DU DARFOUR AU TCHAD, LES ORIGINES D'UN CONFLIT

Publié le | par

Sept ans après le début de la guerre du Darfour, l’ONU a voté le 31 juillet dernier le déploiement d’une force de paix multinationale d’environ 26 000 hommes dans la région. Cette avancée ne doit pas masquer la situation dramatique qui se développe au Tchad voisin où les destructions de villages et le déplacement des populations continuent. LaTeleLibre.fr vous donne quelques clés pour comprendre ce conflit dont les médias risquent de parler dans un futur proche. «Il était environ midi et je rentrais au village quand trois hommes à cheval m’ont poursuivi et attrapé. Ils m’ont frappé et m’ont attaché les mains dans le dos avec une corde. Ensuite, ils m’ont emmené vers le village et m’ont mis dans un champ juste à côté du village. En tout, il y avait 19 hommes attachés les mains dans le dos et une cinquantaine d’hommes armés. Un milicien en uniforme vert s’est approché et a abattu les hommes les uns après les autres d’une balle dans la tête. Une des balles n’a pas marché, alors il a pris un bâton et a brisé le crâne de l’homme. Ils ont tous été tués…» Ce témoignage est celui d’une adolescente vivant dans la province du Darsila. Son village a été rasé par des Janjawids. Depuis la fin de l’année 2006, ces miliciens Soudanais soutenus par Khartoum multiplient les exactions de ce type sur le territoire tchadien. Certains disent qu’il s’agit d’un simple déplacement du conflit du Darfour vers le Tchad mais c’est aussi un conflit plus ancien et plus complexe que nous allons tenter de vous faire découvrir.

Carte TchadLa province du Darsila fait partie de la région Ouaddaï dont la capitale est Abéché. Ce territoire est peuplé de tribus arabes, nomades aux traditions chamelières et de tribus noires-africaines, sédentaires aux traditions paysannes. Ces deux groupes humains sont de confession musulmane. Les arabes et les noirs-africains du Darsila se sont toujours combattus pour la terre, mais il y a encore peu de temps, des alliances internes étaient scellées et la paix revenait pour quelques années. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un chef de tribu arabe du Darsila raconte : « Le plus grand problème est celui de l’eau. Les Africains (noirs, ndlr) sèment des champs des deux côtés du fleuve. Durant la saison des pluies ce n’est pas un problème, mais à la saison sèche c’est la seule eau pour nos animaux. Ils font des barrières d’épines autour de leurs champs et bloquent notre passage vers l’eau. L’arrivée massive des réfugiés noirs-africains Soudanais a accentué les tensions. Les rebelles du Darfour sont venus ici parmi les réfugiés et certaines personnes ont commencé à dire : ceci est mon territoire, les Arabes ne peuvent pas venir ici avec leurs animaux. »

Etats manipulateurs

 

Ce conflit dépasse le simple problème ethnique et montre la faillite de l’Etat. L’armée trop onéreuse à équiper et entretenir a peu à peu été remplacée par des miliciens. Le gouvernement profite du dénuement de ces individus afin de mieux les instrumentaliser à des fins économiques et politiques. Il les arme et leur permettent implicitement de piller pour financer leur campagne et ferment les yeux sur les viols et les massacres. Ce phénomène de substitution de l’armée par des miliciens se retrouve également au Soudan. C’est par ce biais que les Etats enveniment la situation en se servant de leurs problèmes séculaires. A cela s’ajoute l’évolution de la société Africaine qui écoute de moins en moins ses « anciens ». Les nouvelles générations ont remplacé leur autorité ancestrale par celle des armes automatiques et estiment n’avoir de comptes à rendre à personne. Le mode de régulation qui consistait donc à sceller des mariages pour créer des lignages entre les tribus arabes et noires-africaines ne fonctionne plus.

 

Le conflit Tchadien est bien sûr lié à celui du Darfour qui débute en 2000 lorsque des groupes régionalistes noirs-africains se structurent. Ils réclament l’attention de l’Etat, dirigé par les arabes, pour le développement de leur région et un meilleur partage du pouvoir. Khartoum répond en armant des milices arabes qui commencent dans le Darfour nord, une politique de la terre brûlée, pillant les villages et déplacement systématiquement les populations liées aux rebelles et notamment les Zaghawas. C’est au travers de cette tribu que vont se cristalliser les tensions entre le Soudan et le Tchad. Idriss Deby, Président Tchadien est justement de cette ethnie Zaghawa. Lorsque les rebelles Soudanais lui demandent son appui au nom d’une solidarité interethnique, il refuse mais ne condamne pas les dignitaires de son régime ou des militaires qui prennent l’initiative, par solidarité de soutenir les rebelles ou même de se battre dans leurs rangs. Cette action a été la première étape vers les tensions entre le Tchad et le Soudan. La situation au Tchad a véritablement dégénéré en octobre 2005, en parallèle du conflit du Darfour, lorsque l’Armée nationale Tchadienne décide de se redéployer à la frontière pour pouvoir se renforcer dans les villes stratégiques d’Adré et Abéché. Ne pouvant pas assurer la sécurité de toute la frontière, elle s’appuie sur les tribus « noires-africaines » en armant elle aussi des miliciens. Les communautés arabes, suspectées de soutenir la répression Soudanaise sont montrées du doigt. Cette politique de stigmatisation ne fait que renforcer les tensions qui existaient entre les différentes ethnies.

 

Des militaires désarmés

 

Pour le contingent Français présent à Abéché, le champ d’action est assez réduit. Les 1 500 hommes déployés sont là officiellement pour apporter un soutien logistique aux Organisations Internationales qui gèrent les camps de réfugiés sous l’égide de l’AMIS (African mission in Sudan). Pour le Capitaine Suir, porte parole de l’Etat Major des Armées, les choses sont claires, il n’est pas de leur ressort d’intervenir militairement face à ces milices armées : « Nous sommes principalement là pour aider les organisations internationales. Nous apportons également un soutien à l’armée Tchadienne sur le plan de la formation militaire ainsi que dans les domaines de la logistique, du renseignement et de la santé. Mais nous n’avons aucun accord de défense signé avec eux. Le Tchad est un pays souverain. Il n’est donc pas de notre ressort de participer avec eux à la protection de leur territoire contre les attaques Janjawid ou autres. La non ingérence est essentielle.  » La souveraineté Tchadienne est bien évidemment incontestable mais il est dommage dans la situation actuelle que l’accord bilatéral signé entre les deux pays en 1976 ne permette pas à la France d’intervenir de façon plus importante.
La situation déjà dégradée au Tchad ne pourra pas attendre qu’elle empire comme au Darfour pour que la communauté internationale se décide à réagir. En France, même si des organisations tentent de sensibiliser l’opinion publique, elles restent bien impuissantes. Nicolas Sarkozy, l’hyper Président dans sa boulimie de voyages aériens ne devra donc pas négliger l’aéroport d’Abéché.

 

Romain Katchadourian

[vpod.tv/latelelibre/265566]

Partager cet article

Les commentaires (1)