Abdallah, Réfugié Politique, Rejoint LaTéléLibre

Publié le | par La Rédac'
[COMMENT MIEUX ACCUEILLIR LES MIGRANTS] Abdallah était agriculteur au Tchad. Depuis juillet, il est réfugié politique à Paris, où il veut être journaliste. Une nouvelle vie pour lui, case départ : LaTéléLibre. Abdallah nous raconte ici son chemin vers un nouveau métier.
Je m’appelle Abdallah Hassan. Je suis né en 1991 à Ardo au Tchad. Je suis agriculteur et je veux être journaliste.
Il y a 8 ans, je quitte le Tchad
J’ai quitté mon pays en 2009 à cause de mon engagement politique au Tchad. Pendant un an et demi, j’étais du côté des rebelles tchadiens, à la frontière du Soudan et du Tchad. En mai 2009, le gouvernement tchadien demande aux rebelles de se rendre. Certains obéissent, d’autres refusent. Je fais partie de ces deniers. En septembre 2009 je décide de quitter les rebelles et je pars vers la Libye, seul, en attendant de savoir ce qu’il est arrivé à ceux qui se sont rendus au gouvernement.
5 ans en Libye en attendant l’Europe
J’arrive en Libye, à Sabha, où je travaille pendant trois ans dans une grande exploitation de raisins et de tomates. En 2011 la guerre contre Khadafi commence. Je quitte alors le travail parce que la ville de Sabha devient un terrain de combats. Je pars vivre dans une autre ville, proche de Sabha. J’y reste six mois. Puis je pars à Tripoli, la capitale. J’y trouve aussi la guerre. Presque tous les jours, j’entends et je vois des bombes tomber, des gens qui se battent entre eux, et des amis blessés par des balles perdues.
A ce moment là, je sais que je ne veux ni retourner au Tchad, ni rester ici. Mon but : atteindre l’Europe. Il n’est pas encore temps de tenter le voyage, car pour le faire, j’ai besoin d’argent et de plus d’informations sur la méthode à adopter. Alors en attendant, je décide de travailler dans la banlieue de Tripoli, où je rencontre un patron qui me propose de m’embaucher en tant qu’agriculteur. Il veut que je m’occupe du bétail, mais moi, je préfère le jardinage. Il accepte. Alors je repique les semis, je replante les fruits, je les arrose, et quand ils sont mûrs, je les récolte. Ils sont vendus au marché de Tripoli.
En Juillet 2015, enfin, je décide de partir en Europe. La vie devient vraiment trop difficile en Libye. A cause des combats de la guerre, et surtout, des risques permanents de vols, de cambriolages et de violences dans les maisons, dans les rues… partout. Et, bien sûr, je ne peux toujours pas retourner dans mon pays d’origine, au risque de ma vie.
Un passeur pour l’Italie
Au mois d’août en 2015, je trouve un passeur. Il me dit que, quand je suis prêt, il peut m’accompagner jusqu’au port de Tripoli. Le jour vient où j’ai récolté assez d’argent. Je quitte alors mon travail, j’appelle mon passeur, et me voilà sur un zodiac, direction l’Italie. Après trois jours passés dans un campement à Catania, une famille italienne m’accueille. Très vite, je me rends compte que mon avenir n’est pas là, c’est l’Angleterre que je vise. Car selon des amis soudanais de Catania, là bas la vie est plus simple, et le pays plus accueillant.
Coincé dans les toilettes jusqu’à Paris
15 jours plus tard, je décide de partir en France. J’arrive à Vintimille, à la frontière. Là, j’essaye de pénétrer sur le territoire français, mais je suis arrêté dans le train par la police Française, qui me renvoie en Italie. Alors j’essaye une deuxième fois. Mais encore, je suis arrêté, et encore, renvoyé à Vintimille. Pour ma troisième tentative, je change de technique : à pied. Avec un ami rencontré là, nous arrivons à la frontière, où il y a camp de réfugiés installés du côté italien. De là, nous partons à pieds jusqu’à à Nice. Ça y est, nous sommes en France…
Avec mon ami toujours, nous avons la chance de rencontrer un homme à la sortie de la Mosquée, qui nous accueille chez lui pendant trois jours. Il nous dit que ce n’est pas son habitude, parce que c’est risqué pour lui. Il nous donne un peu d’argent pour pouvoir acheter un billet pour Paris. Il nous conseille de prendre le bus plutôt que le train, afin d’éviter les contrôles de police. De Nice, on prend alors un bus jusqu’à Marseille. Mais après trois jours passés là, nous n’avons plus d’argent. On est alors forcés de frauder : après plusieurs tentatives, on parvient à pénétrer sans ticket dans un train pour Paris. Il fallait s’en douter : le contrôleur arrive. Je me cache aux toilettes, tandis que mon ami est repéré. Il doit descendre du train. De mon côté, je reste bloqué aux toilettes tout le trajet. Mais j’arrive enfin à Paris !
