GRÈVE DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS: MODE D'EMPLOI

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LIBRE POST

A notre demande, Cazo (régulier posteur de talent sur LaTéléLibre) nous a écrit un article sur la question, plutôt compliquée, du conflit des enseignants-chercheurs. C’est un peu long, mais ça a le mérite d’être clair et argumenté.

Grève des enseignants-chercheurs: les clefs pour comprendre

Le premier problème que soulève cette réforme est celle de l’inadéquation entre les ambitions affichées par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la recherche et ses propositions.

Que veut le gouvernement? Amener 50% d’une classe d’âge au niveau licence, diviser par 2 le taux d’échec en première année et en même temps procéder au non renouvellement de 900 départs à la retraite (450 chez les statutaires: 225 dans l’Enseignement Supérieur, 225 dans les établissements de recherche; 450 chez les non statutaires). Le Ministère précise qu’il ne s’agira pas d’Enseignants Chercheurs (EC)… Il s’agira donc de personnel administratif, dont le travail devra bien être assuré par quelqu’un d’autre (j’ignorais que les universités françaises étaient si bien pourvues…). Il faut savoir que les EC assument de multiples fonctions, en plus des 192 heures d’enseignement TD (ou 128 heures de cours magistraux), auxquels s’ajoutent les heures de préparation de cours, de surveillance d’examens, de corrections, non quantifiables, et différant selon les matières enseignées. Ils passent notamment beaucoup de temps dans des réunions de département, de laboratoire, et exercent de nombreuses tâches administratives comme certaines inscriptions (TD, séminaires, etc.), ou même entrer leurs notes sur l’ordinateur central de l’UFR!!
Normalement, aux heures d’enseignement, devraient correspondre un même volume d’heure consacré à la recherche. Or, bien souvent, le temps dévolu à la recherche est bien plus important, et nombreux sont les chercheurs qui prennent sur leurs vacances, leurs week-ends, leurs nuits, pour tenter de faire de la recherche, avec souvent des moyens de “fortune”… de misère serait plus approprié!! Dans une dynamique de laboratoire, au delà des recherches proprement dites, il y a l’encadrement des étudiants en master et en première année de doctorat, le travail effectué à chercher des subventions, à répondre à des appels d’offre, sans aucune certitude de retour favorable, la préparation à la participation à des colloques pour présenter diverses études, qui ne sont pas retenues pour évaluer “l’excellence” d’un chercheur, auxquels s’ajoutent les sacro-saintes publications, qui peuvent demander de nombreuses heures, et peuvent finalement être blackboulées pour des raisons autres que leur qualité, quand ce n’est pas la revue elle-même qui n’est plus qualifiante.

Car il ne s’agit pas simplement de publier, encore faut-il que la revue soit suffisamment cotée (3 niveaux) pour que cela rapporte des points servant à estimer la qualité du chercheur. Les publications sont soumises à des jeux et enjeux où rivalités personnelles et favoritisme sont légions, même dans des revues de réputation internationale. Il suffit bien souvent de regarder l’OURS de la revue pour comprendre pourquoi telle ou telle publication pourtant de piètre qualité a été retenue. De plus, il est plus facile de publier dans certains domaines de recherche que dans d’autres. Par exemple là où on peut publier une étude sur 10 sujets, il en faut 150 pour un objet d’étude similaire dans une autre discipline, et si ici on peut publier séparément cadre théorique, méthodologie, puis résultats, ces mêmes parties d’une étude ne pourront faire l’office que d’une seule publication ailleurs, c’est là le problème d’une approche comptable de la valeur des publications pour estimer l’excellence d’un chercheur. On peut d’ailleurs s’étonner qu’alors qu’on ne cesse de réclamer aux chercheurs qu’ils fassent des efforts pour vulgariser leurs travaux, ce genre de publications ne soit pas valorisé!!


Que propose le Ministère?… Eh bien que le Président de l’université puisse, en fonction des nécessités et de la qualité des recherches d’un EC, moduler son temps imparti à la recherche et à l’enseignement.
Ce modèle est déjà en place aux USA: résultat, les “mauvais” chercheurs assurent pratiquement tout leur service à enseigner aux premiers niveaux de la formation universitaire, quand les “bons” ne se consacrent plus qu’à la recherche. On peut donc se demander sur quelles bases ces choix seront effectués, avec tous les problèmes de subjectivité que cela soulève, et dans quelle mesure cela est cohérent avec les ambitions affichées concernant la réussite des étudiants sur les premières années. Je ne pense pas qu’un enseignant chercheur qui passera la majorité de son temps de travail à enseigner en amphi le fera de gaîté de coeur et transmettra avec passion ses connaissances, ce qui aura nécessairement pour conséquence un moindre intérêt de son auditoire pour son cours.


