[Hollandie] La Cimade par delà les Murs

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Face à la dégradation continue de ses conditions d’intervention, la Cimade s’est retirée d’une partie des centres de rétention administrative. Coup dur pour le droit des étrangers puisque cette association a une véritable expertise eu égard à son expérience sur le terrain, ce qui n’est d’ailleurs pas sans gêner le « bon » fonctionnement huilé des reconduites à la frontière… Coup d’œil par le judas dans la pièce tout au fond du jardin.

De part son rôle de vigilance active, dans un contexte où l’État recourt massivement à l’enfermement en centres de rétention administrative des personnes soumises à un éloignement forcé, la Cimade revêt un intérêt humanitaire primordial.

Dans le cadre du renouvellement de sa convention d’intervention et devant les difficultés d’assurer sa mission, faute de conditions budgétaires de plus en plus dégradées, l’association a pris la lourde décision de se retirer de certains centres de rétention administrative en 2014 (Nîmes, Perpignan et Sète).

La Cimade

Pour rappel, un centre de rétention administrative est un lieu de privation de liberté, surveillé par la police aux frontières, où des étrangers en situation irrégulière sont sous le coup d’une mesure d’éloignement (l’expulsion par charter) et sont détenus dans l’attente de leur renvoi forcé (comme le définit la ligue des droits de l’Homme).

La Cimade a été, dès 1984, la première association à intervenir dans les centres de rétention administrative (CRA). Objectif ? Assurer une présence citoyenne garante du respect des droits des personnes étrangères placées dans ces centres et permettre aux migrants d’exercer les quelques droits octroyés (mission « d’information et d’assistance juridique »). Enfin, et ce n’est pas de moindre importance, témoigner publiquement des conditions qui leur sont faites et du traitement réservé aux personnes enfermées.

Et c’est en fait la loi qui impose cette présence dans les CRA d’intervenants extérieurs, pour la touche impartiale. Une façon de surveiller les surveillants, comme l’avait souhaité Joxe (ministre de l’intérieur de l’époque, sous Mitterrand).

Ce qui n’est pas un rôle superfétatoire. La France, malgré les condamnations par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), continue d’organiser l’enfermement et l’expulsion de demandeurs d’asile en cours de procédure de recours devant la Cour nationale du droit d’asile.

L’article L.553-6 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit donc que les étrangers maintenus en rétention bénéficient d’actions d’accueil, d’information et de soutien, pour permettre l’exercice effectif de leurs droits (« et préparer leur départ » dixit le texte, voilà qui est pour le moins sardonique).

Son  décret d’application (article R. 553-14) précise d’ailleurs que

« pour permettre l’exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative, l’Etat passe une convention avec une association à caractère national ayant pour objet d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. L’association assure à cette fin, dans chaque centre des prestations d’information, par l’organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. Les étrangers retenus bénéficient de ces prestations sans formalité dans les conditions prévues par le règlement intérieur.

Les étrangers maintenus dans les locaux de rétention peuvent bénéficier du concours d’une association ayant pour objet d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits, à leur demande ou à l’initiative de celle-ci, dans des conditions définies par convention »

Des permanents et des bénévoles y assurent une présence quasi quotidienne, dans un local qui leur est réservé, informent les étrangers de leurs droits et le cas échéant les aident à les exercer. Ce dernier point, « l’assistance », est crucial : le délai de recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière est de 48 heures sans interruption possible et le recours doit être rédigé en français (et soulever des arguments de droit, cela va sans dire, pour avoir une chance de prospérer). Rôle primordial donc !

Durant ses activités et face à nombres d’observations glanées sur le terrain, la Cimade produisait un rapport annuel fort attendu rendant publics la réalité de la vie et des conditions dans les CRA, les abus de droit, les situations individuelles désastreuses.

A noter que la Cimade, comme d’autres associations, ne recevait pas des subventions publiques (pour l’aide aux étrangers en rétention) mais était rémunérée pour des prestations accomplies dans le cadre du marché passé avec l’État.

Le marché cracra des CRA

Depuis quelques années cette mission « d’information et d’assistance juridique » auprès des personnes étrangères enfermées dans les CRA est gérée dans le cadre d’un « marché public », dans une logique économique de moindre coût. Le marché public vient d’être renouvelé pour la période 2014-16, avec des restrictions financières et règlementaires toujours plus importantes imposées par le ministère de l’intérieur. Ce qui explique le retrait de la Cimade de certains centres, faute de budget en adéquation.

Car si l’association était exclusivement attachée aux CRA en France depuis 1984, elle n’est plus seule habilitée à intervenir depuis quelques années.

Tout commence en août 2008, sous Sarkozy, Besson and co. Un nouvel appel d’offres concocté par les services techniques du ministère de l’intérieur fait polémique. Il imposerait un contrôle restrictif des associations d’aide aux sans-papiers. Par le truchement de certaines clauses inédites.