Les manifs contre la loi travail ralentissent les démarches
Nous sommes alors en octobre 2015. Et c’est le marathon administratif qui commence. A Paris d’abord, j’essaye d’obtenir le tampon de l’association France Terre d’Asile qui me permettrait d’avoir un rendez-vous à la Préfecture. Mais il y a trop de monde. Pendant deux mois je tente, vainement. J’apprends par un ami que la démarche est plus facile ailleurs qu’à Paris, alors je pars à Caen pour faire ma demande. J’obtiens tout de suite un rendez-vous. En novembre 2015, la demande est amorcée. Je retourne vivre à Paris en prévoyant de faire chaque semaine un aller retour à Caen afin de contrôler mon courrier relatif à ma demande, qui arrive à l’association FTDA de Caen.
En Mai 2016, je découvre dans ma boite un courrier de l’Ofpra (l’Office de protection des réfugiés et apatrides) : c’est la convocation à l’entretien qui me permettrait d’obtenir l’asile. Manque de chance, c’est l’époque des manifestations contre la loi travail à Paris. Pendant une semaine, pas de train pour Caen. Et la semaine suivant, la date de mon entretien est déjà dépassée. Je me rends tout de même à l’Ofpra avec ma convocation périmée, mais ils me refusent car je n’ai pas de pièces qui justifient mon absence la semaine précédente. Pendant trois mois, je reste sans nouvelle. J’attends de savoir si je peux obtenir une nouvelle convocation. Au mois d’août, ils refusent. Une solution encore : faire un recours à la Cnda (Cour nationale de droit d’asile) avec un avocat. Huit mois plus tard, j’y suis enfin convoqué, mais manque de chance : trop de monde ce jour là, mon entretien est annulé. J’attends alors deux mois supplémentaires pour obtenir une nouvelle convocation. Elle arrive finalement, en Juillet 2017. Je passe mon entretien.
Prouver que mon pays « sûr » n’est pas si sûr…
C’est un jeu de questions-réponses auquel je me suis entrainé. En face de moi, ils sont trois. D’abord, c’est au tour du président de m’interroger : il me demande pourquoi je suis parti avec les rebelles, comment je les ai rencontrés et pourquoi j’ai décidé de partir avec eux. Un deuxième intervient et me demande dans quelle position j’étais dans le groupe des rebelles, et les activités que j’y exerçais exactement. Un troisième à son tour m’interroge sur les rebelles : combien de partis politiques ? Combien de chefs ? Quelles armes ? Quel type d’entrainement ? Combien de fois j’ai participé aux attaques ? Et enfin, la question attendue : pourquoi je ne peux pas retourner au Tchad, ainsi que la raison qui m’a poussé à quitter les rebelles. Et moi, je suis capable d’expliquer tout cela avec à mes côtés un traducteur français / arabe, mon avocat, une amie, ainsi que des étudiants en droit en observation, qui prennent des notes pour leur cours.
21 jours plus tard, la décision est rendue : je suis officiellement réfugié politique ! Ça n’a pas été facile, avec parfois des personnes qui m’ont rejeté, et qui m’ont signifié qu « ici, on est en France« . Mais je ressens un malaise à critiquer l’accueil de la France, parce que je fais la différence entre l’État et la population, et que je ne me sens pas légitime à parler négativement d’un pays qui m’a finalement tout de même accueilli.
Penser mon avenir de journaliste
Aujourd’hui, la décision de la France de me donner l’asile me laisse enfin réfléchir à mon avenir.
J’aimerais devenir journaliste, pour donner la parole, découvrir les gens, leur vie, raconter leurs histoires. J’en suis sûr aujourd’hui, c’est là que mon chemin me mène.
Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la question des droits humains. Mon parcours m’a amené à y réfléchir ; dans tout ce que j’ai vu et vécu, elle a été centrale. Notamment sur la manière qu’a la France de percevoir les droits humains au Tchad, et les conséquences humaines et politiques qui en découlent.
En France, on considère le Tchad comme un « pays sûr », respectueux des droits de l’homme. Pourtant, nous vivons là-bas depuis 27 ans sous un régime dictatorial qui conduit le pays avec une grande violence. De nombreux
tchadiens ont dû fuir ce régime totalitaire et s’expatrier à l’étranger, laissant derrière leur famille et leur vie. L’opposition à ce régime de terreur est violemment réprimée, de nombreux opposants sont emprisonnés, certains sont assassinés par le MPS qui, bien qu’il se revendique des droits de l’homme, est entièrement dictatorial. Ces nombreuses injustices dont nous souffrons sont la preuve de l’insécurité au Tchad que ne veut pas reconnaître la France.
Je voudrais apprendre à faire des reportages qui puissent permettre de débattre de cette question. J’aimerais ainsi recueillir la parole des gens qui n’ont pas la possibilité de s’exprimer à cause des conditions difficiles dans lesquelles ils vivent. Il est trop rare qu’on les écoute.
Abdallah Hassan
Les commentaires (3)
Cher monsieur Abdallah Hassan, je serais ravie de vous rencontrer et de vous proposer un échange en commun avec Amnesty International France où je m’implique activement sur le dossier du Tchad.
Cher Monsieur Abdallah Hassan,
Très sensible à votre témoignage car militante et engagée à la coordination Tchad d’Amnesty International France, je souhaiterais pouvoir échanger avec vous et vous rencontrer prochainement.
Cordialement,
Myriam Collado
C’est émouvant…mais d’après tout il reste chanceux.
Bonne continuation Flore.
Vive la telelibre!!!!