Berlusconi-Bossi, Entente Cordiale Bancale

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L’Italie est passée tout près de nouvelles élections anticipées. La perte de la mairie de Milan par les troupes de Berlusconi a révélé les tensions qui divisent le président du Conseil et son allié de circonstance au gouvernement, Umberto Bossi, leader de la Ligue du Nord, dont le parti d’extrême droite monte en puissance.

WESTERN SPAGHETTI

La scène a des allures de western. Angelino Alfano sort du bunker berlusconien d’Arcore accompagné des portes-flingues du peuple de la liberté (PDL), la machine électorale de Berlusconi. Devant lui, à une cinquantaine de mètres, une nuée de journalistes l’attend de pied ferme, micros tendus. Alfano est le porte-parole du PDL et aujourd’hui, c’est à lui d’annoncer qu’elle sera le sort du pays. Stabilité gouvernementale ou élections anticipées? « Ce gouvernement terminera sa législature et donnera au pays la stabilité et les réformes », lâche-t-il d’un ton laconique, qui ne trompe personne. Alfano a beau être avocat, il n’a pas convaincu grand monde. Sa déclaration laisse seulement imaginer ce qui s’est passé quelques heures plutôt entre les deux alliés du gouvernement, Silvio Berlusconi et Umberto Bossi, dans cette villa d’Arcore, décidément au centre des regards depuis l’automne dernier – c’est dans cette propriété de Silvio Berlusconi que se sont déroulées les soirées orgiaques qui ont débouché sur le Rubygate.

Après trois heures de conciliabules, Bossi et Berlusconi ont donc trouvé un terrain d’attente. Le premier a posé ses conditions, l’autre a promis qu’il les exécuterait. Mais l’axe Berlu-Bossi a du plomb dans l’aile.

BERLUSCONI ET LA PEUR DES ÉLECTIONS

La crise couverte entre les deux partis est devenue crise ouverte depuis la perte, lors des dernières élections municipales, de Milan, bastion du peuple du clan Berlusconi après 18 années de domination. Son vassal déchu dans son propre fief, Silvio Berlusconi enregistre l’une des plus sévères corrections de sa carrière, à l’endroit même où il avait posé les jalons de son ascension politique en 1994. Une défaite qui remet en cause toute la stabilité gouvernementale. Car, l’associé Umberto Bossi ne veut pas plonger avec Berlusconi. Sentant le vent mauvais, il avait prévenu : « si le président du conseil perd les élections municipales, je le lâche ». Sans son fidèle allié de la Ligue du Nord, Berlusconi perdrait le soutien des 59 députés de la Ligue et n’aurait plus la majorité pour gouverner. Conformément à la Constitution italienne, Berlusconi serait forcé d’appeler les Italiens aux urnes. A l’aune de la déroute de Milan, sonne un constat cruel pour Berlusconi : il n’est rien sans l’appui de Bossi. A Arcore, hier, il lui a donc fallu sauver la face de cette alliance brinquebalante pour sauver sa tête.

Car, alors qu’il pouvait encore, il y a quelques mois, compter sur les urnes pour mettre tout le monde d’accord, Berlusconi a désormais tout à perdre en cas de scrutin. Conséquence directe du Rubygate, son image s’est écorné auprès de ses électeurs. Plusieurs sondages le donnent largement battu par trois personnalités politiques – Pier Luigi Bersani, leader du Parti démocrate (PD), Nichi Vendola, leader de la coalition « Gauche, écologie et liberté » (SEL), Pier Ferdinando Casini, leader de l’union des centres et des catholiques (UDC).

LE FÉDÉRALISME FISCAL OU COMMENT LA LIGUE DU NORD VEUT FAIRE SÉCESSION AVEC LE SUD

Il a donc fallu faire des concessions. A Arcore, Umberto Bossi a posé ses conditions. Au milieu de considérations sur l’immigration, l’économie, ressort le cheval de bataille de la Ligue du Nord : le fédéralisme fiscal. Cette démarche est l’essence même de l’existence de la Ligue du Nord. Elle vise à donner aux régions du Nord, la capacité de gérer la redistribution des ressources fiscales. Un peu comme si les Nantais et les Lyonnais refusaient de financer la Creuse et la Corse…

