Lecteur vidéo

Faire un don

Faire un don

Envoyer l’article par mail
Télécharger le .torrent

Fichier indisponible pour l’instant

Qu’est-ce que le Torrent ?

Grâce à Bittorrent vous pouvez télécharger et partager la vidéo que vous êtes en train de visualiser.

Les Biffins Secouent les Puces

Publié le | par

Poussés par la précarité et la misère, des centaines de vendeurs à la sauvette, ou Biffins, vendent illégalement des objets récupérés, en marge des Marchés aux Puces de Paris. La Ville de Paris leur a ouvert un espace de vente particulier, au bout du tunnel de l’exclusion. Les conflits s’apaisent entre brocanteurs du marché aux Puces et Biffins, au terme d’une année de fonctionnement. Mais, sous l’effet de la crise, la vente illégale augmente de jour en jour.

À propos de l’auteur

Alain Goric’h, 59 ans dont 30 passés dans le monde du journalisme est une nouvelle recrue de LaTéléLibre. Depuis son arrivée en conférence de rédaction il y a 3 mois, Alain souhaitait raconter l’histoire des biffins, mais fort de son expérience et sollicité quotidiennement par toutes les jeunes pousses de LaTéléLibre, ce n’est qu’aujourd’hui qu’il a pu terminer son reportage. Un grand merci pour ton implication cher Alain, et bienvenue dans l’équipe !

Immersion dans les marchés

Unique Marché antiquités-brocantes de Paris intra-muros, les Puces de la Porte de Vanves attirent une clientèle de touristes et d’amateurs, à proximité du périphérique Sud. Depuis 1905, son espace est occupé par près de 400 antiquaires et brocanteurs. Une histoire teintée de nostalgie aux couleurs sépia. C’était compter sur la présence de récupérateurs-vendeurs, surnommés Biffins en argot, qui tentent leur chance dans les rues voisines. Depuis une dizaine d’années le phénomène prend de l’ampleur. Un nombre croissant d’étals de bric-à-brac occupent les trottoirs d’accès au marché. Le climat entre commerçants et vendeurs illégaux vire à l’aigre.

En janvier 2012, les élus parisiens ouvrent un « Carré des Biffins » sur le domaine du marché aux Puces pour régulariser « la vente de petits objets de récupération ». Il occupe une surface de marché libérée les après-midi par les professionnels des Puces. Les brocanteurs traduisent cette nouveauté comme la légalisation d’une concurrence déloyale et déplorent que l’image de leurs Puces y perde de son prestige. D’autres maugréent mais, viennent chiner au petit matin sur les étals clandestins à l’affut d’une bonne affaire.

Les Biffins reconnus

Une quarantaine de personnes ont obtenu une place officielle sur le Carré des Biffins. La plupart d’entre elles sont d’ex-vendeurs « sauvettes » qui obtiennent ainsi un statut de marchand. Une forme de légitimité doublée d’une reconnaissance sociale. Les uns vivent avec une maigre pension de retraite, les autres survivent avec une allocation pour handicapés. Tous acquittent un droit de place de 2,40 euros pour un étal de 4m². Ce droit leur est ouvert à la condition d’habiter les quartiers limitrophes et que les services sociaux authentifient leur état de précarité.

Sauvettes en déshérence

Les « sauvettes », restés clandestins, sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance en marge du marché. En fin de nuit, ils attirent les brocanteurs qui viennent à la lueur d’une lampe électrique évaluer leurs marchandises. Quand vient la lumière du jour, et que les Puces battent leur plein avec les touristes, les amateurs d’objets rares et les collectionneurs, les « sauvettes » jouent au chat et à la souris avec les policiers. Beaucoup ont choisi de se spécialiser pour capter et fidéliser une clientèle de professionnels en quête de bijoux, de vaisselles anciennes et d’objets rares. Au terme de leur journée, ils repartent sans le sou ou avec 50 euros en poche.

