Des Idées pour la Suite ?

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La romancière Virginie Despentes, qui vient de sortir son nouveau roman « Vernon Subutex », a livré dans les Inrocks, ses impressions sur les attentats contre Charlie Hebdo et la semaine qui a suivi. Christophe Morau, reporter à LaTéléLibre, revient lui aussi sur les réflexions qui l’ont animé pendant ces événements et nous explique pourquoi il a choisi de réagir à la tribune de Virginie Despentes.

En lisant l’article de Virginie Despentes, qui détaille par le menu la manière dont elle a vécu les jours qui ont suivi les attentats de Charlie Hebdo, j’ai réalisé que j’avais moi aussi besoin et envie de prendre la plume pour laisser sortir, évacuer, ne pas ressasser. Les commentaires ont été nombreux sur la toile, dans les médias, dans les discussions entre amis. Et pas toujours des plus heureux. Entre certaines déclarations abjectes et une tendance justifiée au dorlotage sirupeux, se taire un moment fut pour moi une alternative acceptable.

L’unité ? Prudence

Sans l’avoir décidé consciemment, j’ai donc bien fermé ma gueule depuis le 7 janvier. Pas de Tweet intempestif, pas de post sur Facebook. La peur de dire des conneries sans doute. Soyons honnêtes : Une fois les auteurs des attentats tués par la police, sur qui exactement décharger sa colère ? Faut-t-il se résoudre à sombrer dans la peur des musulmans ? Faire un procès d’intention aux politiques qui ne font que de la politique ? Facile, trop facile. L’auto-flagellation pour notre incapacité à faire société ? Certainement, mais comment ? Qui est fautif ? A quel titre ? Dans quelle mesure ? Pour quelles valeurs ? Ce sont ces questions qui m’ont agité la tête pendant une semaine. J’ai aimé l’engouement et l’unité dont a su faire preuve le peuple français, mais je me méfie des foules en marche. Je suis allé au grand rassemblement, avec le doute au ventre, en traînant un peu les pieds. Avec la peur que notre ferveur à communier ne devienne la cause d’une vexation encore plus grande chez certains français. Avec l’idée que certaines personnes présentes soutenaient Charlie Hebdo pour autre chose que la seule liberté d’expression, pour des raisons parfois beaucoup moins nobles.

J’ai vu que parmi les victimes des attentats, il y avait des musulmans, des juifs, des ordinaires, des flics. Mais peut-on vraiment considérer que ces meurtres n’étaient que le fait de trois tarés qui s’étaient saisi de kalach’ ? Soit on reste sur cette affirmation qui bien sûr ne peut convaincre personne, soit on soulève le tapis. Et là, il y a de quoi prendre peur : C’est la faute de la France qui n’a pas su accueillir ses immigrés, c’est la faute des politiques qui ont abandonné les banlieues à elles-mêmes, c’est la faute des petits français de souche, de base, qui s’adonnent au vice du téléviseur. Mais pas que, oh non. C’est la faute aux caïds des cités qui enrôlent les plus jeunes. La faute aussi à celui qui se laisse pousser la barbe au lieu d’apprendre à réfléchir. La faute des dirigeants arabes corrompus qui ont laissé l’islamisme radical gangrener leur monde, puis le notre. Et pour n’épargner personne, la faute des juifs de France aussi, qui ont tant de mal à condamner les exactions d’Israël, souvent plus prompts à s’indigner qu’à dénoncer, ceux (parmi mes amis) qui partaient se faire bronzer à Tel Aviv, pendant que Tsahal bombardait Gaza et que Valls gazait Barbès. Ça fait un paquet de coupables et malheureusement autant de victimes. Et un jour ou l’autre, il va falloir se dire les choses. Comment vivre ensemble sinon ?

Colère en embuscade

Et puis j’ai écris une tribune assassine, violente envers tout le monde : les français racistes d’en bas à droite, les musulmans incultes ou les juifs communautaristes. Pourquoi cette colère m’a-t-elle pris ? Parce que je suis comme tout le monde : un peu paniqué dans un monde où il devient dur, voire impossible d’affirmer une certitude sans blesser quelqu’un, parce que dans notre pays la peur de l’autre et l’affirmation à tout prix que l’on vit bien ensemble sont les deux faces d’une même pièce.

Ma colère passée, j’ai renoncé à publier l’article. Parce que j’aurais perdu une grande partie de mes connaissances, amis et relations d’abord. Mais aussi parce que la posture du blanc éduqué, apostat mais né bien catho, pérorant et faisant l’aumône de leçons d’anti-racisme aux beaufs, de laïcité aux arriérés et de civisme aux communautaristes est aussi devenue une source de tension, de frustration dans notre monde d’aujourd’hui (les manifestations anti-françaises de ces derniers jours tendant à le prouver), un carcan politique aussi dangereux que les autres.

Au delà des yeux humides

Écrire cet article m’a défoulé. Ne pas l’avoir balancé sur les réseaux sociaux m’a rassuré sur ma capacité à garder mon calme.

