[Bonus Vox Pop] Yannick Jadot, un Europhile Anti TAFTA

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Il n’y a pas que les eurosceptiques qui s’attaquent à TAFTA. La preuve avec Yannick Jadot, député européen EELV, pour qui le projet de traité transatlantique est une menace pour la démocratie et pour l’idée de l’Europe. Une diffusion en avant-première.

Voici l’intégralité de l’interview qui sera prochainement diffusée dans Vox Pop sur Arte.

Député Européen EELV, Yannick Jadot est le Vice-président de la commission du commerce international. Il est aussi le porte-parole de EELV sur la question du traité transatlantique.

Le risque de Tafta c’est la perte de notre souveraineté individuelle et collective, au profit des firmes multinationales. C’est la dilution du projet européen, alors que nous avons tellement besoin d’un beau projet européen, pour notre économie mais aussi un projet de civilisation, qui nous fasse faire en Europe ce qu’on aimerait pour l’ensemble du monde

 

John Paul Lepers
Image: Nathan Houée, Clément Montfort et Vincent Massot
Son: Matthieu Daude

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RETRANSCRIPTION DE L’ITV

JOHN PAUL LEPERS : Monsieur Yannick Jadot entrez ! Oh, vous avez un pas décidé vous hein, vous êtes un chef vous maintenant non ?

YANNICK JADOT : Je suis déterminé, engagé pour l’Europe.

– Parce que vous étiez plutôt un militant écolo avant, quand on s’était rencontré à porto Allègre ?

C’était déjà l’alter-mondialisme, le combat pour une forme, contre une forme de mondialisation financière et libre échangiste que nous refusions déjà.

– Libre échangiste ?

– Oui.

– Oui, et donc vous êtes député européen maintenant, vous nous avez convié ici à la mairie du deuxième arrondissement de Paris, c’est le seul arrondissement tenu par les Verts.

– Absolument.

– Donc vous en profitez ?

– Oui.

– Ça fait combien de temps que vous êtes député Europe écolo ?

– Depuis 2009, le succès d’Europe écologie. 

– Pourquoi faire de la politique et pas plutôt être militant comme vous l’étiez à Green Peace par exemple ?

Je suis toujours un militant mais c’est une autre façon de défendre les mêmes convictions contre une mondialisation qui se fonde sur le dumping social et environnemental pour finalement l’idée d’une souveraineté  individuelle et collective où on choisirait la façon de vivre.

– Vous avez fait vos études d’économie à Dauphine c’est ça ?

Oui.

– C’est pas vraiment la philosophie de cette université là, non ?

Vous avez deux grandes filières à Dauphine, la première filière c’est la gestion, et l’autre c’est l’économie et en économie, notamment au moment du mouvement contre les lois Devaquet sous Chirac, nous étions fortement mobilisés et nous avions réussi a mettre Dauphine en grève…comme quoi.

– D’accord, donc votre idée a toujours été de vous battre et pas de gagner de l’argent avec l’économie mais de vous battre contre l’économie ultra-libérale ? C’était quelque chose. Ça vous est venu tout de suite ça ?

Bah l’idée c’est pas tant de se battre contre c’est surtout de donner aux groupes, aux personnes la capacité à décider de sa propre vie. Je me suis battu en Afrique pour que les paysans puissent défendre leur filière agricole, je me suis battu au Bangladesh pour que les femmes isolées dans la pauvreté puissent accéder a des métiers, a des activités qui leur permettent d’envoyer des enfants à l’école. Puis je me suis battu a Greenpeace contre le nucléaire mais surtout pour que les citoyens puissent reprendre en main leur destin énergétique. Et que les paysans puissent reprendre en main leur destin agricole plutôt que d’être sous le joug  soit d’EDF, soit d’Areva, soit de Montsanto.

– Quand vous étiez jeune, vous étiez anti mondialisation ou très vite altermondialiste ?