Ainsi, une association n’aurait plus le droit de déposer une affiche de son choix à l’intérieur du centre de rétention sans s’exposer à une amende. Si le directeur du centre ne jugeait pas à son goût telle ou telle information, il pourrait adresser une pénalité de 200 ou 500 euros à l’association. Pire, au bout de deux manquements, le directeur du CRA aurait la possibilité de retirer l’habilitation de l’association. Enfin, une clause de discrétion et de réserve serait imposée aux salariés des associations, de quoi faire taire les témoins qui s’invitent entre les murs cloisonnés.

Brèfle, silence dans les rangs et interdiction totale de communiquer à l’extérieur sur ce qui se passait à l’intérieur ! Et l’État exigeait un droit de regard sur les informations rassemblées par les associations intervenantes et « une stricte neutralité au regard des situations individuelles rencontrées » !

En sus, pour faire exploser définitivement ce « monopole » vieux de 25 ans, et au lieu d’agréer d’autres associations en plus de la Cimade, le ministère ad hoc (l’intégration à l’époque, de sinistre mémoire…) avait donc décidé de fractionner cette convention en huit lots attribués par voie de marché public.

Une façon comme une autre de se débarrasser en partie de la Cimade. La mission de la Cimade s’en trouvait éclatée en ouvrant les vingt-deux CRA à la concurrence et à tous ceux qui prétendaient s’occuper des étrangers, personnes morales et associations, et même sociétés privées et structures parapubliques.

Le coup était bas. Car, pour tous les spécialistes, seule une mission organisée nationalement est à même d’assurer la qualité de la défense des droits fondamentaux des migrants, une vision globale de la situation de la rétention et une véritable vigilance.

Par la suite (octobre 2008), le tribunal administratif, saisi par dix associations (dont le Gisti, la Cimade, la LDH, le Secours catholique), annulait l’appel d’offres. Premier camouflet gouvernemental.

La Cimade voyait alors sa mission reconduite pendant cinq mois.

Itou en 2009, le juge des référés suspendait le marché des droits de rétention. Car le nouveau marché prévoyait une simple mission d’information sans imposer d’assistance juridique (le ministère de l’immigration indiquait : « l’objet du marché ne comprend pas la mission de déposer des recours au nom et pour le compte des étrangers maintenus dans les centres de rétention » !), en méconnaissance des droits fixés à l’article L 553-6 du CESADA (voir supra).

Comment imaginer dès lors, que des étrangers, pour la plupart non-francophones, privés de liberté de surcroît, et sans aide juridique, puissent utiliser réellement des procédures juridiques complexes dans un délai de moins de 48 heures !?

Plus c’est gros…

Les grandes manœuvres

Le but était bien déjà de transformer radicalement cette mission pour en faire une simple mission d’information des étrangers retenus. De faire éclater l’expertise de la Cimade. D’éviter les rapports indépendants. Voire de placer des associations favorables, tel le Collectif Respect (proche de l’UMP et dont les objectifs statutaires étaient pourtant bien éloignés de la défense des droits des étrangers enfermés…).

En passant, de rendre plus opaques les conditions de détention… plouf, plouf… de rétention dans les centres dits ultramarins d’Outre-mer (lot 3 comprenant la Guyane, la Réunion et la Guadeloupe), au départ desquels au moins 12 000 personnes sont expulsées tous les ans.

Car, concernant l’Outre-mer, le nombre d’étrangers éloignés depuis les seuls départements de Guyane et de Guadeloupe s’élevait à 10 857, et à 13 990 depuis Mayotte, soit un total de plus de 24 800 contre 23 831 pour la métropole (chiffres 2007, mais représentatifs de l’activité annuelle).

Un intérêt particulier pour les gouvernements de tour bord donc quand on est sujet à la politique du chiffre. Une telle performance s’explique aisément par un droit d’exception qui permet à la police aux frontières d’interpeller et d’éloigner les étrangers de manière expéditive (et d’y enfermer des mineurs selon des dérogations exclusives et à l’encontre de toutes nos lois métropolitaines).

La Commission nationale de la déontologie et de la sécurité qualifiait d’ailleurs le CRA de Mayotte d’ « indigne de la République » et dénonçait « une pratique régulière n’entrant dans aucun cadre légal » de la police aux frontières en Guyane (une vidéo en ligne donne idée du caractère particulier de ces centres d’Outre-mer).

Brèfle, des zones de non droit. Et malgré les condamnations des instances juridiques européennes (CEDH), des enfants continuent d’être enfermés dans les centres et locaux de rétention administrative (CRA et LRA). A Mayotte, département d’Outre-mer français, la situation est ainsi alarmante : pas moins de 2 575 enfants mineurs ont été enfermés en 2012.