L’une des préoccupations majeures des EC concerne le poids de plus en plus important accordé aux financements privés.

Ainsi, en 2009, 57% des moyens nouveaux seront dédiés à la recherche privée, contre 43% à la recherche publique, et entre 2009 et 2011, la part du privé sera multipliée par deux, passant de 170 M€ à 349 M€. Des chercheurs universitaires pourront être détachés, pour l’intégralité de leur service, auprès des entreprises privées. Avec les financements privés, les inégalités vont se creuser entre les universités dont les cursus intéresseront les entreprises (sciences, pharmacie, médecine, économie, droit) et les autres (sciences humaines et sociales, lettres, etc.). Qu’est-ce que cela implique? Tout d’abord, des contraintes sur les thématiques de recherche. Ensuite, les entreprises privées, au lieu d’assumer une part de leur bénéfice à développer leur propre secteur recherche et développement, se rabattront à moindre coût sur le vivier des doctorants de l’université. Ne perdons pas de vue que de nombreux économistes ont démontré que pour garantir une croissance de 10 à 15% à leurs actionnaires, de nombreuses entreprises ont sacrifié leur secteur recherche et développement. Bref, il s’agit là de rendre un fier service au privé en lui facilitant les choses. Bien entendu, les brevets développés appartiendront au financeur et aucune retombée financière pour l’université, le laboratoire, ou le chercheur n’est à espérer, tout au plus un point de marketing à mettre en avant dans la plaquette pour attirer l’étudiant-client. Ensuite, cela permettra aux entreprises de ne point s’encombrer de chercheurs salariés, de récupérer le fruit de leur matière grise, et éventuellement, le cas échéant, d’en recruter un pour ses qualités exceptionnelles. D’ailleurs, si 25% des entreprises sont prêtes à jouer le jeu du financement, elles ne sont que 10 à 15% à déclarer qu’elles seront susceptibles d’embaucher ces doctorants par la suite. Et ce ne sont là que des déclarations, la réalité des faits sera bien pire.
Le financement privé de la recherche universitaire, qu’il concerne l’établissement ou des projets de thèse, ou qu’il passe par des fondations, donnera lieu à des exonérations d’impôts. Connaissant le système français, on verra donc éclore des fondations tartempions, qui permettront à moindre frais d’organiser le financement de recherches à visées plus que lucratives pour les entreprises dont elles seront l’émanation. On peut donc d’ores et déjà s’attendre à ce que de nombreux chercheurs une fois leur doctorat en poche se retrouvent à chercher tous la même chose et dans le même établissement public: un job au pôle emploi!! D’ailleurs, ce pronostic est attendu puisqu’en même temps il sera possible de recruter des chercheurs pour un projet financé en leur proposant un CDD d’au mieux quelques années, qui pourra par ailleurs être interrompu à tout moment. Il faut savoir que pendant des années, lorsqu’un projet de recherche trouvait un financement, celui-ci ne concernait que l’achat de matériels, et non la rémunération de ceux qui en assumaient le fonctionnement, à savoir bien souvent les étudiants de master ou doctorants, contrairement aux Etats-Unis où la moindre activité exercée dans ce cadre par un étudiant lui est payée.
N’oublions pas que l’introduction d’une part importante de financements privés dans la recherche pourra se solder par ce qui est arrivé à un éminent chercheur du Royaume Uni, spécialiste de la pectine, à qui Monsanto avait demandé d’étudier les “bienfaits” de ses pommes de terre OGM. Parce que ce grand professeur a osé dire que compte tenu de ses études sur ce produit, il n’était pas souhaitable que l’on mette sur le marché cette pomme de terre OGM et que les citoyens britanniques servent de cobaye, il a été démis de ses fonctions en 48 heures et son laboratoire dissous en moins d’une semaine. En France, de nombreux chercheurs subissent les pressions des lobbies de l’agroalimentaire, mais sont encore protégés par les organismes qui les abritent, mais pour combien de temps?… Ce n’est d’ailleurs plus cas pour certaines recherches subventionnées par le privé à l’INRA, et des agences comme l’AFSSA sont déjà noyautées par des représentants des lobbies de l’industrie pétrochimique et pharmaceutique ou de l’agroalimentaire, tout comme l’Académie des Sciences ou de Médecine roule ouvertement pour ces mêmes lobbies. Lorsque même la recherche universitaire publique sera assujettie aux deniers privés, il sera difficile d’entendre un son de cloche autre que celui orchestré par ces intérêts privés. C’est là un immense danger pour la société, car il n’existe pas en France les garde-fous qui existent ailleurs, où les fonds versés à des fondations “humanistes” permettent de subventionner des recherches indépendantes et souvent contradictoires.
Par ailleurs, l’état garantira l’obtention de 60 000 prêts pour les étudiants, pour un montant moyen de 7500€ annuels, qu’ils devront rembourser une fois un emploi trouvé et l’obtention d’une rémunération dépassant un certain seuil (non fixé pour l’instant). Là encore, l’emballage est plus beau que le cadeau réel. D’abord, je doute fort que ce prêt soit accordé à des étudiants dont les choix ne seront pas susceptibles de déboucher sur un emploi sûr de sûr une fois les études finies. Ensuite, les enseignants-chercheurs nord-américains que je connais et qui ont emprunté pour faire leurs études, mettent souvent dix ans à rembourser. Après des années de précarité financière pour l’étudiant pauvre, suivront encore donc des années de vache maigre, avec ce que cela implique à des âges où les individus peuvent avoir l’envie saugrenue de fonder une famille!! Enfin, cela n’augure rien de bon concernant les coûts d’inscription dans les universités, qui pourront être substantiellement augmentés en prétextant que compte tenu du nombre de débouchés potentiels qu’offre leur formation supérieure, les banques se feront un grand plaisir à subventionner leurs étudiants.


