L’Art, pour Soigner nos Sociétés Malades

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La revue Cassandre aurait pu fêter ses 22 ans, si elle n’avait pas perdu 90% de sa subvention régionale qui lui permettait de vivre. Mais de ses cendres, elle renaît aujourd’hui, sur Internet sous le nom de « L’Insatiable », et sur le papier, au sein d’une nouvelle revue européenne « Archipels ».

Quand la Cassandre est Insatiable, l’Archipel reste un principe actif…

« D’île en île donc, nous irons, à la recherche d’un art qui ne se contente pas de nous documenter, ni de nous émouvoir, mais travaille bel et bien le réel de toute sa force symbolique » Paul biot et Nicolas Roméas (in le n°1 d' »Archipels »).

Éteindre le feu des banlieues

« Jacques Livchine nous a dit une fois qu’on relayait et mettait en valeur les acteurs de « l’art pompier« , celui qui éteint les incendies », explique, un sourire amusé dans l’oeil et un bout de fierté au coin des lèvres, Nicolas Roméas, le fondateur de la revue Cassandre.

Car c’est le rôle que s’est donné cette dernière, exploratrice des « nappes phréatiques, de la source » du présent. Depuis 21 ans, les mots, les corps et les voix de ses collaborateurs du monde entier tissent en effet, avec les fils du présent, les liens entre les mouvements artistiques et les contextes politiques. Un lien habituellement établi « a posteriori, parce que le lien, on a peur de le faire dans le présent, car on peut alors ne pas être compris », explique Nicolas Roméas. En effet, qui faisait le lien au début du XXème siècle entre le mouvement des danseurs modernes allemands -où la danse est un moyen de dire l’indicible, de se transcender et de trouver une harmonie avec la nature- et les idées nazies alors montantes en même temps que, étonnamment, les idées utopistes communautaires ? Des liens analysables a posteriori, qui auraient pu être nécessaires de comprendre dans le présent afin de rendre conscients les choix de certains artistes.

N’être pas compris, « c’est le risque certain de l’art qui se fait sans décloisonnement »

Lutter contre le décloisonnement, c’est ce qui constitue l’ADN du combat de la revue Cassandre, à laquelle s’est accolé quelques années plus tard le nom Horschamp. Une quête en dehors des sentiers battus, et des chemins tracés, « pour que l’art ne se sépare jamais de la société ». Mélanger donc, et rendre poreuses les frontières entre le monde des acteurs sociaux et celui des acteurs culturels, car l’un nourrit l’autre et s’en nourrit en retour.

Pendant 21 ans, Cassandre a ainsi été « une constellation qui mêle les mondes », pour « renouer avec l’esprit de la Revue française ». Autrement dit, ne pas seulement s’intéresser aux mots qui noircissent les pages mais aussi aux rencontres, aux débats, aux échanges de corps à corps et de voix à voix. Alors « Cassandre/Horschamp » ne cesse, depuis ce temps-là, d’organiser des événements dans des lieux insolites, pour faire venir ceux qui ne viendraient pas, et pour générer des accidents, nécessaires pour que quelque chose se produise. Et, au sein de ces espaces de rencontres, « on ne fait jamais un sujet sur mais avec » insiste Samuel Wahl, collaborateur assidu. « Si on parle de la psychiatrie en prison par exemple, il y aura nécessairement des « fous » pour en parler ».

À l’opposé de l’art institutionnel, l’art doit irradier »

Lors de ces rencontres et micro rencontres où le lien et la proximité sont privilégiés, les conditions sont réunies pour que « l’Art agisse vraiment sur les personnes et vienne questionner et révéler ma fibre à moi qui ne suis pas « artiste » mais qui possède des outils qui me sont propres ». C’est l’utopie de l’éducation populaire. « Chacun est un artiste en puissance », qui peut être révélé s’il entre, avec ce qu’il est et ce qu’il possède, dans cette énergie et cette même force d’engagement que l’artiste reconnu. En d’autres termes, « à l’opposé de l’art institutionnel, l’art doit irradier », affirme Nicolas Roméas.

 Le contexte politique ne veut plus de Cassandre »

« Tout ça, on sait bien que ce n’est pas réalisable, ajoute-t-il, mais on ne doit pas cesser d’en parler, pour qu’une idée se décline comme elle peut dans le réel ».

« Comme elle peut », parce que le contexte est parfois difficile. « S’appeler Cassandre, ce n’est pas d’un optimisme reluisant… On voyait donc bien au fond que tout ça allait se casser la gueule ! ». Celle qui prédit les catastrophes à venir sans n’être jamais crue s’est en effet pris un grand coup sur la tête cette année : alors que Valérie Pécresse prend la tête de la Région, la subvention régionale de 63 000 euros qui permettait à la petite équipe de fonctionner est grignotée à 90%… « Le contexte politique ne veut plus de Cassandre », avance le fondateur de la revue. Il continue : « pour qu’une revue telle que Cassandre survive, il faut des idées au niveau national, et des appuis locaux. Nous n’avons plus ni l’un ni l’autre, et sans volonté politique, c’est impossible de continuer ».

archipels

Des « Archipels » en devenir

Mais l’équipe de la revue qui fait de l’art un « principe actif » n’est pas en reste. Les circonvolutions des cerveaux insoumis des trois travailleurs à temps plus que plein et de la dizaine de bénévoles actifs se mettent en lien, cherchent des solutions et prennent l’événement comme une opportunité (dans leurs bons jours…) de se questionner et se renouveler. Alors c’est parti… Cassandre devient L’Insatiable sur internet, et le numéro 1 d’ Archipels est sorti début octobre. Une revue à l’échelle européenne, avec des partenaires des pays de la zone, belges déjà, avec l’association Culture et Démocratie, et bientôt allemands. Toujours en mouvement, alors forcément, la quête de la revue ne peut être contenue dans les frontières d’un seul mot immuable, on l’aura compris…

De la revue qui annonce le malheur sans être écoutée, à celle qui crée des ponts entre les univers, et au site Internet qui en veut toujours plus, l’équipe est toujours debout et prête à continuer : « les idées dont on parle et les événements qu’on crée sont très marginaux. Mais notre rôle justement, c’est de donner de la force à ces idées là, et dire qu’elles existent ». L’objectif alors : que les 700 abonnés de Cassandre/Horschamp migrent vers Archipels, et que les 3000 tirages qu’on trouve en librairie et sur internet ne soient pas grignotés eux aussi!

Dans un moment où percevoir le sens est parfois un combat, tourner les pages de ce monde décloisonné et participer aux rencontres de chair et d’os peut être une issue enthousiasmante… Il nous reste donc à tenter « l’art, principe actif » pour soigner nos sociétés malades !

Flore Viénot

Des Liens

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