WAR LOGS: LA PLUS GRANDE FUITE DE RENSEIGNEMENTS DE L’HISTOIRE DE LA GUERRE

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Billet de Martin Untersinger, initialement publié sur OWNI

Après la divulgation il y a quelques mois d’une vidéo dévoilant une bavure américaine en Irak, le site Wikileaks avait déclaré détenir des informations sensibles sur la guerre en Afghanistan.

C’est hier en fin de soirée, que le site d’information Wikileaks (« wiki fuites » en français)) a mis au jour la plus grande fuite de toute l’histoire de la guerre et du renseignement. Plus de 90,000 fichiers militaires, documentant la guerre en Afghanistan sur une période allant de 2004 à 2009, ont été ainsi mis à la disposition du public. Le Guardian, le New-York Times et Der Spiegel ont eu la primeur sur l’information et révèlent la chronologie de l’échec patent de la guerre en Afghanistan. Ces rédactions ont eu accès à ces documents il y a déjà plusieurs semaines, acceptant de ne les publier que hier dimanche, au même moment que Wikileaks. Le New York Times a ainsi pu mener un long travail de vérification avant publication.

Vous pouvez même adresser vos questions aux reporters du New-York Times qui ont travaillé sur cette affaire.

Bavures

Les rapports révèlent que l’armée américaine a bien souvent minimisé ses dommages collatéraux, en les faisant passer pour des actes d’insurgés Afghans. Selon Rachel Reid, militante de Human Right Watch citée par le Guardian “ces fichiers mettent en lumière une tendance persistance des Etats-Unis et de l’OTAN : la dissimulation des victimes civiles”.

Les fichiers dévoilés par Wikileaks dévoilent également une réalité peu connue, celle du rôle joué par certaines unités des forces spéciales chargées – en dehors de la chaîne de commandement traditionnelle – de trouver et d’éliminer des leaders insurgés sans autre forme de procès. Ils révèlent également que ces unités spéciales ont fait des victimes dans les rangs des civils.
L’unité spéciale “Task Force 373” est au cœur de ces révélations et aurait commis de nombreuses bavures.

Le double-jeu Pakistanais ?

Les fichiers dévoilés par Wikileaks mettent au jour le rôle ambigu joué par les services secrets Pakistanais. Officiellement alliés des États-Unis (qui financent à hauteur de un milliard de dollars leur lutte contre les Talibans), les documents révèlent que l’armée américaine suspecte l’agence de renseignement pakistanaise ISI d’entraîner et de financer les Talibans. Certains rapports soulignent l’influence du Pakistan dans un projet d’assassinat du président Karzai.

Cependant, d’autres affirment qu’une petite partie de ces informations manquent de fiabilité, provenant de sources proches des Talibans ou d’informateurs soudoyés.

L’impuissance des forces américaines

Selon les rapports, l’armée américaine est dangereusement mise à mal par les “improvised explosive devices” (les explosifs de fabrication artisanales), qui sont à l’origine de nombreux morts, tant civils que militaire.

De même, les rapports mettent au jour l’impréparation technique de certains corps de l’armée, notamment des drones américains dont les performances sont louées par l’état major américain.

Les Talibans utiliseraient également des technologies très avancées, notamment des missiles thermoguidés, élément qui n’avait pas été communiquée par l’armée américaine.

La France n’est pas épargnée

Les forces Françaises ne sont pas épargnées par ces rapports, qui révèlent qu’en 2008, ces dernières ont ouvert le feu sur un bus, blessant gravement 8 enfants.

Le détail de cette opération est accessible ici.

Nous sommes en train de travailler sur une visualisation impliquant les forces armées françaises.

La réaction du gouvernement américain

Dans un communiqué, la maison blanche a fermement condamné la divulgation de ces informations :

“Nous condamnons fermement la divulgation d’informations confidentielles […] qui mettent en danger la vie des soldats américains et de leurs alliés et menacent la sécurité nationale.”

James Jones, le conseiller à la sécurité nationale a déclaré :

Ces fuites irresponsables n’interféreront pas avec notre engagement d’approfondir nos partenariats avec l’Afghanistan et le Pakistan, afin de vaincre nos ennemis communs et supporter les aspirations des peuples Afghans et Pakistanais.

Julian Assange: “Si le journalisme est bon, par nature, il est controversé”

Dans cette vidéo mise en ligne par le Guardian, le fondateur de Wikileaks explique pourquoi il a mis en ligne ces informations sensibles.

“Si le journalisme est bon, par nature, il est controversé” affirme-t-il d’emblée. “Le rôle du bon journaliste est de s’attaquer aux abus des puissants”.

Wikileaks se bat pour la transparence depuis ses débuts, et c’est dans cette optique qu’on été divulgués ces “war logs”, qui dévoilent “la vraie nature de cette guerre”.

Dans la droite lignée du journalisme d’investigation, Julian Assange considère les informations divulguées comme d’utilité publique, permettant au monde entier de “comprendre ce qu’il se passe et traiter le problème”. Le principal intérêt de ces documents selon lui, c’est le “contexte général” qui fournit une chronologie détaillée de la guerre en Afghanistan sur une période allant de 2004 à 2009.

