que jamais, cette activité artistique et journalistique qu’est le dessin d’actualité doit donc être soutenue et mise en valeur. Promouvoir le dessin de presse est justement la visée (pour ne pas dire le dessein, ouarf !…) de ce trophée. Pour aiguiser l’esprit critique, développer autrement l’intérêt pour l’actualité. Brèfle, émanciper le citoyen et le doter d’armes de jugement personnel pour que les croqueurs ne se fassent plus croquer.

Le Prix Presse Citron

Le trophée Presse Citron a été créé en 1993 sous l’impulsion de l’école Estienne. Cette dernière a vu défiler les taille-crayons et les gommes de nombreuses personnalités, au rang desquelles Cabu (il y a étudié la gravure), à qui elle rendait hommage cette année.

Depuis 2 années, la BNF est le partenaire idéal de cette manifestation. Elle est en effet la mémoire du patrimoine et, dans sa mission de service public, collecte les dessins de presse de façon quasi-exhaustive. Être aux côtés des professionnels et des aspirants dessinateurs, c’est soutenir envers et contre tout cette liberté d’expression particulière.

En pleine semaine de la presse et des médias, le trophée récompense donc les meilleurs dessins d’actualité professionnels et non-professionnels. Le premier volet met alors en lice les meilleurs dessins d’actualité publiés dans l’année ; le second s’adresse aux étudiants des 120 écoles d’Art et de Design de France.

Cette 22è édition s’est clôturée dans la salle des fêtes de la mairie du 13è arrondissement parisien (jeudi 26 mars). Les étudiants de l’école avaient voté parmi les 350 dessins de plus de 100 professionnels de la profession. Les professionnels, quant à eux, faisaient choix parmi une pré-sélection de 300 dessins d’étudiants (sur les 900 reçus). Parmi les thèmes d’actualité les plus fructueux, Charlie forcément, DSK, l’islamisme, Hollande, Le Pen, Poutine, la pollution…

Comme ultime hommage à Charlie Hebdo, c’est la populaire dessinatrice Coco, lauréate 2014, qui présidait le jury professionnel décernant le prix étudiant. L’occasion pour elle de pousser un cri en communion avec l’assemblée !

« Crier, car c’est ça qui représente le dessin. C’est comme un éclat de rire. Ça vient des tripes »

Oui. Un dessin comme un cri dans une page. Une écho dans les colonnes. Une trait strident qui réveille, bouscule, percute, uppercute et donne à réagir.

Les lauréats 2015

« Coup de jus étudiant » attribué à Adrien Bernardet

Coup de jus étudiant 2015 - Adrien Bernardet - Copie

« Coup de foudre étudiant » récompensant Ulrich Leprovost

Coup de foudre étudiant 2015 - Ulrich Leprovost

« Coup de jus professionnel » accordé à Thibaut Soulcié

Coup de jus pro 2015 - Thibaut Soulcié - Copie

« Coup de foudre professionnel » décerné à Pascal Gros

Coup de foudre pro 2015 - Pascal Gros

Au sortir de la soirée, nous pouvons regretter que les étudiants ne se destinent d’ores et déjà qu’à des métiers touchant au marketing, au graphisme, au design, à l’illustration… Mais tout de même espérer quelques vocations naissantes. Un peu trop peu peut-être : Ulrich Leprovost, pourtant lauréat à sa grande surprise du prix étudiant , n’est pas plus motivé par cette hypothétique perspective. Cet animateur 3D, ancien de l’école Estienne, loue l’esprit de liberté de ce trophée et salue la bonne humeur qui prévaut autour de ces festivités. Mais cette expérience ne restera malheureusement pour lui qu’une belle occasion, qu’un acte revendicatif ponctuel. Un coup pour rire stérile donc.

Loin d’être affligés par ce constat, le dessin de presse et d’actualité n’est assurément pas mort. Loin de là. Après tout, nous vivons dans un pays qui a une longue tradition de presse satirique. Il bénéficie maintenant d’une lumière ravivée, même si c’est au dépend d’assassinats ignobles. Appuyés par de nombreux festivals plus ou moins confidentiels (Castelnaudary, Saint-Just-Le-Martel…) lui rendant hommage, distribués par de multiples publications spécialisées les analysant, les disséquant (Humoresques par exemple) , le dessin de presse est plus que jamais visible et attendu par le lectorat.

Il s’agit donc de ne pas élaguer ces racines. Il est d’importance de défendre, a minima de soutenir, la liberté d’expression sous toutes ces formes, dessins et caricatures compris ! C’est l’enseignement que nous pouvons tirer de cette terrible piqûre de rappel : au-delà de la faible allitération du titre, il s’agit bien littéralement de continuer à brandir les crayons contre les kalachnikovs.

Lurinas.

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Les commentaires (1)

  1. Bonjour !
    Je suis Agathe, l’étudiante chargée des relations presse lors de l’évènement. Je voulais vous remercier de votre article touchant au ton si juste. La prochaine promotion vous tiendra au courant du trophée 2016 !
    Agathe