Je suis altermondialiste. Moi la mondialisation, j’adore ça. J’ai toujours eu le goût du voyage j’ai peu voyagé pendant mon enfance mais dès que j’ai terminé mes études je suis parti en Afrique et j’adore l’idée du voyage, l’idée de la découverte du monde. Y’a tellement de choses incroyables à voir, il y a tellement de gens extraordinaires à rencontrer. J’ai toujours été formidablement attiré par le monde mais justement cette mondialisation libéral elle casse ce ces bienfaits, elle casse tout les éléments positifs pour tenter de standardiser de normaliser et de construire finalement une relation essentiellement financière, marchande entre les gens.

– Je vous reçois en tant que vice président de la commission du commerce international au parlement européen, et puis aussi comme porte parole des Verts contre le projet de traité transatlantique qu’on a appelé TAFTA. Quel est l’autre nom ?

Le nom officiel c’est TTIP, partenariat pour le commerce et l’investissement sinon, TAFTA c’est plutôt accord de libre échange transatlantique. Je crois qu’il faut dire « Traité transatlantique ».

– Donc l’idée c’est de faire un espèce de marché commun entre l’Europe et les Etats unis. C’est de dire  on va essayer de faire tomber les barrières douanières, les frais de douanes, les taxes de douanes aussi qui sont assez faibles en ce moment plutôt à 2 ou 3% mais surtout d’harmoniser certaines normes et de faire en sorte qu’on puisse plus facilement commercer. Pourquoi vous n’êtes pas d’accord avec ce projet ?

Ce qui se négocie, vous avez raison, c’est pas tant des droits de douanes même si il en reste quelques un qui protègent notamment les filières agricoles et on sait que le modèle agricole américain n’a rien à voir avec le modèle agricole européen 170 hectares en moyenne d’un côté, 13 hectares de l’autre

Par agriculteur ?

Par exploitation agricole. Mais ce qu’il y a surtout dans cette négociation, ce sont des règles et des normes qui sont parfois extrêmement administratives. Tant mieux si on arrive à les supprimer, mais qui la plupart du temps relèvent de choix de société. Quand on décide en Europe d’avoir un principe de précaution sur les risques environnementaux, les risques pour la santé, quand on décide d’avoir une certaine conception des services public, par exemple un château en vain, il est protégé parce qu’il vient d’un certains terroir et que c’est pas forcément un brevet  ou quand on décide nous de protéger la vie privée, nos données personnelles c’est des conceptions qui sont totalement différentes aux Etats-Unis et donc l’enjeux c’est vraiment une négociation, deux choix de sociétés.

– D’accord. En même temps, les négociations sont pas vraiment ouvertes publiquement. Elles sont encore secrètes, c’est des émissaires de l’Europe et des États Unis qui se retrouvent dans des zones, dans des endroits fermés, nous on a pas le droit d’y aller,  vous non plus ?

Nous non plus.

– Les informations qu’on a eu, sont sorties par des fuites à travers Internet. En même temps c’est un peu normal, ces négociations n’en sont qu’au début. On lance son caillou en disant « moi je veux que vous changiez votre réglementation et en échange je peux lâcher quelque chose ». On ne demande pas un peu trop de transparence actuellement la dessus ?

Mais ces négociations, elles sont certes secrètes, opaques mais c’est pas des bouts d’essais qu’ils font  avec ces négociations. La commission européenne a eu un mandat très précis de la part des chefs d’Etats  et de gouvernement. Le Parlement européen s’est exprimé sur le mandat de négociation mais a donné son avis sur cette négociation donc ce sont des négociations extrêmement  officielles. Il y a déjà des cycles de négociations mais à partir du moment où les citoyens, alors qu’on négocie des choix de sociétés, ne sont pas au courant c’est un véritable déni de démocratie : à la fois parce que des choix de sociétés se négocient en leur nom sans qu’ils puissent savoir quel choix, comment. Et puis comme vous le savez, on refuse aux citoyens européens de connaître le mandat de négociation alors que les Américains en ce moment et depuis le début de cette négociation espionnent très largement  nos citoyens, les institutions européennes et les chefs d’Etat et de gouvernement.