Mais je n’étais pas plus avancé sur les idées utiles à suggérer pour améliorer l’état des choses. Toujours pour rester honnête, je dois avouer que je n’ai pas vu énormément de prises de positions lumineuses. On s’est émus, rassurés, on a communié, d’accord. J’ai bien été touché par l’interview de Jamel, comme beaucoup. J’ai trouvé les politiques plutôt à la hauteur. J’ai moins aimé qu’on demande implicitement aux musulmans de se démarquer sans cesse du terrorisme, mais ça a au moins eu le mérite de poser la question de la sécularisation de l’islam et des efforts à faire de tous les côtés pour vivre ensemble. Mais de propositions révolutionnaires, point.

Où sont les femmes ?

Jusqu’à ce que je lise la tribune de Virginie Despentes dans le dernier numéro des Inrockuptibles. Sur deux pages, la dame y décrit ses états d’âme et les diverses émotions par lesquelles elle est passée depuis les attentats contre Charlie Hebdo. C’est touffu, confus presque, les formes narratives s’enchaînent sans que l’on sache toujours bien à qui l’auteure s’adresse, mais c’est révélateur du trop plein d’angoisse et de sentiments contradictoires par lesquels chacun d’entre nous a pu passer ces derniers temps.

Et puis dans la dernière colonne, tout s’éclaire, elle attaque un journaliste obsédé par les musulmans :

« On a tous nos obsessions (…) la mienne c’est la masculinité (…) je crois que ce journaliste aurait du déclarer en préambule qu’il se dissociait formellement de la masculinité traditionnelle (…) qu’il dissociait sa masculinité de celle des assassins. ».

Eurêka : Voilà enfin dans le débat public, un concept qui pourrait nous intéresser : la masculinité. Car il opère à deux niveaux : Par l’emploi qu’elle en fait d’abord (une exagération, une « obsession »), et l’analogie qu’elle établit entre l’abus d’utilisation des catégories « musulman » et « masculin », Virginie Despentes nous rappelle qu’il est vain de vouloir restreindre la notion de « terroriste » à celle de « musulman » ou à celle d’ « homme », que ces catégories sont trop vagues, trop larges, représentatives de traits, de situations, de chemins qui n’éclairent en rien le débat présent. En un mot, que l’abus du terme « musulman » est erroné sur le plan théorique et dangereux dans le débat public. « Le musulman » n’existe pas. On en viendrait presque à regretter le bon vieux racisme à la Papa, le racisme anti-beurres des années 80, tant il était bas du front, facile à contredire, tant il était agréable à l’époque, quand on était jeune, de pisser sur le FN et les racistes. L’islamophobie d’aujourd’hui est beaucoup plus pernicieuse et l’homme de bonne volonté est pris dans un étau de contradictions lorsqu’il souhaite défendre un point de vue ou une cause qu’il juge noble.

 

Avec sa bite et sa Kalach’

Mais l’intérêt principal de l’emploi du concept de « masculinité », la raison pour laquelle j’ai trouvé cet article plus précieux que tous les autres, c’est que la parole des femmes nous a manqué depuis le 7 janvier. Bien sûr, je ne parle pas nécessairement de la parole féminine, de nombreuses femmes ont fait entendre leur voix. Mais ce qui a fait défaut à mon avis, c’est la perspective féministe dans le débat public. Virginie Despentes formule l’axiome de son article sans égard pour les susceptibilités masculines : « Parce que c’est ça, au final, ce que nous vivons depuis une semaine : les hommes nous rappellent qui commande et comment. Avec la force, dans la terreur »

Ce leitmotiv possède le triple mérite de condamner la violence mâle, bête et crasseuse, de ne pas désigner de coupable idéal du bout du doigt et de nous offrir une précieuse piste de réflexion pour l’avenir, avec un début de réponse : Quand allons-nous enfin cesser d’éduquer nos enfants selon des stéréotypes de genre archaïques ? Derrière la dureté des mots : « Les hommes ont le droit de tuer, c’est ce qui définit la masculinité qu’ils nous vendent comme naturelle », Virginie Despentes avance une vraie force de proposition. Elle n’a pas chaussé les gros sabots d’un féminisme essentialiste, clivant et castrateur. Son talent, c’est de nous inviter à faire un pas de côté, sans ménagement certes, mais avec clairvoyance. On a beaucoup parlé du « danger » qu’il y avait à faire jouer les petits garçons à la poupée. Pour ma part, j’aurais préféré que les frères Kouachi et Coulibaly commettent leur forfait en jupe et en lançant des serpillères à la face des humoristes qu’ils abhorraient.

Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

« je n’ai pas vu un seul homme se défendre de cette masculinité, pas un seul homme s’en démarquer ».

Hé bien chère Virginie, tu as bien fait d’écrire cet article, parce qu’après coup, après t’avoir lue, je puis bien te dire que je m’en démarque de cette masculinité, et qu’à y bien regarder, il y a parfois de quoi avoir honte d’être un homme.

Grâce à toi, je peux faire le point sur les deux semaines qui viennent de s’écouler et voir quelques raisons d’espérer. Après-tout, peut être n’y a t-il rien de dramatique dans notre pays aujourd’hui, peut être qu’il faudrait juste que Maman France retrouve un peu d’autorité (la vraie, la juste et magnanime autorité) et fasse taire ses gosses qui passent leur temps à se chamailler.

Christophe Moreau.

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