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Fin de Vie : Laisser Mourir ou Faire Mourir ?

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L’Assemblée Nationale vient d’adopter la proposition de loi sur la fin de vie par 436 voix pour, 34 contre et 83 abstentions. Elle n’autorise ni euthanasie ni suicide assisté mais instaure le droit à une sédation « profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale. Examinée avant l’été au Sénat, la proposition pose un jalon de plus dans le débat sur la « fin de vie » en France.

95% des français se disent favorables à la légalisation de l’euthanasie, légale dans de plus en plus de pays européens. Mais l’alternative « pour ou contre » limite peut être le débat qui doit prendre en compte des réalités très différentes les unes des autres… Laisser mourir ou faire mourir ? Assassinat ou libération ? Où se situe la liberté individuelle : le droit à la vie ou le droit à la mort ? Un débat complexe, qui touche à l’intimité de chacun.

C’est un être effrayant tenant un humain entre ses mâchoires. C’est un génie ailé, ou deux jeunes garçons, l’un noir, l’autre blanc ; ou encore une ombre armée d’une faulx. Autant de représentations antiques d’une même réalité, qui en disent long sur le foisonnement de conceptions différentes d’un sujet qui concerne tout le monde, mais qu’on détourne souvent par euphémisme : « parti », « emporté », « au ciel »… C’est le cas du débat sur « la fin de vie » que prévoit de relancer François Hollande avant la fin 2014.

Chez les Antiques, ce sont les dieux qui détiennent le pouvoir de faire vivre ou mourir. Les humains, tenus par le fil de leur vie, coupé sans qu’ils n’y puissent rien, sont emportés par le Destin. Punition ou libération ? Là encore, les conceptions varient et continuent d’habiter les Hommes, religieux ou athées. Angoisse du néant ou certitude de la vraie vie ; arraché à la vie ou délivré des souffrances ? La mort « choisie » laisse place à autant d’antagonismes qu’il existe d’êtres humains, tous concernés par un débat éthique dont chacun peut se saisir.

Des notions qui recouvrent des réalités bien différentes…

Dans tout cela, un paquet de nuances dont les conséquences éthiques ne sont pas des moindres… Entre l’euthanasie passive, active et active indirecte, les différences sont grandes. Entre laisser mourir et faire mourir, l’écart immense. Et les conséquences législatives aussi.

En Europe de plus en plus de pays légifèrent : les Pays Bas sont le premier pays à avoir légalisé l’euthanasie active (par administration de substances létales par voies orales) ainsi que le suicide assisté en 2001. Comme en Belgique, l’euthanasie est permise pour les mineurs, contrairement au Luxembourg qui l’autorise seulement pour les personnes majeures depuis 2009. Quant à la Suisse, elle permet l’euthanasie active indirecte (donner des substances pour réduire la souffrance, avec la mort comme effet secondaire possible), et l’euthanasie passive (interruption du dispositif médical de maintien en vie). La Suisse est aussi un des rares pays à avoir légalisé le suicide assisté (la personne prend elle-même la dose mortelle).

En France, on ne parle pas d’euthanasie active indirecte mais de soins palliatifs. Une loi leur est consacrée en 1999 : « toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ». Elle précise : « les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire, en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. » Avec le cas de Vincent Lambert en 2005, si on ne parle pas non plus d’euthanasie passive, la loi Léonetti permet tout de même de « laisser mourir », et encourage les soins palliatifs. Elle autorise l’administration par les médecins de traitements anti-douleur permettant de soulager la souffrance, avec pour « effet secondaire d’abréger la vie » d’un malade en « phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable ». Depuis, le nombre d’euthanasies passives tel que pratiquées dans la cadre de la loi Leonetti est à 3 000 par an. En décembre 2013, une conférence de citoyens s’est prononcée en faveur d’une « légalisation du suicide médicalement assisté » et pour une « exception d’euthanasie », accordée pour les situations inextricables, tandis que François Hollande promettait un projet de loi pour « compléter et améliorer la loi Leonetti » avant la fin 2014. Le 17 mars 2015, après deux jours de débats, l’Assemblée nationale adopte la proposition de loi sur la fin de vie qui n’autorise ni euthanasie ni suicide assisté, mais instaure un droit à une sédation « profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale.

« Acte légal » aux Pays Bas et en Belgique, « assassinat » en France, « homicide volontaire » en Italie, Bosnie, Grèce et Roumanie, l’euthanasie active est loin de provoquer le consensus mais déchaine plutôt les passions…

Un débat d’éthique

« Selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ? ». A cette question, 95% des français répondent positivement. Cela signifie-t-il que 95% des français sont favorables à l’euthanasie ?

