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J’ai Fait un Rêve…

Publié le | par

17 000 personnes dans les rues de Paris un dimanche. A la fin du Jour de Colère, on crie « Juifs, juifs, juifs… » et on marche droit. Le lundi matin, trois apprentis réalisateurs, avec un documentaire à filmer en cinq jours dans le cadre des Ateliers de LaTéléLibre. Comment dire les cauchemars ? Ben, en faisant un rêve, tiens…

 

L’histoire commence par un cauchemar

Dimanche 26 janvier 2014, une soixantaine de collectifs appelait à un « Jour de colère » à Paris. Défense de la famille « traditionnelle », charge contre le gouvernement, contre une fiscalité jugée trop élevée, rejet tous azimuts de l’immigration et de l’islam… Derrière des slogans hétéroclites, la manifestation a réuni 17 000 personnes. Au cours du cortège, des cris ont retenti, que l’on croyait oubliés : « Juifs, juifs, juifs… »

Lundi matin, les mots résonnaient encore dans l’air de la capitale. Face à cette couche d’ombre sur notre ville, on est allé rendre visite à ceux qui peignent en couleurs, et qui donnent aux contraires l’occasion de se rencontrer.

C’est ainsi qu’on est arrivé à Parler pour la Paix, association qui réunit sous une même bannière ceux qui veulent apprendre l’arabe et l’hébreu, à la seule condition qu’ils apprennent les deux. On a rencontré Danielle, juive laïque de 66 ans en mal de langue arabe. Et Mohammed, Marocain de 23 ans fraîchement arrivé à Paris, passionné d’hébreu tout en enseignant l’arabe.

Et on s’est pris à rêver…

MAKING OFF

Filmer la vie est… un exercice compliqué !

JAI-FAIT-UN-REVE-LATELELIBRE-1Les derniers jours du mois de janvier 2014 ont pointé leur nez et nous voilà trois apprentis réalisateurs avec une mission impossible sur les bras : réaliser, en cinq jours et avec l’aide d’un professionnel, rien moins qu’un… documentaire ! Capter l’actualité. Pas celle, factuelle, des JT. Non, celle dont on parle à la machine à café, celle dont on rêve, celle qu’on voit sans la voir et celle qu’on sent quand le vent monte. Et raconter tout ça à notre sauce, à travers une histoire, par des rencontres, par le petit bout de la lorgnette… et par des images et du son.

Bref, cinq jours pour filmer la vie, les infimes détails qui font les grands tout et que nous savons parfois si mal nous dire : le son d’une voix, la couleur d’une lumière, un nuage qui passe, un souvenir qui ne s’en va pas…

Début de l’histoire ? Un lundi matin, au lendemain de la manifestation du Jour de Colère, dans le 14e arrondissement de Paris, au siège de LaTéléLibre. Bienvenue dans une semaine à 100 km/h !

 

Hier, l’ombre a dominé nos rues

photo 4Impression étrange, ce lundi matin. Comme un goût de gueule de bois qui partirait pas. Hier, à la fin de la manifestation du Jour de Colère, des cris se sont fait entendre que l’on croyait à jamais oubliés. « Juifs, juifs, juifs… ! » scandés avec haine par de trop nombreuses bouches. « Pas si nombreuses que ça », nous rappelle-t-on ça et là, « et en fin de cortège »…

N’empêche, les cris résonnent dans la salle de montage, et aucun d’entre nous ne sait quoi dire.

Aujourd’hui nous voilà en route et Paris défile au gré des métros. Cheveux huileux, idées à l’avenant, et sacs à dos deux fois plus gros que nous pour porter le matériel. Quand on remonte en surface, l’atmosphère est morose, grise, froide. A la Porte de Clichy, décor et lumière de fin du monde, dont raffoleraient les amateurs de zombies. A La Chapelle, deux caterpillar finissent de détruire un hôtel. Partout, le ciel est « bas et lourd », comme disait l’ami Baudelaire.

Telle était notre source d’inspiration. L’une de nous a dit « apocalypse » en riant, mais c’est vrai qu’il y avait de ça. Au coeur de la ville des Lumières et des amoureux bécotés, une ombre courait dans les rues, en une des journaux et aux zinc des cafés, et tous les quatre on l’a confusément ressentie.

Mais au lieu de la rejeter, on a généreusement décidé de l’adopter, et de l’utiliser !

Paris, coffre-fort de lieux poétiques…

Sous les regards des passants, amusés ou inquiets pour notre santé mentale, on s’est mis à filmer un groupe de pigeons à même le sol, un type sur une affiche, énervé d’avoir arrêté de fumer, ou un métro qui passe en l’air – à travers une grille, presque collé à elle pour mieux donner un sentiment d’enfermement.

JAI-FAIT-UN-REVE-LATELELIBRE-3Bizarrement, et malgré le stress de la deadline, ce fut une partie de plaisir. Paris est un coffre-fort de lieux poétiques. S’arrêter, regarder, voir, y est un exercice sans cesse renouvelé, pourvu qu’on s’en donne l’occasion et qu’on ouvre les yeux.

Bigre, on l’a regardée, cette ville qui est pourtant nôtre ! Encore et encore, et jusqu’au bout de la nuit dans la salle de montage.

Malgré des heures difficiles à dérusher, monter, essayer de rendre au plus juste – et aussi lutter contre le sommeil – la nuit a porté conseil !

