MOSCOVICI : « CE PRÉSIDENT AIME L’EUROPE, OUI, MAIS SI ELLE LUI RESSEMBLE »

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INTERVIEW

PAR MAURA STEWART, CORRESPONDANTE DE LATÉLÉLIBRE EN IRLANDE

 

A quelques jours du début de la Présidence française de l’Union européenne, et peu après le « non » de son pays, Maura Stewart, la correspondante de la TéléLibre.fr en Irlande interroge l’opposition française, en l’occurrence le député Pierre Moscovici. Pour Moscovici : « Ce Président aime l’Europe, oui, mais si elle lui ressemble. »

D’ici quelques jours, la France assumera la présidence de l’Union européenne. Le climat n’est pas au beau fixe : le coût du gazole, la pêche en faillite, l’inflation, la hausse possible des taux de la BCE (Banque Centrale Européenne). Pour faire court.

De plus, la tâche est compliquée par le « non » irlandais au traité de Lisbonne, qui empêche les dirigeants européens de mettre fin aux discussions institutionnelles. Donc, tous les regards sont tournés vers la France, et en particulier vers Nicolas Sarkozy, pour donner une nouvelle impulsion à l’UE. On peut dire que c’est un travail fait pour le Président français, connu pour son goût de l’action, son franc-parler et son talent pour attirer l’attention.

On l’a vu avec ses critiques de la BCE durant la campagne présidentielle, sa volonté de poursuivre son idée d’une Union de la Méditerranée malgré les réticences de ses partenaires européens, son programme ambitieux pour la présidence de l’UE qui avait accrû les ennuis des dirigeants irlandais pendant la campagne référendaire.

Quant aux ennuis français, l’Insee vient d’annoncer que le moral des ménages français a reculé de quatre points. Par conséquent, s’il est vrai que la prochaine présidence française vise à améliorer l’image de l’UE aux yeux des ses citoyens, elle vise également à faire voir aux Français leur Président sous un nouveau jour.

Pierre Moscovici, membre du Parti socialiste, député du Doubs et ancien Ministre des Affaires européennes, a bien voulu répondre à mes questions sur cette prochaine présidence.

Maura Stewart : Lors de son discours de victoire du 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy a proclamé que « la France est de retour en Europe ». Pensez-vous que c’est le cas, un an après ?

Député Pierre Moscovici : Pour le chef de l’Etat, qui depuis son élection en mai 2007 n’hésite pas à s’accorder la palme de « sauveur » de l’Union européenne, « la France est de retour en Europe ». Elle aurait selon lui retrouvé son influence, réimposé ses valeurs, reconquis un rôle de moteur dynamique de la construction communautaire. Pour autant, le processus de ratification du traité de Lisbonne marque-t-il la fin de la « crise » européenne ? Rien n’est moins sûr… Et ce d’autant plus qu’aujourd’hui, le « non » irlandais fait planer une menace sur la sortie de la crise institutionnelle. Plutôt que de céder à l’optimisme béat, il faut voir dans la future présidence française de l’Union européenne, qui aura lieu au second semestre 2008, une opportunité à saisir : tâchons de ne pas manquer l’occasion.
Par ailleurs, nous ne sommes pas toujours les meilleurs élèves de la classe en ce qui concerne l’Union européenne. Ni le niveau élevé de notre déficit budgétaire, ni nos condamnations répétées par la CJCE ne nous placent en position de force. Car si la France est respectée, elle est aujourd’hui suspectée de ne pas toujours se plier aux règles du jeu communautaire. Or notre présidence de l’Union nécessite plus que jamais que nous soyons exemplaires quant au respect de nos obligations européennes. La ratification parlementaire du Traité de Lisbonne par les députés et les sénateurs français réunis en Congrès à Versailles en février dernier constitue un premier pas en ce sens. Il faudra transformer l’essai au deuxième semestre de 2008.

M.S.: La présidence de l’Europe représente toujours un défi diplomatique pour le pays qui en a la gestion. De l’étranger, nous avons l’impression que le gouvernement de M. Sarkozy prend cette présidence très à cœur. Pensez-vous que cette présidence puisse renforcer le pouvoir de la France sur la scène internationale lors de ce mandat ?