Les abus sont multiples : ”corruption de la classe politique Afghane”, “assassinats perpétrés par les forces spéciales”, “implication du Pakistan et peut-être de l’Iran”.

Quid de ceux qui dénoncent, à l’instar de la Maison Blanche, une mise en danger des troupes américaines ? Julian Assange explique que pour lui, les données susceptibles de mettre en danger les forces américaines sont des données plus récentes, non encore divulguées par l’organisation.

Assange fait évidemment le parallèle avec d’autres documents, les Pentagon Papers, ce document de 10 000 pages dévoilés dans les années 70 sur la manière dont les Américains avaient mené la guerre au Vietnam. Selon lui, les différences avec les War Logs sont différents : “il y a plus de données, diffusées auprès d’un plus grand nombre de gens, beaucoup plus tôt après les évènements”. Et surtout “les gens peuvent faire des retours, commenter, le contextualiser et les rendre compréhensibles”.

Selon lui, la morale journalistique de l’histoire est simple
Creusez très, très profond dans les archives.

La conférence de presse de Julian Assange

Julian Assange va donner une conférence de presse à Londres, à midi (13h heure de Paris). OWNI va tenter d’y assister et publiera ici-même un compte-rendu.

La conférence de presse est diffusée en streaming live à cette adresse.

Télécharger les bases de données

Les serveurs de Wikileaks étant surchargés, vous pouvez télécharger la base de donnée complète :

Comment utiliser ces données ?

Voir un article complet sur les vidéos de l’affaire.

Le Guardian, qui mène un formidable travail de datajournalisme sur cette affaire, a mis en ligne une vidéo expliquant comment lire et manipuler les données dévoilées par Wikileaks.

Chacun de ces 200 éléments d’importance est listé et présenté sous forme de tableau (comme ici, impliquant la France), qui liste la date, la nature, l’emplacement, les protagonistes impliqués, et le rapport qui a suivi (détail ici).

Un glossaire est par ailleurs accessible pour déchiffrer le jargon militaire de certains documents.

Data-journalism

Le Guardian a mis en place une carte interactive et interrogeable, qui permet de consulter pour chaque élément important son contexte et sa nature (cliquer sur l’image pour y accéder).

Le quotidien anglais a également réalisé une carte lisible et très complète (interrogeable également) sur les attaques aux explosifs artisanaux. (Cliquer sur l’image pour y accéder).

Martin Untersinger
(Initialement publié sur OWNI)

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Les commentaires (17)

  1. Ca c’est bon!

    Merci pour les précisions, un peu meilleurs que l’article de rue89 je trouve :)

    Apres ca serait bien d’avoir de la traduction en francais des docs.

  2. Je ne me suis pas encore complétement plongé dedans mais ça m’a l’air intéressant. « J’espère » juste qu’il n’y en a pas trop qui seront sur le cul en découvrant que, voilà, c’est une guerre, en fait. Et que même nous, les américains – merde non, j’veux dire même nous, les français, les occidentaux, civilisés, on fait la guerre. Et qu’on ne fait pas que pacifier des zones, effacer les méchants et sauver des pauvres gens.

  3. Je note que les  » fuites » sur la réalité des guerres surviennent de plus en plus tôt. C’est déjà ça…. Bisness is bisness.

  4. Y aurait des bavures dans la guerre en Afghanistan ???

    Nooonnnn ?… Sans blagues ??….

    Les vraies motivations ne seraient pas celle de la traque d’Al Qaeda et de mettre fin au régime Taliban pour permettre au bon peuple afghan d’accéder à la démocratie ???

    Quoii ???… Je le crois pas !!…

    Il existerait des régimes, des gouvernements corrompus ??? des journalistes inféodés aux pouvoirs ??? Des lobbies militaro-industriels ???

    Alors là, je suis abasourdi… Toutes mes certitudes viennent de de voler en éclats…

    Mais alors… On nous aurait menti ???

    :-D !!

    Des égyptologues ont montré que l’on retrouve déjà de la propagande et des informations bidons sur les guerres menées par certains pharaons dans les hiéroglyphes…

    Mais tant mieux si les infos sont dévoilées plus tôt… mais il faut être bien naïf et ignare en histoire pour croire ce qui est raconté au bon peuple pendant les guerres;

    Georges Clémenceau disait : « On ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse ».

    A mon avis, il savait de quoi il parlait….

  5. Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand. Pour le 11 septembre et pour la lune on sait de source sûre que c’est vrai mais quand c’est pas la guerre, pour les vaccins, la crise, la sécu, l’europe, le pétrole, le nucléaire, les éoliennes les ogm, est-ce qu’on nous ment aussi ?

