TAFTA and co : nos Amis Africains ont aussi Droit à leur Accord

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Sus à l’eurocentrisme et à l’égoïsme ! Si la mobilisation bat son plein quand il s’agit de se dresser contre un accord commercial imposé par les « méchants amerlocains », il s’agit aussi de reconnaître que ces derniers n’ont pas le monopole de l’injustice et de la contrainte. Ou comment l’Union européenne joue les caïds en Afrique de l’Ouest.

EuropAfrique

Le 10 juillet, 16 chefs d’État de l’Afrique de l’Ouest (soit la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, CEDEAO, et la Mauritanie) ont signé un accord de partenariat économique (APE) avec l’Union européenne (UE). Cette signature fait suite à des années de négociations tenues secrètes, pour changer…

L’accord vise à la création d’une zone de libre-échange entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe. Il est destiné à succéder aux régimes commerciaux précédents entre les deux parties qui existaient sous l’imprimatur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Quand on vous dit que les accords bilatéraux, tels TAFTA, sont maintenant privilégiés aux discussions multipartites de l’OMC !?

Le déséquilibre est dans la nature

Ces APE font le bonheur des États parties forts sur les États parties auxquels ils sont quasiment imposés.

Dans ce cas d’espèce, les exportations des produits agricoles africains exotiques et les richesses naturelles seraient favorisées et les importations de produits agricoles et industriels européens augmentées. Un marché au périmètre élargi qui intéresserait au premier chef les multinationales à la recherche de débouchés sans cesse plus importants.

Sous couvert de vouloir diminuer la pauvreté et la famine, de nombreuses clauses sont imposées aux pays signataires.

Comme celle de réduire les droits de douane à un niveau inférieur à celui de l’UE (produits alimentaires de base compris), sans pour autant obliger en retour l’UE à diminuer les subventions agricoles qu’elle octroie généreusement à ces produits exportés.

Les deux parties ont ainsi convenu d’une offre de libéralisation ou d’ouverture de 75% du marché ouest africain sur une période de 20 ans.

Des exigences qui paraissent, d’ores et déjà pour ne citer que ce point, pour le moins déséquilibrées.

En contrepartie, l’UE verserait pour soutenir le développement de ces États parties 6,5 milliards d’euros en trois tranches de 5 ans chacune. Si rien n’est moins sûr, il conviendrait aussi de préciser si cette « manne financière » viendra en complément des aides au développement déjà rachitiques consenties pour ces pays africains ?

A l’instar de TAFTA, un mécanisme de règlement des différends entre les États et les firmes multinationales serait mis en place. Cela va de soi.

Le travail parlementaire devrait reprendre sur cet accord dès septembre prochain. Il reste à savoir si un tel accord de partenariat économique fera l’objet d’une ratification des parlements nationaux africains. Concernant la consultation des parlements nationaux de l’UE, elle n’est pas d’évidence.

Pendant ce temps-là, des nouvelles de TAFTA

Le 3 juillet 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt important en matière d’accès aux documents de négociations internationales pour les citoyens européens et à leurs représentants au Parlement européen.

Si l’arrêt ne concerne pas directement TAFTA, ses dispositions semblent pouvoir être transposées à l’ensemble des accords commerciaux actuellement négociés par la Commission, TAFTA compris donc.

Le jugement fait obligation de permettre un accès total ou partiel aux documents de négociations internationales aux citoyens de l’UE et leurs représentants politiques du Parlement européen.

L’obscurantisme dans lequel baigne ce type de négociations commerciales trouve son argumentation principale, pour les négociateurs de la Commission européenne, dans les dommages qui pourraient être causés à donner publicité auxdits pourparlers.

« L’intérêt public relatif à la transparence du processus décisionnel serait vidé de son contenu si sa prise en compte était, comme le propose la Commission, limitée au cas où la procédure décisionnelle est mise à son terme » (dixit la CJUE, paragraphe 76)

Or, l’équilibre entre l’accès à toutes les informations concernant la gestion des négociations et la discrétion nécessaire à leur bonne conduite doit être savamment dosé. Tout est affaire de proportionnalité, comme souvent dans le cas de conflits juridiques, entre des libertés, des droits à l’information, et des restrictions.

L’arrêt confirme bien les droits de base des citoyens, tous consacrés par l’article 6 du traité de l’Union européenne et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’accéder aux documents produits ou reçus par les institutions européennes. Les exceptions ne doivent être utilisées que dans des circonstances exceptionnelles. CQFD.

