La Fabuleuse Histoire du Sceau Impérial Volé : 21 Millions €

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Record mondial pour la vente aux enchères d’un sceau impérial chinois. 21 millions € pour cette pièce unique volée lors du pillage du Palais d’été des empereurs chinois à Pekin en 1860.

J’avais rencontré Jacques Guimezanes lors d’une réception avec l’ambassadeur de Chine à Paris à l’été 2016. Ce solide gaillard, discret, à la tête chenue, s’était présenté comme le secrétaire général de l’Association pour la Protection de l’Art Chinois en Europe, l’APACE. Il passe son temps à éplucher les catalogues de ventes des grandes maisons comme Christie’s, Artcurial, Sothebys, ou Drouot à la recherche d’objets chinois provenant de pillages illégaux. Ancien grand flic (il a finit sa carrière comme directeur général de la Police Judiciaire), il s’est découvert une passion pour la Chine et ses antiquités alors qu’il représentait la France lors d’un congrès d’Interpol à Pekin dans les années 90. Son association s’est faite connaitre notamment en tentant de bloquer la vente de la succession Bergé/Saint Laurent qui comprenait notamment deux têtes en bronze, l’une de rat, et l’autre de lapin, qui étaient vendues aux enchères. Ces têtes provenaient sans aucun doute possible de la fontaine du palais d’été des empereurs chinois, pillé et mis à sac en 1860 par les armées française et anglaise durant la 2ème guerre de l’opium. Cette fontaine supportait 12 têtes d’animaux, les 12 signes du zodiaque chinois. 7 ont à ce jour été retrouvées, et 5 ont disparu depuis cette date et n’ont jamais été revues. Pour l’histoire en détail c’est par , et par .

Il faut savoir que le pillage du palais d’été de Pekin est à ce jour encore considéré en Chine comme une tragédie nationale, la quasi totalité des objets, vaisselles, effets personnels, archives des empereurs chinois ayant été emportée. Et notamment les 3000 sceaux des empereurs chinois, par lesquels ils authentifiaient leur correspondance et leurs édits, qui s’y trouvaient tous. Ces sceaux, aussi uniques que précieux, étaient le plus souvent en jade, mais aussi en stéatite pour certains, une pierre dure aux reflets rougeâtres. Alors que l’armée française se glorifiait de ce haut fait et du butin de guerre récupéré, une seule voix, mais quelle voix, s’éleva contre ce pillage : celle de Victor Hugo, dans sa fameuse Lettre au capitaine Butler.

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                                           Illustration d’époque du sac du Palais d’été

 

Cette lettre vaudra à Victor Hugo une statue posthume érigée sur le site même de l’ancien palais d’été, complètement rasé comme on l’a vu, de la part des chinois reconnaissants.

Et justement, Jacques Guimezanes m’apprend que la maison Bergé va mettre en vente chez Drouot le 14 décembre 2016 un sceau impérial d’époque QIANLONG (1736-1795), vendu par les héritiers d’un officier de marine français qui se trouvait en Chine au 19ème siècle. Pour l’APACE, et c’est sa raison d’être, l’objet provient forcément du pillage de 1860, et doit donc être restitué à la Chine. Et ce pour une raison selon lui aussi simple que juridique : les héritiers de cet officier de marine sont coupables de recel d’objet volé (pillé en l’occurrence) par leur ancêtre et il n’y a pas encore prescription puisqu’elle démarre à partir du moment où l’objet du recel refait surface, en l’occurrence dans le catalogue de Drouot pour cette vente exceptionnelle d’antiquités asiatiques, dont le sceau porte le numéro 36. Officiellement, l’ambassade de Chine, qui avait émis de vigoureuses protestations au moment de la vente des têtes de rat et de lapin, ne s’est pas manifestée sur cette vente là. Drouot ne l’entend bien évidemment pas de cette oreille, et considère que la vente par les héritiers est tout à fait légitime, puisque l’objet est dans la même famille depuis 1 siècle et demi. Jacques Guimezanes a beau se démener, la vente aura bien lieu.