  6. A mon humble avis ce n’ est pas tant de savoir si On nous ment sur ces sujets, mais quelle politique On applique quand il y a une epidemie de grippe, une crise des marches, un changement du climat, un besoin d’ energie et de nourriture …

    Mentir ? pas la peine, c’ est depasse ! surtout a l’ here d’ internet et de Wikileaks … non, il suffit d’ imposer son point de vue avec un peu (beaucoup) de communication … ensuite les theories du complot detourneront le regard des populations des vrais sujets, comme pourrait le dire Julian Assange, le fondateur de Wikileaks : « I’m constantly annoyed that people are distracted by false conspiracies such as 9/11, when all around we provide evidence of real conspiracies, for war or mass financial fraud. »

    http://www.belfasttelegraph.co.uk/lifestyle/features/wanted-by-the-cia-wikileaks-founder-julian-assange-14880073.html#

  7. Sans me vanter, je pense , moi, que la pratique du mensonge est déterminante quand on aspire et/ou est au pouvoir et qu’elle fait partie intégrante de La Politique et de l’Economie de marché ( en supposant qu’on puisse les dissocier).
    Aprés ça la « théorie du complot » fondée ou non ne peut qu’inciter la populace à relativiser la véracité des infos véhiculées et donc prendre de la distance avant d’adhérer ipso facto à quelque pensée télécommandée que ce soit et dans ce cas je ne comprends pas la stratégie que tu évoques.

  8. Sans parler du haut de ma chaire, je pense que la communication, la rhetorique et la langue de bois sont beaucoup plus efficaces que le mensonge stricto-sensu pour exercer le pouvoir, en cette epoque e-transparente ou il devient de plus en plus difficile de garder le secret (la notion de « secret » contient une nuance de taille avec celle de « mensonge ».)
    C’ est ce qui se pratique tous les jours sous nos yeux.

    Pour ma part, je me passe volontier du conspirationnisme pour ne pas adherer ipso facto aux « pensees telecommandees » ; au contraire, il me semble que le conspirationnisme brouille plus l’ ecoute de la verite qu’ il ne la revele, en reduisant les causes et les consequences complexes et variees de tel ou tel evenement a un fonctionnement simpliste du genre « oligarchie secrete qui tire les ficelles du monde« .

    La populace, comme tu l’ appelles, profiterait mieux de plus d’ informations et de connaissances que de mythes urbains contemporains. Evitons de prendre les gens pour des cons, Mon General.

    D’ ailleurs la populace est, d’ apres un certain Chomsky, la partie de la population la moins receptive a la propagande. De quoi bouleverser nos prejuges de nantis …

  9. Mouaaihh… d’accord avec toi Bourreau… mais les théories fumeuses, comme celles des conspirationnistes, peuvent être de bons contre-feux pour décridibiliser tout questionnement en favorisant l’amalgame.

  10. Il doit être bien clair aux oreilles du Truth Movement que le scandale des enlèvements, des prisons secrètes et de la sous-traitance de la torture des prisonniers n’ont pas eu le retentissements qu’ils devraient en grande partie du fait de la grande hypnose 11 septembre qui focalisait l’attention.

    Je suis aussi d’accord sur la résistance de la masse à la brutale propagande. Le cas de la période Balladur est pour moi un bon exemple limite.

    Faisons sortir le conspirationisme par la porte à coups de pied dans le train et il revient par la fenêtre, dans ces conditions il est évident que la résistance du cuir des bougres à la parole officielle et que la mollesse des chairs du peuple à la rumeur n’ont pas échappé aux spin doctors qui disposent de nouveaux moyens efficaces pour instiller ou aviver cette dernière.

  11. @Cazo: oui, et du coup c’est tout bénéf. On polarise sur le bidon qui ne mène à rien et on y renvoi le reste. Pourquoi se priver, c’est chic et pas cher.

  12. Maintenant, si on veut se poser une question vraiment difficile c’est celle de l’ingérence.

  13. Le problème c’est que l’ingérence, ou plutôt le droit d’ingérence, est un faux-prétexte moral destiné à faire accepter aux électeurs une participation armée dans un pays non-agresseur.

    Quels sont les résultats des ingérences militaires supposées reposer sur des valeurs « morales », « humanitaires » ?… Napoléon ne voulait-il pas à la base aider les autres peuples européens à s’affranchir de leurs régimes monarchiques ?…

    On aurait voulu aider le bon peuple irakien à se libérer du dictateur Saddam Hussein pour les amener à la démocratie ??

    On aide les peuple afghan à se débarrasser des Talibans pour qu’ils puissent enfin vivre dans une démocratie ???

    La seule ingérence à la limite acceptable serait celle d’une armée de l’ONU, avec droit de riposte, observant une neutralité claire et nette et imposant l’arrêt des hostilités, car malheureusement les guerres modernes font plus de victimes parmi la population que parmi ceux qui ont accepté d’en faire leur métier…

    Mais pourquoi donc ne fait-on pas de même dans la plupart des dictatures si le droit d’ingérence repose sur la volonté d’aider les peuples à se libérer ??

    Tout repose sur l’équation coût/bénéfice…

    Pas très moral… certes… mais peut être aviez-vous confondu « apporter la liberté aux peuples du monde entier » avec « apporter le libéralisme aux peuples du monde entier » ;-) !!