VU D'IRLANDE : SI LE "NON" L'EMPORTE, NE NOUS FAITES PAS LA LEÇON…

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Humeur et analyse de Maura Stewart, correspondante de LaTéléLibre.fr en Irlande, à la veille du référendum irlandais pour l’adoption du Traité de Lisbonne, à l’heure où l’inquiétude monte, en particulier en France, face à la perspective d’une éventuelle victoire du NON. Texte préventif : même si le NON l’emportait, les Irlandais n’ont pas de leçon à recevoir des Français !

Par « une Européenne Convaincue »

« Je crois que la première victime d’un « non » éventuel, auquel je ne veux pas croire, ce serait les Irlandais. Oui, ils en ont profité plus que les autres. Oui, ils ne sont pas contents parce que peut-être on ne leur a pas dit que l’Europe était confrontée au reste du Monde et que pour avoir des atouts pour eux-mêmes, pour les Irlandais, pour développer leur commerce, leurs industries, florissantes depuis que l’Europe est là, depuis qu’ils sont au cœur de l’Europe, eh bien il faut que l’Europe se développe, qu’elle aille dans le sens du Traité de Lisbonne. Tout le monde va le ratifier. Ce serait quand même très, très, très gênant pour la pensée honnête qu’on ne puisse compter sur les Irlandais qui, eux, ont beaucoup compté sur l’argent de l’Europe. »
Bernard Kouchner, Ministre des Affaires étrangères, sur RTL, le 9 juin 2008

« Les Irlandais ont tout obtenu de l’Europe et ils n’en ont pas conscience. »
Daniel Cohn-Bendit, Le Monde, le 7 juin 2008

Ces extraits représentent, peut-être, les meilleurs exemples de la sorte de réaction qui attend l’Irlande si elle vote « non » au traité de Lisbonne ce jeudi.

Les meilleurs parce que résumant bien l’avis général d’autres pays européens : l’Irlande ne doit pas dire « non » car elle a été la grande bénéficiaire de l’UE.
Mais ils sont aussi les pires, parce qu’ils viennent d’hommes dont « le » pays a fait l’expérience d’une campagne référendaire sur quasiment le même texte il y a trois ans, la France.

Comme le souligne Valéry Giscard d’Estaing, le père du projet du défunt traité constitutionnel, « […] les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils » (son blog, le 26 octobre 2007).
En plein grands préparatifs de la présidence française de l’UE qui débute dans quelques semaines, il semble facile d’oublier que, durant le campagne référendaire de 2005, les Français, comme les Irlandais, ont exprimés leurs craintes, leurs inquiétudes et, au final, leur incompréhension d’un traité complexe.

Le slogan lancé par Philippe de Villiers (Mouvement pour la France) : « on a tous une bonne raison de dire non » semblait incarner le succès du « camp du non » en France, face à un « camp du oui » qui avait du mal à « vendre » le traité constitutionnel et dont les arguments étaient multiples et contradictoires.
Ce dernier, en 2005, n’est pas parvenu à apaiser les craintes concernant l’insécurité sociale et nationale engendrées par exemple par la directive Bolkenstein, le « plombier polonais » et la question de la Turquie. Selon les sondages effectués à la sortie des bureaux de vote, les motivations principales du non étaient la peur que le traité aggrave le chômage en France, le désir d’exprimer le mécontentement envers la situation économique et sociale du pays, et la conviction qu’on aurait pu négocier un meilleur traité.
Donc, le résultat du référendum français était à la fois un résultat franco-français et franco-européen, un mélange d’angoisses fondées et infondées, un vote basé sur le pessimisme du présent et la peur de l’avenir.

La campagne référendaire en Irlande n’échappe pas à ces ingrédients.

Depuis la publication d’un sondage de l’institut TNS/MRBI dans The Irish Times (quotidien irlandais) vendredi 6 juin, le « non » est passé en tête pour la première fois, crédité de 35% des intentions de vote contre 30% pour le oui. 35% des sondés restent indécis.

Les enjeux majeurs qui incitent les sondés à voter non sont : l’incompréhension et la complexité du traité (30%) ; le maintien du pouvoir irlandais et de l’identité irlandaise (24%) ; et la sauvegarde de la neutralité irlandaise (22%).

Il est ironique que les Irlandais trouvent difficile un texte qui est le fruit d’un texte précédent lui-même déjà jugé trop difficile par un grand nombre de Français il y a trois ans. De plus, ce traité de Lisbonne s’inspire du « traité simplifié » de Nicolas Sarkozy qui a voulu réconcilier la France du oui et la France du non en limitant le texte aux questions institutionnelles.
Il a réussi à faire disparaître la référence à la concurrence « libre et non faussée » de la liste des « objectifs de l’Union ». Cette référence avait été l’un des arguments majeurs des tenants du non en 2005. Pourtant, cette référence reste toujours dans les traités existants auxquels ce traité de Lisbonne applique des amendements. Du côté de ce jeu de cache-cache, donc, pas de quoi simplifier les choses pour les gens qui veulent comprendre mieux le fonctionnement de l’UE.