Momo est un de ces sauvettes illégales. Marocain d’origine, sa trajectoire est identique à celles des jeunes venus tenter leur chance en Europe. Première escale en Espagne, avant de s’installer en France avec un permis de séjour temporaire. Vaines tentatives pour valider ses diplômes dans le commerce. Enchaînement classique d’emplois clandestins et des travaux vendus au noir, avant que ne se déclare une maladie osseuse qui lui paralyse les vertèbres. Sans ressources et dépendant de l’aide médicale de l’État*, Momo survit dans un camion échoué au pied d’un immeuble de banlieue. Il vit d’expédients en se fournissant chez Emmaüs ou chez d’autres sauvettes, et en revendant ses articles sur le trottoir des Puces. Deux fois par semaines, Il retrouve ses amis sauvettes dans une ruelle qui borde les Puces de la Porte de Vanves. Une sorte de confrérie solidaire anime ces habitués du trottoir. En fin de nuit, ils étalent leurs marchandises que les brocanteurs viennent observer à la lueur de lampes électriques. Chacun a sa spécialité. Momo offre de la vaisselle et des ceintures. Son copain Thomas dit « l’expert » présente de la bijouterie acquise dans les ventes aux enchères. Dès les premières lueurs du jour, les touristes des open tours et les badauds viennent jouer les curieux. Beaucoup considèrent cette vente sauvage comme un particularité « exotique » des Puces parisiennes.

Pas de solutions miracles en vue

Stéphane Lovisa a pris la mesure du phénomène avant de lancer le carré des Biffins. Cet adjoint au Maire du 14ème arrondissement de Paris a évalué l’initiative des élus parisiens du 18ème qui ont créé le premier carré en 2009, porte de Montmartre, à proximité des Puces de Saint-Ouen. L’accès aux vendeurs clandestins d’étals légaux était assorti d’un accompagnement social en vue d’une réinsertion des Biffins. Une tentative qui n’aurait donné que peu de résultats probants : trois ans plus tard, sur la centaine de Biffins titulaires d’une carte, seuls deux personnes seraient sorties de l’écueil. Stéphane Lovisa ne croit pas aux solutions miracles. La question du logement lui parait prioritaire : son projet de carré des Biffins réservés aux habitants cible une population qui cherche à vivre décemment malgré des petits revenus et à résister à la délocalisation. Il souhaitait aussi « réguler l’utilisation de l’espace public et apaiser les tensions ». La police municipale poursuit ce même objectif. Les consignes données aux brigades sont claires : pas de répression, un contact régulier et des rondes fréquentes. A l’opposé des autres marchés parisiens, où la police est réputée pour la violence de ses interventions, l’espace des Puces de la porte de Vanves est connu pour son calme relatif. Les clandestins le savent… et affluent.

Un carré sous tension

Du côté des brocanteurs « patentés », titulaires d’un emplacement aux Puces, l’exaspération a monté. La présence d’une concurrence déloyale dans leur voisinage immédiat devenait insupportable. Même si beaucoup allaient se fournir discrètement chez les sauvettes, ils souhaitaient garder la mainmise sur leur marché, et préserver son image de marque. A la naissance du carré des Biffins sur l’espace laissé libre les aprè-midis, la colère a monté d’un cran. En janvier 2012, débat houleux, pétitions dénonciatrices et rumeurs calomniatrices animaient la corporation des puciers. « Qu’ils aillent installer ce carré au Champ de Mars ou devant l’Hôtel-de-ville ! » lançaient les uns, « Débarrassez-nous de ces receleurs et trafiquants ! » menaçaient les autres. Le Carré des Biffins s’est implanté malgré tout. La police a veillé au grain, protégeant les Biffins légitimes et en pourchassant les clandestins. Les tensions se sont lentement apaisées. Un an plus tard, l’association des Biffins, gérante du Carré, voit le nombre de ses adhérents doucement croître. « Il faut ne pas baisser les bras » déclare leur président M. Lalaoui « Sinon, à quoi bon tous ces efforts ? Si le Carré ne vit pas, nous retournerons tous à la rue, avec les sauvettes ! ».

 

Journaliste : Alain Goric’h

Images : Flore Vienot, Benjamin Meech
Montage : Alain Goric’h, Larry Waxman, Mickaël Royer

*L’aide médicale de l’État (AME) est un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins, sous réserve de remplir certaines conditions.



 

Partager cet article

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire

Les commentaires (2)