Une autonomie fiscale qui écartera le sud du circuit de redistribution et le laissera empêtré dans son déficit. Car les membres de la Ligue du Nord, s’ils se sentent italiens, ne se sentent pas vraiment solidaires avec le sud du pays, le Mezzogiorno. A la traîne économiquement – le sud de l’Italie présente un des taux de chômage les plus élevé de la zone euro – les régions du Sud (Campanie, Pouilles, Basilicate, Sicile) trainent dans leur misère de nombreux clichés qui en ces temps de crise, retrouvent un second souffle. Le clivage tend à se creuser de plus en plus, tant sur le plan économique que culturel. Fatigués de « participer à la perfusion du Sud », les habitants des régions du nord (Piémont, Lombardie, Vénétie) sont gagnés par la fièvre verte (la couleur de la Ligue du Nord). Né autour d’un concept régional, l’indépendance de la Padanie (voir plus bas), la Ligue du Nord est aujourd’hui dépassée par ses simples considérations régionalistes, et recueille les déçus du Berlusconisme qui aspirent à retrouver certaines valeurs morales.

LE VIRAGE ISLAMOPHOBE ET ITALOPHOBE

Aux revendications régionalistes s’est ajouté, ces dernières années, un volet xénophobe et islamophobe. Dans une Italie en repli sur elle-même, le protectionnisme séduit une population qui voit d’un mauvais oeil l’arrivée d’immigrés africains sur un sol de régions, durement touchée par le chômage. Même Lampedusa, pourtant l’île la plus méridionale d’Italie, a élu un maire vert pour lutter contre les arrivées d’immigrés venus d’Afrique du Nord.

Suivant ce modèle de pensée, certains maires de la Ligue prennent des décisions drastiques dans leur commune. Lazzatè, à mi-chemin entre Milan et le lac de Côme semble être un véritable laboratoire de la Ligue du Nord. En plus d’avoir coloré du vert de la Ligue les passages piétons et l’école, le maire a empêché l’implantation de commerces de kebabs par un arrêté municipal. Prohibées  également, les pizzas, produit trop « italien » à son goût!

En Lombardie, plus qu’ailleurs on sacralise le produit local et on fustige l’étranger, même s’il est italien. Cette tendance à l’italophobie reste marginale, mais inquiète certains membres du PDL. Doivent-ils continuer à s’allier avec un parti qui renie les valeurs, les références du patrimoine italien? Côté Ligue du Nord on s’interroge aussi. Rouler avec Berlusconi fait défaut quand on se proclame être un parti moraliste. La tentation du divorce est palpable, d’autant que la Ligue du Nord n’a jamais été aussi forte. A la tête de 13 provinces (équivalent des départements), bénéficiant d’un réseau de 261 maires dans les villes de plus de 15 000 habitants, elle peut voler de ses propres ailes. Ce qui n’était qu’un parti régionaliste lors de sa fondation en 1989 se mue lentement en vraie machine de guerre alors que celle du PDL s’est enrayée.

L’échec des élections à Milan est le révélateur de cette redistribution des cartes. Si l’entente formelle perdure, elle ne cache plus les nombreuses dissidences de fond. Avec le « pacte d’Arcore », Bossi laisse une chance à Berlusconi d’appliquer la réforme fiscale, la dernière. Avec l’accumulation de vents contraires, la route de Berlusconi jusqu’à la fin de son mandat en 2013, pourrait rapidement s’apparenter à un chemin de croix.

Laurent Galinon

ÉCLAIRAGE :  Le rêve de la « Padanie libre »

Crée en 1989 par Umberto Bossi, la Ligue du Nord est né autour du concept de la Padanie, territoire englobant toute la partie située au nord du Pô. Historiquement, la Padanie n’a aucune légitimité. Son unité territoriale s’inspire de récits de batailles, la plus connu étant celle de Legnano en 1176, au cours de laquelle les peuples vivant au bord du Pô l’emportèrent sur l’empereur Barberousse. A la suite de cette bataille, la Lombardie affirma son indépendance face à l’Empire Romain Germanique. Au milieu du XIXème siècle, Giusseppe Verdi, dont les œuvres romantiques célébraient le sentiment national italien, avait commémoré cette victoire en lui créant un opéra. Au siècle suivant, le même événement est instrumentalisé comme facteur de sécession. Et cette fois-ci, c’est l’Italie méridionale qui a pris les habits de l’envahisseur. En mars dernier, alors que toute l’Italie fêtait les 150 ans de son unité, la Ligue avait même préféré ne pas participer aux célébrations.

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