Le camp irlandais du oui, comme en 2005 en France, est sur la défensive, acculé à la contre-attaque permanente, obligé de répondre aux arguments, vrai ou faux, du camp du non qui s’est dès le départ imposé comme le meneur du débat. Ceux-ci menant une campagne plus audible et plus efficace que ceux du oui.
Même si la plupart des partis politiques et des syndicats soutiennent ce traité, il n’est pas évident de surmonter les inquiétudes attisées par le grand message du camp du non : « l’indépendance de la petite nation irlandaise sera broyée par la grande Europe » (Marion Van Renterghem, Le Monde, le 6 juin 2008).

Comme leurs homologues français en 2005, les pro non ont pris l’offensive, se servant des phrases, des articles du traité pour mettre en avant des domaines très délicats pour les Irlandais. Lorsqu’ils font allusion à la future rotation des commissaires, ils prétendent que l’Irlande perdra son influence et son pouvoir au sein de l’UE. Quand ils font référence à la possibilité d’augmenter le nombre des domaines où l’on peut voter à la majorité qualifiée double, ils déclarent que l’Irlande perdra son droit de veto irlandais en matière de fiscalité.
Par ailleurs, les clauses du traité qui prônent une augmentation du budget militaire, une coopération plus étroite entre les états membre en ce qui concerne la défense, permettent au camp du non de brandir un argument massue dans une république neuve, attachée à son indépendance reprise à la Grande-Bretagne il y moins de cent ans : la perte de la neutralité irlandaise.
Le commissaire Peter Mandelson remplace le commissaire Frits Bolkenstein pour le rôle du « bouc émissaire européen », parce qu’il participe aux négociations de l’Organisation mondial du commerce (OMC) qui pourrait finir par un accord inadmissible sur la libéralisation des échanges agricoles.

En outre, la tâche est compliquée par la prochaine présidence française de l’UE. Cette présidence sera l’occasion pour le Président Sarkozy de déployer tous ses talents d’action, de détermination et d’habileté qui ont perdu un peu de leur fraîcheur aux yeux des Français eux-mêmes. Son désir de bouger sur tous les fronts, sa volonté de faire avancer l’Europe comprennent, néanmoins, des projets comme la défense et l’harmonisation européennes qui sont comme le rouge pour les taureaux du camp du non irlandais.
Et puis, on a des déclarations comme celle (susmentionnée) de son Ministre des Affaires étrangères, M. Bernard Kouchner.

Les Irlandais sont très reconnaissants envers cette Europe qui a permis à leur pays d’intégrer avec brio le marché européen, de moderniser son économie, d’avoir plus de confiance en elle-même, d’ouvrir son esprit à d’autres possibilités, d’envoyer ses étudiants dans les autres universités européennes.
Contrairement à ce que pense M. Kouchner, les Irlandais savent très bien que l’Europe est « confrontée au reste du monde » et qu’« il faut que l’Europe se développe ». Pour affronter le reste du monde, l’Irlande a réduit ses dépenses publiques, ce qui a entraîné une baisse du nombre des fonctionnaires et des impôts à la fin des années quatre-vingt.

Comme souligne Nicolas Lecaussin : « On préfère attribuer les succès économiques de l’Irlande aux aides européennes. En réalité, la croissance économique irlandaise a été plus forte au fur et à mesure que les aides ont baissé. […] les raisons […] tiennent aux mesures structurelles prises par les autorités. » (Cet Etat qui tue la France, p. 296-297).

On peut dire que, l’année dernière, l’une des motivations du vote pour Nicolas Sarkozy était le désir de faire implémenter des réformes structurelles pour augmenter le pouvoir d’achat des Français, pour baisser le taux du chômage, pour créer une vie où « tout est possible ». Les Irlandais reconnaissent très bien ce que l’Europe a fait pour eux, mais la reconnaissance est-elle un bon argument en soi pour les inciter à voter pour ce traité ?
Dans son discours du 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy a adressé son amitié aux Américains, mais a également ajouté que « l’amitié, c’est accepter que ses amis puissent penser différemment ». Cette phrase évoque une France qui reconnaît que la France a été l’un des plus grands bénéficiaires du plan Marshall après la deuxième guerre mondiale et que les USA ont également joué un rôle non négligeable dans les débuts de la construction européenne. Malgré sa reconnaissance, la France reste fidèle à son héritage de Liberté, Égalité, Fraternité et ne se contente pas de se taire quand elle ne partage pas l’avis de son grand ami.