P.M. : Vous avez raison, d’autant qu’il ne faut pas perdre de vue que la question de l’influence de la France au sein de l’Union européenne se pose aujourd’hui avec une acuité renouvelée. La question de la présidence française de l’Union européenne se pose au regard de ces éléments : l’influence de la France régresse-t-elle ? Quelles sont ses marges de manœuvres ? Comment renforcer son influence ?
Selon moi, il est impératif que la France sorte vis-à-vis de l’Union européenne d’une logique d’influence défensive pour arriver à une influence plus en aval. Il n’est pas inutile de rappeler, sans passer pour toutes les étapes de la construction européenne, que la France a toujours eu une influence importante mais aujourd’hui déclinante et qu’elle est passée d’une présence héritée à une présence contestée. Je voudrais ici juste mentionner rapidement 3 facteurs de déclin :

  • La France subit un effet mécanique lié à l’élargissement qui aboutit à une dilution de son influence ;
  • La France a du mal à renouveler sa coopération avec l’Allemagne (le cœur de l’Europe s’est déplacé à l’Est) ;
  • On reproche à la France un manque de conviction certain (on lui reproche son arrogance, sa réticence à transposer les directives, sa transgression du PSC, son absentéisme…).

M.S. : Les quatre priorités de la présidence française de l’UE seront la défense, l’immigration, l’énergie, et l’environnement. Le Parti socialiste est-il en accord avec le but de créer une politique commune européenne dans ces domaines-ci à la fin de présidence française ? D’après votre expérience en tant que Ministre des Affaires européennes pendant la présidence française de l’UE en 2000, ce but est-il réaliste ?

P.M. : Pour le programme de cette PFUE, les chantiers ne manquent pas: relance de la construction communautaire via la réforme institutionnelle ; poursuite des objectifs définis par une stratégie de Lisbonne révisée ; renforcement du couple franco-allemand, restauration d’une relation de confiance avec la Commission ; action déterminée vers un nouveau modèle social et écologique européen, solidarité affirmée avec le Sud et la Méditerranée… Et le diagnostic dressé semble le bon.
Mais la Présidence française devait être une Présidence d’action, elle sera une Présidence de crise. Nicolas Sarkozy, avec les « grands pays », va tenter de passer en force, il développera par ailleurs sa rhétorique néo-nationaliste, stigmatisant l’Europe communautaire pour vendre une hypothétique « autre Europe », il se fera le champion de tous les refus, et ce faisant, il approfondira encore le fossé entre les « élites » et le « peuple » européens. Je crains que les socialistes français, de leur côté, ne s’enferment dans une attitude facile et trop prudente : le traité aurait échoué parce qu’il n’était pas bon, il faut maintenant se concentrer sur l’Europe des projets, sur « l’Europe sociale ». Ce serait prendre acte, définitivement, de la panne européenne, abandonner l’ambition d’une Europe politique, à visée fédérale, d’une Europe régulatrice, d’une Europe puissance.

M.S. : Avez-vous des regrets particuliers par rapport à la dernière présidence française de l’UE ? Quels seraient vos conseils à ceux qui dirigent la présidence prochainement?

P. M. : Le succès de la présidence française est d’autant plus important pour notre pays que la France sera probablement l’un des derniers Etats à assurer la présidence semestrielle du Conseil européen et du Conseil « Relations extérieures » (vu que le traité de Lisbonne, qui pourra entrer en vigueur au 1er janvier 2009, prévoit une présidence stable du Conseil européen, pour une durée de 2 ans et demi renouvelable une fois).
Plus encore que lors de la dernière présidence française de l’Union, je dirais que les conditions de celle-ci sont au nombre de 3 – notamment au regard du « moment » crucial de la construction communautaire à laquelle elle intervient :

  • Tout d’abord une certaine modestie de la PFUE : il ne faut pas oublier qu’une présidence est un moment dans une chaîne. Le Conseil européen de juin 2002 a mis en avant la nécessité pour les présidences à venir de se concerter étroitement sur la définition des programmes d’action. Ainsi pour assurer la continuité dans les politiques et les priorités de l’UE, la Slovénie, qui préside actuellement l’UE, travaille en partenariat étroit avec les prochaines présidences (France, République tchèque) dans le cadre d’un « trio présidentiel ». De même, la France devra travailler en partenariat étroit avec la République tchèque (qui assurera la présidence de l’UE au 1er semestre 2009) et la Suède (qui assurera la présidence de l’UE au 2nd semestre 2009).
  • Le respect des institutions et des partenaires européens : la PFUE doit contribuer à faire avancer l’Europe sans prendre le risque d’accumuler les malentendus avec notre principal partenaire et avec les autres. On peut se demander à cet égard si le Président de la République – comme il n’en a pas fait la démonstration jusqu’ici – en a réellement les moyens.
  • L’exemplarité : La France ne peut pas prétendre présider avec succès et crédibilité l’Union si elle continue de braver les disciplines communes de l’Europe : politique monétaire, discipline de finances publiques, politique de la concurrence, quotas de pêche. Elle doit donc se mettre en conformité avec ces exigences ou bien elle sera condamnée à l’échec.