– A travers la NSA vous voulez dire ?

On refuse aux citoyens européens une information qu’ont parfaitement en main les Américains.

– D’accord, il y a effectivement la protection de la vie privée sur Internet qui est très différente au Etats-Unis que chez nous donc on pourrait effectivement se dire qu’on va harmoniser du côté des Américains ou du côté des Européens. Sur quoi d’autres vous êtes vent debout sur cette négociation ? Il y a des histoires alimentaires encore, notamment sur le fromage au lait cru, il est interdit aux Etats-Unis.

C’est surtout, il y a surtout…

– On pourrait leur vendre notre fromage au lait cru en échange ce qu’ils demandent : on achète leur poulet a l’eau de javel, c’est bien ça ?

Il y a quelque chose comme ça, c’est-à-dire que côté américain, on ne regarde pas comme on produit. […] Aux Etats-Unis quand vous produisez, que ce soit un quintal de blé ou un porc, personne ne regarde vraiment comment vous faites. Ce qui est important, c’est de considérer a la fin si le produit, avant d’être mit sur le marché, est risqué ou pas. 

– Il y a des normes sanitaires quand même !

Bien sur qu’il y a des normes sanitaires. Mais il y a énormément plus d’intoxications alimentaires aux Etats-Unis qu’en Europe. En Europe, on regarde les méthodes de production : Comment votre animal est traité est ce que vous utiliser peu ou pas ou trop de pesticides ? Est ce que vous nourrissez vos animaux avec des produits plus ou moins sains ? Est ce que vous les piquez avec des hormones, des accélérateurs de croissance ? Le problème c’est qu’en Europe nous avons choisi démocratiquement de rejeter les OGM, de rejeter le bœuf aux hormones, de rejeter cette volaille chlorée, de mettre en place un principe de précaution qui veut dire que même si le risque n’est pas totalement sûr à 100%. Si on considère que le risque est  important, on évite. C’est pas le cas aux Etats-Unis. Donc il y a ce premier risque qui est qu’à travers cette négociation, les Américains trouvent le moyen, parce que c’est un objectif important pour eux, de faire en sorte que nous soyons obligés de consommer des OGM, du bœuf aux hormones et de la volaille chlorée. Mais, je dirais le risque le plus important dans cette négociation, est ce qui concerne les Droits des multinationales. Il est prévu que les multinationales puissent attaquer toutes décisions publiques devant un tribunal privé qui est supra national.  

– C’est le règlement des différends qui est le troisième point de cette négociation qui est très importante effectivement ? Ca veut dire que c’est une justice privée qui se substitue à la justice des Etats c’est ça ?

Ca veut dire que notre pouvoir de décider démocratiquement est transféré aux intérêts privés des multinationales. Parce que dans cet accord là, on nous dit « Ne vous inquiétez pas, ne vous inquiétez pas, on a commencé la négociation. On ne connaît pas encore le résultat final. » Ce qu’on sait, c’est que ce dispositif sur l’investissement, sur le droit des multinationales, existe déjà dans le monde. Phillip Morris, grâce a ce dispositif, attaque et demande des milliards d’euros de dédommagement à l’Australie et à l’Uruguay parce qu’ils ont mis en place des politiques de santé qui remettent en cause les profits à venir de Phillip Morris, vous avez une société.

– Parce qu’ils ont fait une campagne contre les cigarettes ?

Parce qu’ils on mit en place une législation sanitaire. Vous avez Vattenfall qui est une compagnie suédoise.

– Qui fait quoi ?