« La question est mal posée et elle casse le débat. Qui répondrait non au libre arbitre et à la fin de la souffrance ? Mais si vous posez la question autrement, la réponse sera toute autre… ». Pour Daniel d’Hérouville, médecin-chef de la maison de soins palliatifs Jeanne Garnier à Paris, « c’est une question complexe qui requiert du temps, et surtout de se dépassionner, car l’euthanasie est un mot qui recouvre beaucoup de réalités ».

Dans ce débat qui provoque des réactions souvent épidermiques, nous pouvons tout de même noter trois points sur lesquels tous – Comité consultatif national d’éthique, Ordre des médecins, centres de soins palliatifs, associations pour le droit à mourir et associations pour le droit à la vie – s’accordent : limiter la douleur est important, l’acharnement thérapeutique est non souhaitable, et le meurtre médicalisé inacceptable. Un socle commun donc, mais comme point de départ de divergences profondes.

Soulager, faire mourir et laisser mourir

Pour les défenseurs de l’euthanasie, elle est le seul moyen de se protéger contre l’acharnement thérapeutique, et parfois, « la seule solution pour éviter des douleurs intolérables et délivrer de l’état végétatif », comme pour Vincent Lambert qui a relancé le débat en France en 2005. Pour Jean-Luc Roméro, président de l’Association du droit à mourir dans la dignité (ADMD), des soins palliatifs à l’acharnement, il n’y a qu’un pas.

Mais pour le docteur d’Hérouville, « ce n’est pas une question de oui ou de non, mais c’est de proposer un projet à la personne, et voir si elle adhère ou pas ». Les soins palliatifs sont un accompagnement sur le « chemin horrible [qu’est] ce chemin vers la mort ». Avec les soins palliatifs, « nous faisons tout ce qui est possible pour soulager la douleur du malade en l’accompagnant dans ses questions psychologiques, sociales et spirituelles ». Un accompagnement vers l’acceptation de la fin : « je soulage la personne, tout en sachant qu’elle peut mourir demain ».

Et c’est ce « double effet » que reproche Jean Luc Roméro aux soins palliatifs : quelle est la frontière entre laisser mourir et faire mourir ?

Le droit de mourir ou le droit de vivre

La question de la fin de vie met aussi en jeu la liberté de chacun. « Je suis pour que les personnes puissent décider » insiste Jean Luc Roméro. Pour lui, l’euthanasie, c’est être libre. Libre de choisir sa mort, de maitriser sa vie et sa santé et de décider de sa dignité.

Mais l’affirmation de cette liberté est d’ordre philosophique, et non pas médicale : « sur le terrain, il y a beaucoup d’aller retour, précise le Dr d’Hérouville, quand il y a demande d’euthanasie, très peu de gens la maintiennent jusqu’au bout ». Et selon lui, le risque avec l’euthanasie est d’en finir avec le soin qu’on doit aux autres. « Il faut sortir de l’idée que la seule façon de mourir dans la dignité serait de mourir en étant euthanasié : la dignité est inhérente à la nature humaine ». Le Dr Mirabel, de l’association de l’alliance du droit à la vie, insiste sur ce point : « la demande de mort est toujours un appel au secours ».

La mort devenue pathologique

Mais si ce débat est si passionné, c’est qu’il parle de notre propre rapport à la maladie et à la mort. Ce n’est en effet que depuis le milieu du XXe siècle que la mort est une affaire médicale, enfermée au sein de l’hôpital, qui en a fait une pathologie à combattre à tout prix. Nous sommes ainsi passés de « la mort naturelle à la mort annoncée, puis prévue », analyse Didier Caenepel dans son livre La sédation continue en fin de vie. Mais « la représentation pathologique de la mort va, tôt ou tard se résoudre au fur et à mesure que l’échéance létale approche », continue-t-il. Ainsi nait le désarroi face à l’impuissance : « le combat contre la mort est un affrontement sans partenaire et l’idée même de victoire ou de défaite n’est plus qu’une métaphore », nous dit Jankélévitch dans La mort. Le lieu même de l’hôpital, à la fois lieu de guérison et principal lieu de mort, raconte cette ambivalence. En effet, les centres de soins palliatifs (dont le premier a été créé en 1987) concentre aujourd’hui 58 % des 535 000français qui décèdent chaque année.

Ainsi, l’acharnement thérapeutique comme l’euthanasie sont les deux expressions du même déséquilibre : volonté de toute puissance qui exclue la mort dite « naturelle » ainsi que la souffrance comme étant inhérente au processus de toute vie humaine.

Le débat reste ouvert…

Repotage : Nastasia Tepeneag
Images : André Krzymuski
Texte : Flore Viénot

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