Nombreuses sont les procédures d’exception appliquées dans certaines terres d’Outre-mer de la France. D’où l’intérêt d’observateurs indépendants à mission constante.

Mais l’essentiel était donc sauf pour le pouvoir en place : la Cimade était écrasée et muselée par cette division du travail.

Et désormais, depuis avril 2014, elle n’intervient plus que dans neuf centres situés en Outre-mer (Guyane, Guadeloupe, La Réunion), Bretagne (Rennes), Sud-Ouest (Hendaye, Bordeaux, Toulouse) et Ile-de-France (Mesnil-Amelot).

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Toutefois, les perdants ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Et après quelques tâtonnements, une réelle activité collective entre les différentes associations, permettant ainsi d’avoir une vision d’ensemble, tant en métropole que dans les DOM-TOM, s’est peu à peu installée. Et, tous les ans, les cinq associations concernées signent un rapport de même nature que celui publié annuellement par la Cimade (dernier rapport accessible).

L’organisation de ce réseau s’étale même en Europe, le rendant de plus en plus vaste et efficace. La campagne « Open Access Now », lancée en 2011, revendique un accès inconditionnel pour la société civile et les médias aux camps d’étrangers. Elle exige également une totale transparence sur le statut et sur toutes les données relatives au fonctionnement de ces lieux d’enfermement, au nom du droit à l’information de l’ensemble des citoyens, ainsi que la liberté d’expression des personnes détenues.

Pendant ce temps, les enfermements et les expulsions, au fur et à mesure de lois et de circulaires de plus en plus répressives, ont continué de plus belle. Et le marché a été régulièrement renouvelé aux cinq mêmes titulaires, sous Hollande itou.

Un nouveau marché régissant la mission « d’information et d’assistance juridique » vient d’être renouvelé pour la période 2014-2016. La Cimade a bien tenté d’augmenter les budgets alloués à cette mission, surtout dans un contexte d’enfermement toujours plus important, sans succès.

La Cimade, association historique d’aide aux sans-papiers, a donc annoncé le 16 avril 2014 qu’elle se retirait des CRA du Languedoc-Roussillon (Nîmes, Perpignan et Sète).

Des intérêts divergeants

Le gouvernement pouvait certainement débloquer des moyens financiers pour faire des centres de rétention administrative des lieux conformes aux valeurs de la République.

Le choix du recours à l’appel d’offres, à la mise en concurrence de prestataires de service pour assurer une mission de défense des droits de l’Homme n’est bien sûr pas neutre : au-delà de rendre moins forte la présence de la Cimade, de l’affaiblissement de la qualité de l’aide juridique apportée aux étrangers, de la disparition d’une vision d’ensemble et d’une analyse globale de la situation des CRA, les associations attributaires se trouvent dans une complète dépendance vis-à-vis des pouvoirs publics.

Dans le cadre d’un renouvellement triennal de ces marchés publics, l’administration aurait sans doute tendance à privilégier naturellement ceux qui font le moins obstacle à la réalisation de ses quotas d’expulsion.

Dans un contexte européen marqué par une politique de plus en plus répressive quant aux politiques migratoires, la France semble s’engager dans un mouvement tendant à faciliter les expulsions systématiques. En diminuant les garanties juridiques, en affaiblissant le rôle des associations humanitaires, en signant des accords de réadmission avec les pays d’origine ou de transit, etc.

Les droits et la dignité des personnes migrantes comme variable d’ajustement de la politique électorale.

Lurinas

Mise à jour

Nous avions déjà évoqué le sort colonial des Comores. Où Mayotte ne cesse de devenir une forteresse imprenable, avec une militarisation rampante digne d’une frontière américano-méxicaine. Ainsi, la circulation des personnes dans l’archipel des Comores est entravée : un visa d’entrée à Mayotte est imposé aux habitants des trois autres îles comoriennes (Mohéli, Anjouan, Grande Comore), participant l’isolement de l’île de Mayotte malgré les résolutions des Nations unies.

Depuis janvier 1995, le « visa Balladur » rend de fait « étrangers » et « clandestins » toutes les personnes circulant dans l’archipel commun. Et les remparts érigés à l’encontre des habitants voulant rejoindre l’île ont pour conséquence terrible la mort en mer de milliers de personnes se déplaçant par embarcations.

Lampedusa et Mayotte, même combat ! Les frontières infranchissables, par des moyens policiers et militaires exceptionnellement déployés et une politique de harcèlement sur mer et sur terre, sont la cause d’une véritable hécatombe humanitaire. Une politique migratoire de ce dernier département français injustement tue sur les canaux médiatiques métropolitains.

Sources

http://ldh-toulon.net/

BastaMag

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