Et si c’était Vous ?
Publié le | par Thibault Pomares
Marc Melki est un photographe français qui, fatigué de témoigner de la misère qui frappe son pays, a décidé de mettre des personnalités à la place des personnes vivant dans la rue. Après Sanseverino, Didier Bezace, Leila Kaddour Bouadi, Yvan le Bolloc’h et même notre boss John Paul Lepers, c’était au tour du chanteur Ridan de poser la semaine dernière « à leur place ». Une façon d’interpeller l’opinion et réaliser ce que c’est de dormir dehors à coup de photos choc.
Ce jeudi matin, place de la République à Paris, un soleil réconfortant se lève pour dissiper les derniers cheveux de brume qui stagnent encore au dessus des grandes dalles humides. La nuit a été fraiche…
À la terrasse du Café Monde et Média, un jeune homme à gueule d’ange a rendez-vous avec le photographe Marc Melki. Il s’agit du chanteur Nadir Kouidri, alias Ridan. Alors qu’il pianote sur son Ipad en dégustant un café chaud, celui qui fut la révélation de l’année aux Victoire de la Musique en 2005 pour son album Le Rêve ou la Vie ne réalise pas encore qu’un photographe va lui faire vivre un cauchemar.
Les deux hommes se rencontrent et Melki raconte son parcours. « J’habitais juste à côté, boulevard Richard Lenoir, et il y avait de plus en plus de gens qui dormaient dans la rue. Je devais témoigner ». Ces gens, ce sont des hommes, des femmes, mais aussi des enfants que Melki a décidé de photographier pendant leur sommeil. Une méthode qui lui a valu un flot de critiques, mais aussi une double page dans Libération en 2012. S’en suit une belle répercussion médiatique. Mais l’impact de son travail s’arrête là, et le constat ne cesse de s’alourdir : chaque année de plus en plus de familles dorment dans les rues de la capitale, sous nos yeux. Une misère de plus en plus « visible » qui désole Melki, ce reporter qui malgré lui, ne voulait plus photographier la pauvreté… C’est alors que Marc s’engage, et devient militant. Avec la romancière Elliette Abécassis et une avocate, il fonde le collectif Exils Intra Muros. Le sujet du photographe reste le même : la misère ; mais les acteurs changent. Désormais, ce sont des personnalités que Melki fait poser à la place des démunis, en train de dormir dans une cabine téléphonique.
Vie ma vie de SDF
Ridan, marche d’un pas décidé aux côtés du photographe en direction d’une cabine téléphonique repérée auparavant dans le 11ème arrondissement. Chanteur engagé et soutien de Jean Luc Mélenchon aux élections présidentielles de 2012, Ridan s’est de suite porté volontaire pour la petite mise en scène. Faire poser des personnalités, c’est après tout une bonne manière d’interpeller l’opinion publique et les politiques de façon « sexy ». Car en faisant poser des « stars », l’idée, c’est surtout de continuer à parler de la misère : un sujet (trop) peu vendeur pour les médias.
(Eliette Abecassis, co-fondadrice d’Exils Intra Muros)
Après trois « Oh putain ! » à l’instant même où Marc Melki tapisse de cartons défoncés le sol de l’insalubre cabine téléphonique, le chanteur se rend compte de ce qui l’attend…
« La vue du sol »
Dès les premières secondes, Ridan semble choqué. Il réalise vraiment pour la première fois ce que ça fait d’être là, par terre… À terre. Le sol à vue ; avec le bruit des voitures. Spontanément, avant même que Marc ne commence son travail, Ridan comprend que c’est « ça » que les politiques devraient vivre au moins une fois, afin de se bouger et faire avancer les choses. Une mise en scène de quelques minutes certes, mais un vrai coup de pied au cul à quiconque vit l’expérience.
Avec la violence d’une telle vie, dans la rue et dans le bruit, s’ajoutent les regards des passants. Regards que le photographe encaisse par ailleurs, lui que l’on pourrait taxer de « connard photographiant la misère » et tentant de surcroît des effets de style avec les reflets de la cabine ! Parfois, cela va même jusqu’à l’altercation avant que Melki ne calme le jeu et explique sa démarche. « Tous ces gens, qui m’interpellent, en fait ça me rassure. Ça prouve qu’il y a encore de la solidarité dans le pays ».
Aujourd’hui, une vingtaine de journalistes, artistes ou politiques se sont prêtés à l’exercice sous l’objectif de M.Melki. Une expérience qui doit se poursuivre avant de s’exporter en province comme le souhaite le photographe. Pour que les choses changent dans notre pays, tout le monde doit se demander « et si c’était moi ? ». Car évidemment, il n’y a pas qu’à Paris que des familles dorment chaque soir dans la rue.
Ce week end en France, nous changions d’heure. C’est le début de l’hiver…
Journaliste, images, musique, montage : Thibault Pomares
Merci à Marc Melki, Ridan, Nathanael Gustin, John Paul Lepers.
Des liens
- Le site web de Marc Melki
- La page facebook d’Exils Intra Muros
- La pétition « Paris 2014, des enfants vivent et dorment dans la rue depuis plusieurs années, STOP ! »
- La biographie de Ridan
- Le clip « Ah les Salauds » de Ridan
Les commentaires (1)
bravo