Qui fait de l’énergie. Qui demande 3,7 milliards d’euros d’indemnité au gouvernement allemand parce qu’il a décidé de sortir du nucléaire. Vous avez une compagnie américaine, Lone Pine, dans l’énergie toujours, qui attaque le gouvernement du Québec, en lui demandant 250 millions de dollars de dédommagement, parce que le Québec a décidé de mettre fin à l’exploitation de gaz de schiste. Ce qui veut dire qu’en France, si le traité était en vigueur aujourd’hui, vous pourriez avoir des sociétés américaines qui attaquent le gouvernement français devant cette juridiction supranationale et qui demandent des dédommagements pour tous les profits non réalisés parce que nous avons décidé d’interdire la culture d’OGM, l’exploitation du gaz de schiste ou parce que nous interdisons le bysphénol A, produit de la consommation courante, notamment dans les biberons des enfants.

– Comment se fait-il que ce que vous dites apparaît tellement évident ? Comment se fait-il que vous ne soyez pas tous unis ? Toute la gauche voire même la droite ? La droite en gros est pour ce projet, le parti socialiste n’est pas très clair, on ne les entend pas beaucoup là-dessus, même si le Président a dit qu’il fallait signer vite, récemment, quand il est allé voir Obama. Ce que vous dites, c’est que c’est extrêmement effrayant.  Mais en même temps peut-être que ça peut apporter si on se met d’accord. Si d’un côté il lâche et que nous on lâche un petit peu, ce qu’il dit c’est que ça va apporter de la croissance il parle de 0,2 à 0,5 % de croissance…

– …en 2027

– En 2027, il chiffre ça à 500 euros par famille. Ca peut aider l’économie quand même, on a besoin de boulot,  on a besoin de s’en sortir dans cette crise si vous voulez, il y a du bon a prendre là-dedans non ?

Les bénéfices qu’ils annoncent c’est pour 2027. Ce n’est pas pour la semaine prochaine, ce n’est pas pour la fin de l’année, c’est pour 2027. Et quand j’interroge le commissaire pour lui demander d’où il sort ce chiffre totalement farfelu de 545 euros par ménage européen de gains, il me demande comment on peut oser sortir des chiffres comme ça,  ça ne veut absolument rien dire. Et je lui rétorque « oui mais c’est votre communication ; à chaque fois que vous faites un communiqué de presse pour vendre cet accord, vous mentionnez ce chiffre ».  Donc on voit bien qu’on est sur des bénéfices dont les calculs sont biaisés, et puis les risques sont importants. Après, probablement il y aura des bénéficiaires… Quand je vois que l’Europe et le Canada viennent d’aboutir aussi à une négociation.

– C’est ça, ça a été signé.

Ca n’a pas vraiment été signé et surtout ça n’est pas encore validé par le Parlement européen. Parce que sur les accords commerciaux, le Parlement européen dis oui ou non. Et dans cet accord-là, oui, les entreprises européennes y gagnent. Notamment les entreprises pharmaceutiques parce qu’on remet en cause les médicaments génériques au Canada. Et ce sont aussi les entreprises notamment françaises de l’eau qui y gagnent parce qu’au Canada jusqu’à maintenant, ils avaient souvent une gestion publique, municipale de l’eau et que maintenant ils vont être obligés de privatiser leur marché public y compris sur l’eau. Donc moi je suis y compris contre ces bénéfices ; même si ça rapporte aux actionnaires de Véolia et d’autres, je considère que ça ne relève pas de l’intérêt général.

– D’accord, mais quand même il y a eu une réaction du négociateur européen. Il a décidé je crois le 20 janvier de stopper les négociations, d’ouvrir une concertation avec les européens sur internet, qui devrait se terminer le 21 juin. Je suis allé sur internet je n’ai pas bien vu, je n’ai pas bien compris le débat. C’est assez compliqué à trouver.

Alors, ils n’ont pas stoppé les négociations..