M.S. : Etant donné que Bernard Kouchner et Jean-Pierre Jouyet, en tant que Ministre des Affaires étrangères et Secrétaire d’état aux Affaires européennes respectivement, ne viennent pas de la famille politique du Président français, pensez-vous qu’ils pourraient contribuer à rendre le style de cette présidence française de l’UE plus consensuel et efficace ?

P.M. : Je crois surtout en la qualité de ces deux ex-camarades et néanmoins amis, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler et que je connais bien. Tous deux ont des qualités remarquables et je ne doute pas une seule seconde de leur capacité à mener de front un tel défi. Jean-Pierre Jouyet fait d’ailleurs preuve, dans la préparation de cette présidence d’une très grande connaissance des dossiers, et ce dans la discrétion et la modestie. Mais j’avoue avoir des doutes quant à leur réelle liberté dans le cadre de la stratégie politique qu’a constitué « l’ouverture » mise en place par M. Sarkozy dans le gouvernement de François Fillon. Si l’effort d’ouverture et d’association de tous les courants politiques soit louable pour porter la voix de la France sur la scène internationale comme sur la scène de l’Union européenne – comme cela a été le cas récemment lors du voyage du Président de la république au Liban – je crains malheureusement qu’il s’agisse bel et bien là d’une ouverture de façade.
Je crains plutôt l’arrogance, l’hybris d’un président qui n’a plus de place au sein de la construction communautaire, au sein d’une Europe à 27. Ce Président aime l’Europe, oui, mais si elle lui ressemble. Dans ce domaine, comme dans d’autres le pire peut être à attendre. La Présidence française n’en doit pas être le lieu d’expression de ce narcissisme.

M.S. : Selon vous, quel est le bilan de Mr Sarkozy au bout d’un an de présidence, en tenant compte de la crise internationale ?

P.M. : Le bilan n’est pas franchement reluisant. C’est selon moi une présidence à la fois nocive – car son orientation est franchement à droite – et extraordinairement inconsistante qu’exerce un homme dépourvu de sérénité, qui ne paraît, un an après, pas taillé pour un rôle qu’il ne semble d’ailleurs pas vraiment apprécier. D’une part il abaisse sa fonction, d’autre part il n’a pas tenu sa parole d’être le Président du pouvoir d’achat, mais surtout il n’incarne rien, ne porte rien, n’a pas d’autre idée pour la France que l’adaptation résignée à son statut de puissance moyenne déclinante dans un monde en bouleversement. Cet homme-là n’est pas vraiment un Président de la République, il est avant tout un sujet de commentaires. Pour moi, il s’agit d’un pouvoir déjà épuisé mais encore là pour quatre longues années, confronté à une majorité découragée par ses échecs municipaux et inquiète sur son avenir, animé par un gouvernement démobilisé par ses couacs en tout genre, un pouvoir sans boussole qui, après avoir gaspillé ses marges de manœuvre dans le « paquet fiscal » n’a d’autre issue qu’une politique d’économies aveugles visant les programmes sociaux. Il revient à la gauche, maintenant, d’élaborer un programme fondamental : c’est la tâche qui nous attend.

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Les commentaires (2)

  1. L’analyse me semble bonne même si Moscovici ne peut s’empêcher de mettre en avant des arguments Franco-français… Vous me direz, c’est normal il fait son boulot d’opposant… mas ce n’était peut-être pas ce qu’on lui demandait.
    Je le rejoins sur un point qui me semble important. Depuis quelques semaines Sarkozy nous vend la présidence française comme un challenge important pour le peuple français. Comme si c’était une de ses réformes à la mord moi le nœud dont il nous abreuve depuis un an… Je crois qu’il fait là une grave erreur de jugement. Les Français ne lui demandent pas de gérer l’Europe mais de s’occuper de leurs problèmes à eux ! De l’augmentation de la pauvreté, du chômage qui ne baissent pas malgré les chiffres truqués… Bref, que des trucs assez terre à terre mais important pour le citoyen moyen. Face à la crise actuelle, construire l’Europe parait être un combat hors-sujet. D’autant plus que Sarko nous donne l’impression de prendre très à cœur ce nouveau job. Un peu comme un roitelet qui se voit prêter pendant un temps le trône d’un autre… Il ferait mieux de s’occuper correctement de sa province plutôt que d’entrer en érection en lorgnant sur l’empire…