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Le mystérieux ancêtre officier de marine…

Nous voilà donc partis avec Jacques Guimezanes chez Drouot le mardi 13 décembre, veille de la vente, jour d’exposition des objets. Premier constat, évident : Drouot est rempli de chinois, et la plupart ne sont pas des touristes, ils ont presque tous une petite lampe torche et une loupe, afin d’étudier de près les objets exposés. Derrière une vitrine blindée, le sceau, avec des pictogrammes indiquant que les photos sont interdites. Évidemment, tout le monde a son smartphone et tente de le faire, ce qui provoque l’exaspération des employés de Drouot, qui finissent par retirer l’objet de la vitrine au bout d’une heure. Il y a d’autres pièces, très belles, mais le clou de la vente, c’est sans contexte le lot numéro 36, le fameux sceau. Dans le catalogue, outre la description de l’objet, une minuscule photo, noir et blanc, représentant le fameux ancêtre, en costume colonial blanc. L’identité des vendeurs est néanmoins tenue secrète, et Jacques Guimezanes aimerait bien la connaitre… Il a vu le sceau, qui est authentifié par Alice Jaussome, du cabinet Portier. Le dernier sceau impérial vendu en France s’est envolé à 1,15 millions € chez Artcurial en 2012, et c’est le record à ce jour.

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Retour le lendemain, jour de la vente, les lots s’égrènent, à partir du numéro 1, dans une relative indifférence de la salle comble. Le long du mur, des employés prennent les enchères par téléphone. Dans les ventes exceptionnelles de ce genre, les acheteurs ne sont pas toujours dans la salle, loin s’en faut, et la plupart tiennent à rester anonymes. Et ceux qui sont autorisés à enchérir sur des objets de grand prix se sont préalablement enregistrés auprès de la maison de vente, avec dépôt d’un chèque de caution conséquent, pour éviter les enchères fantaisistes. Ils sont munis d’un carton avec un numéro, pour les présents, et seuls autorisés à enchérir.

Assez vite, les enchères s’emballent, et il devient rapidement évident que ça va se jouer entre deux acheteurs présents dans la salle, l’un au premier rang qui est au téléphone et enchérit visiblement pour quelqu’un d’autre, et un deuxième, avec un chapeau, qui se tient au fond de la salle. D’une mise à prix initiale à 800 000€, nous sommes passés en moins de 10 mn à 14, 15, 16, 17 et enfin 17,5 millions €, record absolu mondial pour un sceau impérial chinois. Avec les frais, on est à plus de 21 millions €, c’est démentiel. L’homme au chapeau s’appelle monsieur XiaoBo, il est originaire du Wenzhou, et il est antiquaire spécialisé à Pekin. Il va poster dans les heures qui suivent sur Weichat, le réseau social chinois les mots suivants, d’une singulière poésie :

Quel bonheur ! Travailler dans l’art ancien est un chemin difficile mais qui s’accompagne parfois d’une joie indescriptible ».

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Monsieur XiaoBo et son chapeau, à Drouot le jour de la vente

Que va-t-il en faire ? Le revendre ? Le mettre dans un coffre ? C’est pour l’instant un mystère. Par le passé, des objets de ce genre se sont ensuite retrouvés dans des collections nationales à Pekin ou à Shanghai, par suite de compromis ou d’achats « patriotiques » effectués par de riches hommes d’affaire. Ce qu’il y a de sûr, c’est que les héritiers de ce mystérieux officier de marine français se félicitent aujourd’hui de l’avoir eu comme ancêtre. Car s’ils ne sont pas trop nombreux, ils seront grâce à lui assujettis à l’ISF…

Contactée par téléphone lundi 23 janvier, la maison Bergé a confirmé l’intégralité du paiement, le sceau est retourné en Chine, et la statue de Victor Hugo à Pekin a eu, parait-il un léger sourire à cette annonce.

Merci à Camille Chen de Gbtimes, pour son aide précieuse !

Christophe Tisseyre

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Les commentaires (1)

  1. C’est vraiment un chanceux Sceau Impérial ! :) vendu à 21 Millions euros, ça doit vraiment faire plaisir à la personne qui la volé au premier lieu ! lol Merci pour cet article très intuitif.