Un grand nombre d’Irlandais n’oublie pas l’amitié des États-Unis qui ont accueilli leurs ancêtres à bras ouverts tout au long ces derniers deux siècles. Il en est de même pour l’Europe.

L’Irlande contribue au budget européen. L’Irlande attire les autres Européens qui ont du mal à « travailler plus pour gagner plus » dans leurs propres pays.

Contrairement à ce que croit M. Cohn-Bendit, un grand nombre d’Irlandais veulent que les nouveaux pays membres aient la même chance de changer leurs vies pour le meilleur. Mais en Irlande, comme en France il y a 3 ans, il y a des gens qui se méfient de ce traité car pour eux, il représente le grand inconnu.

En plus, cette méfiance reflète le malaise culturel général devant la politique non-nation, non-état que représente l’UE (Laurent Pech, The Irish Times, le 7 juin 2008).

L’Irlande est un petit pays mais c’est un pays aussi fier que la France.


Cette idée d’être redevable semble se heurter à la raison d’être du projet européen.
Si M. Kouchner compte sur les Irlandais pour ratifier le traité de Lisbonne et pour ne pas perturber le programme de la présidence française de l’UE, les Irlandais, eux, comptent sur la compréhension des Français qui ont connu une campagne référendaire aussi turbulente il y a trois ans.
Quant à la réaction française, les Irlandais préfèrent recevoir une leçon de M. Voltaire qu’une leçon de M. Kouchner  : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » (Voltaire).

Maura Stewart

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Les commentaires (10)

  1. Bonsoir,
    par pitié, chers soeurs et frères irlandais, dites « NON », haut et fort! Vous sauvegarderez ainsi un peu de la liberté qui nous a été spoliée, à nous, Français. Et je suis bien d’accord, aucune leçon à recevoir, et de personne! Vive la République d’Irlande, vive l’Eire!

  2. Ah ah, vilaine ! Il n’y à pas que le camp du oui qui soit sur la défensive, la preuve ! Excellent article.

  3. Une chose m’intrigue !!!! s’ il suffisait de voter toujours OUI ??!!! il suffit de ne pas nous demander notre avis !!!!

    Ou alors le plus simple démocratiquement parlant serait de consulter le Peuple Européen le même jour, lorsque de très importantes décisions sont prises et engagent ces Peuples dans la longue et seule marche vers ce rêve Européen.

  4. le NON des français sous Chirac s’est exprimé, de meme que celui des Hollandais, il reste aux Irlandais à s’exprimer dans le même sens. Merci à Maura Stewart qui nous rafraîchit en nous sortant de la rubrique mondaine hexagonale, après l’article daté d’hier. sur la fondation Chirac..dont par ailleurs les commentaires montrent l’accord des lecteurs de la TeleLibre . C’est exceptionnel.
    La démocratie s’exprime en Europe occidentale c’est celà l’essentiel.
    Oublions Chirac et ses problèmes persos ! Quant à Sarkozy, il risque de manquer d’Eire »… comme le dit le « Canard enchaîné’ de cette semaine

  5. les Irlandais ont la chance de pouvoir voter .Encore une petite trace de democratie en Europe!!
    on n’est pas obligatoirement contre l’Europe quand on dit Non à un texte qu’on estime mauvais.Annuler le vote des peuples par un autre texte vote par la »representation nationale » n’est pas le bon chemin pour faire adherer à l’Europe et qu’elle est une chance de vivre bien et longtemps…..
    Par pitie’sauvez la democratie et l’Europe en disant Non.Peut-etre(il faut rever) que nos gouvernants finiront par comprendre qu’ils ne sont pas sur la bonne route

  6. Quand à forceps-sarko !!!! il aura bien du mal, si l’Irlande, ce que je souhaite nous venge de la méprise de notre nain à l’ endroit du vote du Peuple Français.

    Amis Irlandais rendez nous notre vote; une majorité de Français vous soutient, nous vous en serons reconnaissants ainsi que tous les Peuples Européens privés de consultation.

  7. L’Irlande a dit non
    C’est donc au peuple Irlandais qu’a échu l’honneur de venger celui du peuple Français. Le NON au traité de Lisbonne rend toutes les manipulations du gouvernement caduques. A moins que Sarko nous sorte encore un lapin de son chapeau…

  8. sarko, auquel je souhaite une bonne soirée !!!!! a du pain sur la planche.

    Le fossoyeur du rêve Européen par son nombrilisme aigu, son arrivisme outrancier, son mépris des autres Peuples, son people, ses gouts de luxe, plonge l’Europe comme jamais aucun chef d’Etat Français n’a plongé, ni L’Europe, ni son propre Pays.

    Je pense, pour mauvaises notes, nicolas le minuscule devrait quitter ses fonctions pour le plus grand bien de toute l’Europe !!!!! y compris le Peuple Français !!!

    Merci amis IRLANDAIS, vous nous avez rendu notre voie.