Enfin, sur les milliards annoncés, une grande partie du budget sera consacrée à la rénovation des bâtiments,
qu’il s’agisse des universités elles-mêmes, des restaurants universitaires, ou des cités universitaires. Ce ne sera pas un luxe tant la situation était lamentable, une situation ne rivalisant qu’avec la décrépitude d’autres établissements publics, les maisons d’arrêt et les centres pénitentiaires, c’est pour dire!! Ce sont là quelques uns des problèmes que soulèvent les projets de réforme de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche de ce gouvernement, car malheureusement il y en a beaucoup d’autres, notamment la composition des commissions chargées d’évaluer la poursuite du financement d’un projet de recherche, l’avancement des carrières, dont la moitié des membres sera désignée par le premier ministre et le ministre en charge de l’éducation supérieure et de la recherche (donc contrôle politique de la recherche et des chercheurs), le choix des axes prioritaires en matière de recherche, qui démontre une vision à court terme de la recherche, la fin de l’indépendance budgétaire des IUT, le démantèlement du CNRS, etc.

Z’avez tout lu??… Naaannnn, je le crois pas….

Comment par cazo — 3 avril 2009

Pour voir ce que nous avons déjà fait sur ce sujet, c’est ici.

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Les commentaires (12)

  1. Oh, Cazo !!!
    Que tu es joli !
    Que tu me sembles beau !
    Sans mentir, si ta recherche
    Se rapporte à ton écriture
    Tu es le phénix des posteurs de ce site

  2. Avec un petit temps de retard, puisque notre cher Cazo l’a déjà posté sur la video des chercheurs…mais on ne s’en lasse pas !!

    Merci.

  3. Tout est dit. Sans vouloir faire de la congratulation systématique, c’est clair net et précis. On comprend bien la logique commerciale qui tend à être imposée à notre système étudiant et les dérives inhérentes à cette logique…
    Ce qui m’interpelle le plus dans tout cela, c’est la hiérarchisation que cette course au financement va introduire dans la recherche. Tel ou tel domaine sera sur-financé en fonction des résultats supposés lucratifs, alors que d’autres, moins « sexy », tomberont dans l’oubli. Ainsi, des pans entiers de la recherche vont disparaitre sous le fallacieux prétexte qu’ils ne rapportent pas autre chose que la simple connaissance… C’est lamentable.

  4. T’as rien d’autre à foutre de ta journée que de baver des conneries stériles et connes sur ce site ?

  5. Quand on pense être le seul à détenir la vérité moi j’appelle cela de l’intégrisme … la dérision est alors la seule réplique !

  6. « Si la religion est l’opium des peuples, l’intégrisme est le crac des imbéciles ! »

  7. Rantanplan, les chiffres que j’avance sont de source gouvernementale, et mon opinion ne reflète que les craintes fondées sur la situation des universités et de la recherche dans les pays ayant fait le choix d’introduire des financements privés dans l’enseignement public supérieur. Je n’impose rien, je ne suis pas opposé à des réformes concernant l’université, tout comme l’ensemble des enseignants-chercheurs du reste, et chacun est libre de contre-argumenter. Ce n’est donc en rien de l’intégrisme, dont je te conseille de vérifier la définition dans un dictionnaire. Ta contribution s’apparente effectivement à la dérision, bien que le terme dérisoire soit plus approprié…