– C’est ce qu’ils ont dit

Non non ils n’ont pas stoppé la négociation puisqu’il y a eu plusieurs cycles de négociations pendant la période. Simplement, sur la question de l’investissement, nous commençons à mettre la lumière sur les risques d’un tel accord pour notre souveraineté démocratique. La commission préfère donc contourner un peu la pression en ouvrant une consultation publique mais qui n’a pas force -je le répète- d’imposer la fin de la négociation sur un tel accord. C’est simplement pour faire baisser un peu la pression parce qu’il voit bien que quand les opinions publiques, les associations, les salariés, les consommateurs commencent à regarder de près cet accord, ils sont globalement perdants. Peut-être qu’il y a des grosses entreprises qui vont gagner beaucoup d’argent, c’est incontestable, mais sur notre capacité à décider, à se protéger, à acquérir de nouveaux droits, on est perdant. Donc la commission baisse un peu la pression en essayant d’ouvrir, en faisant une communication, en disant : donnez-moi votre avis.

– Je comprends, il y a un autre argument, parce que j’essaye quand même de me faire l’avocat,  leur avocat… parce qu’ils ne sont pas là

L’avocat du diable on dit.

– J’allais le dire, c’est vous qui l’avez dit. En gros ils disent, par exemple, que les PME françaises et européennes pourront investir le marché américain plus facilement, puisqu’aujourd’hui c’est compliqué il faut être une grosse boite. Donc là, c’est une mesure qui va favoriser plutôt les petits entrepreneurs…

Vous savez quand on n’a plus d’arguments, généralement on utilise le pouvoir d’achat et les petites et moyennes entreprises. Nous on se bat au niveau européen en permanence pour que tous les instruments de politiques publiques de soutien aux entreprises et de fiscalité soient prioritairement en faveur des PME, parce que c’est vrai qu’il y a là un incroyable potentiel d’innovation et de création d’emplois. Ce que je constate de manière systématique c’est qu’on dit ça mais qu’en même temps c’est toujours les grosses boites qui continuent d’être d’aidées. Vous savez aux Etats-Unis les marchés publics sont réservés à 23% aux petites et moyennes entreprises. Les marchés publics servent aussi à protéger certains secteurs stratégiques. La vision européenne notamment dans ces négociations, c’est d’ouvrir à la libéralisation l’ensemble des marchés publics du monde et ça veut dire que les américains ne pourront plus protéger ou orienter leur marché public vers les PME, ça veut dire que les américains ne pourront plus faire du « made in America ». Moi je suis pour le « made in Europe » je suis pour que les marchés publics servent notre modernisation de l’économie, permettent de relocaliser une partie de nos industries et permettent de favoriser les petites et moyennes entreprises. Et cette libéralisation elle est contraire à cet objectif.

– Parce que vous pensez de toute manière que les américains vont gagner, que les européens ne vont pas imposer leurs normes qui, notamment au niveau de la nourriture, sont bien plus draconiennes que les leurs.

J’aimerais que cette négociation ait été lancée pour que des deux côtés de l’Atlantique on harmonise par le haut les normes. Et vu que les négociations multilatérales globales sur l’ensemble des sujets d’environnements, de social et de santé patinent, ça pourrait donner un exemple. Le problème c’est que ce n’est pas du tout l’objectif de la commission européenne et de son mandat donné par les chefs d’Etat et de gouvernement, donc le président Hollande ; et ce n’est pas l’objectif des américains. L’objectif, c’est de réduire les normes pour faciliter le commerce, pour standardiser sur les deux cotés les modes de production.

– Oui parce que les américains disent que les européens ont mis ces normes élevées pour empêcher que notre viande notamment aillent sur leur marché. Pour eux c’est une barrière douanière.