Ce qui n’est pas sans apparaître comme une évidence me direz-vous ? Pourtant, il est souligné dans l’arrêt que l’exception est devenue la règle pour la Commission européenne. Regrettable en effet.

Et voilà comment un arrêt rendu pour des négociations intéressant un autre partenariat (des échanges de fichiers financiers entre les États-Unis et l’UE) pourrait permettre la transparence promise mais jamais achevée des documents relatifs à l’accord commercial décrié TAFTA.

Mise à jour (août 2016)

Tout récemment, la Tanzanie et l’Ouganda ont décidé de ne pas signer l’accord de partenariat économique (APE) à l’occasion de révision annuelle du 1er octobre prochain.

À l’origine, l’accord devait être signé fin juillet, en marge de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) à Nairobi. Et le Kenya d’accuser les deux pays de saboter leur économie, sur qu’il est d’avoir un intérêt à cet accord.

Les sociétés civiles et les ONG, qui estiment que l’accord favorise trop l’UE, soutiennent largement la position des deux États africains (l’UE veut par exemple imposer des frais de douanes sur les produits de la Communauté de l’Afrique de l’Est avant même qu’ils ne soient exportés !).

La Tanzanie et l’Ouganda tiendront-ils leur position face aux pressions inévitables ? Le Nigeria, déjà réticent sur ces accords dits « néocoloniaux », serait alors tenté de suivre cet exemple mutin.

Mise à jour (septembre 2016)

Le Parlement européen a ratifié l’accord de partenariat économique avec la Namibie, le Mozambique, le Botswana, le Swaziland, l’Afrique du Sud et le Lesotho, après d’âpres négociations jusqu’en 2014 et deux années de réflexion européenne.

Nous rappellerons que l’accord a été très critiqué par certains pays africains et par la société civile, qui le juge trop favorable à l’UE. Aussi, certains pays africains les plus pauvres, proposant peu de produits à exporter vers l’UE, se verront dans l’obligation d’ouvrir leurs marchés respectifs aux sociétés occidentales. C’est d’ailleurs pour ces raisons que l’Angola a décidé de quitter la procédure.

La voix est maintenant aux parlements nationaux des six pays africains.

Mise à jour (02/04/18)

Dans la course aux partenariats commerciaux, un développement du commerce entre l’Europe, la Colombie, le Pérou et l’Equateur a été envisagé et est en cours de ratification. Négocié principalement sous la commission Barroso, l’accord entre l’UE, la Colombie et le Pérou a été signé en juin 2012 et se trouve exclusivement commercial (aucune protection des investissements n’est envisagée dans le texte). Entré en vigueur de façon provisoire en 2013, le développement durable n’y est pas abordé de façon contraignante et le risque de spécialisation de ces pays dans l’exportation de matières premières à faible valeur ajoutée est prégnant (accaparements de terres pour la culture d’huile de palme).

Une évaluation d’impact a bien entendu été demandée par l’UE : s’il prédisait peu d’impact pour l’économie européenne, les pays andins concernés ne représentant que 0,1% à 0,3% dans l’économie européenne, les prévisions étaient comme de coutume des plus optimistes pour la Colombie (jusqu’à 1,3 point de croissance à l’horizon 2018) et le Pérou (de 0,5 à 0,7 points de croissance). Pas de chance finalement : la croissance de la Colombie s’est fortement ralentie depuis 2013, le taux de croissance du Pérou a baissé brutalement de 5,9% en 2013 à 2,5% en 2017. La hausse de 9 à 10% des exportations totales de la Colombie et d’environ 7% dans le cas du Pérou envisagée a laissé place finalement à un effondrement, creusant le déficit de la balance commerciale de ces pays.

Il n’est pas étonnant, pour qui s’intéresse à ce type d’accord de libre-échange, de constater que les promesses n’ont pas été tenues sauf aux pays développés qui visent bénéficier d’une libéralisation du secteur financier (avec interdiction de revenir sur la libéralisation du secteur). Un accord bilatéral toujours aussi équilibré…

Lurinas

Appel à signatures

Jacques Berthelot, Jean Gadrey, Susan George et Majdouline Sbaï ont pris l’initiative d’un appel dont l’ambition est de bloquer l’adoption par le Parlement européen de ce projet d’APE avec l’Afrique de l’Ouest.

Sources

Contre la cour

Jacques Berthelot

Site officiel de la CEDEAO dédié à l’APE

Crédits photo à la Une

Dursun Aydemir / Anadolu Agency

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