Et puis vous entendez en permanence la Commission européenne dire qu’il faut arrêter, vous, citoyens européens, d’être contre les OGM. Ca fait des entraves au commerce et donc les européens devraient mieux accepter les OGM. Donc on voit bien que dans cette affaire là, la commission ne défend pas l’intérêt général. Vous savez ce que c’est que cet accord ? C’est une alliance entre d’une part, Madame Merkel qui cherche à exporter d’avantage dans les zones qui sont plus dynamiques que l’Europe car elle a tellement tué l’activité économique en Europe par l’austérité que maintenant elle a besoin de débouchés à l’extérieur de l’Europe, et d’autre part David Cameron. Vous savez les britanniques ont deux hémisphères dans leur cerveaux,  ils ont un hémisphères européen et un hémisphère américain, donc si en plus le grand marché transatlantique qui tuera le projet politique européen leur permet de réconcilier leurs deux hémisphères ils sont très heureux. Et puis on a Barroso qui est un libéral atlantiste et qui rêve aussi de ce grand marché. La question c’est ce qu’est l’intérêt des citoyens européens ; est-ce que c’est l’intérêt de l’économie européenne ?

– Vous n’avez pas parlé de la France, c’est quoi sa position ?

Au parti socialiste ils ont douté, mais ils soutiennent ce projet de traité transatlantique. Au moment où Evo Morales voulait survoler le territoire français pour potentiellement aller récupérer Edward Snowden qui nous alertait de l’espionnage américain y compris des français, François Hollande a décidé de lui interdire le survol du territoire et quand il est allé aux Etats-Unis il a décidé d’accélérer la négociation. Alors en gros, la France elle a défendu l’exception culturelle, très bien.

– Il  y a eu le véto…

Enfin il n’y a pas eu le véto, il y a eu la menace de véto!

– Menace du véto vous avez raison

– Mais c’est très bien on a tous défendu l’exception culturelle

– Dans cette négociation même…

Dans cette négociation. Ce qu’il faudrait simplement m’expliquer, c’est en quoi l’exception culturelle est pertinente, et pas l’exception sanitaire, l’exception environnementale, l’exception des services publics, voire l’exception démocratique.

– Peut-être que la France, là, a joué sa cartouche, elle ne peut pas dire non à tout aussi

D’accord est ce que la France en Europe aujourd’hui c’est l’équivalent de la Lituanie ? C’est-à-dire simplement on menace d’un véto une négociation si on n’obtient pas sa petite chose qu’on peut valoriser médiatiquement ?

– La culture ce n’est pas une petite chose quand même

Ce n’est pas une petite chose

– Merci

Mais ce que je veux dire c’est que c’est un bel arbre, qui cache aujourd’hui une forêt de renoncements.

– D’accord

Sur la question de l’investissement en 1998 il y avait une négociation au sein de l’OCDE ; ils voulaient donner le même pouvoir aux multinationales, et bien Lionel Jospin, au nom de la France, avait dit « non » et stoppé cette négociation. Moi j’attends d’un Président de la République qui est censé être l’héritier et de Lionel Jospin et de Jacques Delors, qu’il ait une ambition pour l’Europe, qu’il ait une ambition pour la France dans l’Europe et qu’il ait une vision de la mondialisation qui n’est pas celle de l’ultra-libéralisme.

– En même temps ce n’est pas la première fois qu’ils essaient de faire ces projets ; Jospin avait refusé l’un d’entre eux dernièrement sur la protection des contrefaçons.  Il y avait quelque chose qui s’appelait Acta, refusé par le Parlement Européen. Donc  la Commission européenne part dans des directions au nom des Etats et puis après il ne fait pas l’oublier c’est vous, ce sont les députés, qui pouvez décider si on en veut ou pas, du Tafta par exemple ; il y a un truc démocratique dans l’histoire…

Bien sûr, bien sûr, qu’à la fin le Parlement européen pourra dire oui ou non, mais justement. Le traité anti-contrefaçon, Acta donc, menaçait et nos libertés numériques et les semences paysannes, et les médicaments génériques. Au début le groupe des verts était le seul groupe qui s’opposait formellement au Parlement là-dessus ; et il y a eu une mobilisation des citoyens, une mobilisation extraordinaire, mondiale et particulièrement une mobilisation européenne. Ca été une vraie campagne européenne à faire pression sur l’ensemble des députés, qui petit à petit se sont retournés les uns après les autres, et effectivement le Parlement européen a dit non. Vous avez maintenant la Région Ile-De-France, la Région Picardie, la Région PACA qui se sont déclarées notamment zone hors-TAFTA.

– Qui refusent ces négociations

Qui refusent cet accord ça n’a pas de valeur juridique mais c’est quand même un signe

– Mais il est pas donné l’accord, il est pas signé

Non, mais ce qui est intéressant c’est que c’est un signal politique qui est envoyé au gouvernement français et à la présidence de la République pour dire « attention, il y a trop de risques pour le pouvoir des citoyens ». Au moment où les citoyens se défient à ce point de l’Europe, franchement, tuer l’Europe qui protège et avoir une négociation anti-démocratique c’est quand même une aberration dans le contexte actuel. Mais ce que je veux dire c’est que si la société se mobilise, les parlementaires écologistes au Parlement européen avec tous les autres parlementaires qui auront compris les dangers de cette négociation vont voter non si cette négociation va jusqu’au bout.

– Au-delà du problème de TAFTA, au-delà du problème de cet accord transatlantique est ce que c’est pas un problème de processus démocratique en fait ? Est ce qu’il ne faut pas ouvrir le débat dès le départ, que le débat parte du Parlement pour ensuite aller avec des spécialistes qui vont faire cette négociation. On a l’impression qu’on prend les choses à l’envers puisqu’on n’ouvre pas de débats dans la société. Et le débat, il vient de façon un peu forcé, par des associations, par internet,  par des des partis politiques

Des élus

– Comme vous mais aussi comme le Front national et le Front de gauche. Il y a beaucoup d’extrêmes qui sont contre ce projet. Il y a un problème démocratique là, c’est le désordre

– Bien sûr. Il y a un gros problème démocratique et c’est pour ça que cette négociation sur le traité transatlantique elle raconte une histoire de l’Europe. Soit l’Europe se dilue dans un grand marché transatlantique et ce sera la victoire des libéraux : l’Europe ce n’est pas un espace politique, ce n’est pas une construction politique, c’est d’abord un marché.  Soit on essaye de construire une économie européenne avec une politique économique dont on a vu avec l’histoire de l’euro qui a été déficiente qu’on n’a pas de politique industrielle européenne. Aujourd’hui, on voit l’Europe qui est très divisée face à Poutine, face aux chinois, face aux Etats-Unis. Donc sachons ce qu’on veut pour l’Europe ; construisons une économie forte avec des géants industriels, avec des normes claires, et puis à ce moment-là nous négocierons peut-être ces normes avec le reste du monde. Mais aller en ordre dispersé avec les Etats-Unis, puissance très forte, c’est déjà y aller en situation de faiblesse et encore une fois, c’est plutôt renforcer le pouvoir des multinationales que de réduire l’impact des normes sur l’économie et donc ce projet c’est vraiment une dilution du projet européen, une remise en cause même de la perspective d’un vrai projet européen durable. On donne le pouvoir des citoyens vers les firmes, c’est pas malin.

– Vous êtes bien convaincu, quelquefois convaincant

– Je l’espère un peu

– Je ne vais pas donner mon avis, je vais vous laisser dans ce cadre ; mettez vous au milieu et regardez la caméra en face de vous. Vous pouvez dire un dernier mot aux téléspectateurs

Le risque de Tafta c’est la perte de notre souveraineté individuelle et collective, au profit des firmes multinationales. C’est la dilution du projet européen alors que nous avons tellement besoin d’un beau projet européen, pour notre économie mais aussi un projet de civilisation, qui nous fasse faire en Europe ce qu’on aimerait pour l’ensemble du monde.

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