Qu’elle est belle, cette sacrée cité plein de contrastes !

Paname est pleine de surprises. Pour celui qui y vient, comme pour celui qui y vit. Notre film commence ainsi. Par cette foule d’ombres anonymes au nom de qui nous voulions prendre la parole. Par le récit de ce qu’on a vécu cette semaine, comme tant de touristes doivent le vivre : un monde parfois apocalyptique qui court à toute allure sous les yeux de ce bijou qu’est la Tour Eiffel. Et sur son parvis, des gens de partout, de toutes les couleurs et de toutes les origines.

Oui, mais comment dire ça en images ?

JAI-FAIT-UN-REVE-LATELELIBRE-4

 

Soudain, les nuages accélèrent,
le ciel galope,
devient tapis roulant pour Vieille dame de fer.

 

Les passants à têtes chercheuses foncent vers la moindre lueur;
le chien dévore le loup.

 

 

Nous avons accéléré le mouvement de l’univers

 

 

Enfin, la tour Eiffel s’illumine

LATELELIBRE-JAI-FAIT-UN-REVE-5Une heure de tournage, immobiles dans le vent et la flotte, pour saisir ce moment. La nuit qui tombe. La vieille dame qui brille. Les ombres qui dansent… Dans le montage final, le plan fixe de 40 mn sera accéléré de 9052% !

Pour ne rien vous cacher, nous avons eu froid. Très froid. Très très froid. Jusqu’à oublier l’existence de nos orteils !

Et la mission était rude : empêcher les touristes surexcités de passer devant la caméra qui tournait en continu, danser pour rendre la pluie plus joyeuse et le froid moins vif (mention spéciale à la corégraphie de Bioforce), et ne surtout pas toucher la caméra pour que le timelapse soit parfait …

Au final, un plan fixe de 20 secondes dans le film, et le si beau morceau d’Eric Truffaz pour l’accompagner, In Beetween.

 

In between…

 

Allez, on vous donne le secret de notre réussite : une délicieuse crêpe nutella, comme une poêle odorante sur les doigts en guise de goûter en même temps que de chauffage. Quelques bananes feraient un plus pour apprécier la vie. On vous le garantit, et d’expérience : succès immédiat !

Gardiens des lumières

– Mais au fait qui parle, ici ?
– Ben, nous…
– Qui ça, nous ?
– Ben, nous. Quatre membres d’une même équipe. Fils/fille, ou petit-fils/fille de Togolais, Algérien, Breton, Polonais, Berrichon… Quatre Parisiens, d’ici et d’ailleurs, comme tous les autres – sans savoir jamais vraiment dans quelle proportion dire la chose…

On était partis en début de semaine pour apprendre à être… documentaristes – ou comme le dit Romain dans ses délires, « serviteurs de la lumière ». Capables de la lire sur les murs, dans les yeux, dans un mouvement de main. Et de savoir la raconter avec des images, et du son.

A l’autre bout de la semaine, on s’est retrouvé certes documentaristes, mais aussi… Français. De coeur, de regard ou de citoyenneté – qu’importe, après tout…

JAI-FAIT-UN-REVE-LATELELIBRE-6

Presque malgré nous, on s’est rappelé que si ce mot avait un sens, c’était celui de gardien, gardien des lumières de notre France, de celle où l’on a grandi, de celle où l’on vit, de celle qu’on aime.

De ce pays bizarre qui a si souvent su parler une voix différente dans le concert des nations, et que d’autres, dans de lointains ailleurs, ont rêvé pour nous il y a de ça bien longtemps.

La France, quoi. Celle où peu importe d’où l’on vient, la couleur, la langue, la religion, l’orientation sexuelle, c’est ce qu’on devient qui compte. Celle où même éreintés, on s’appuie sur nos différences pour réaliser nos rêves…

Les rencontres qu’on a faites cette semaine, les gens qui se parlaient, les contraires qui s’associaient, nous ont rappelé cette si banale vérité : Paris est belle et le monde parfois bien beau, lui aussi.

Surtout quand il a une gueule de Tour de Babel…

L’équipe

Romain • Rom, Breton Polak d’origine, banlieusard de formation, Parisien de choix et d’amitiés,
Africain de cœur et de pompes.

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Soley • Métisse touche à tout qu’on traite souvent d’cinglé, qui voudrait toujours savoir toucher à un peu plus de choses.

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Victor • Grand Breton à l’inspiration musicale fortement développée

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Menel • Citoyenne du monde cherchant à trouver une machine à explorer le temps

menel-latelelibre

 

Parler en Paix

Parler en Paix est une association née en 2002, au lendemain de la seconde Intifada. On y enseigne l’hébreu et l’arabe, et ce conjointement : les étudiants doivent impérativement apprendre les deux langues dans la même soirée pour participer aux cours, ainsi qu’au repas informel qui les accompagne.

Située à Paris et présidée par Gérard Calliet, Parler en paix se veut apolitique et « animée par le désir commun de découvrir, dans un effort conjoint, les deux langues sœurs ».

Horaires des cours :

  • Le mardi à 19h (101 avenue de la République, Paris 11) – le jeudi à 19h (106 rue de la Pompe, Paris 16)
  • Un dimanche sur deux (16 Passage Lemoine, Paris 2)

Des liens

 

 Pour aller plus loin : « Les yeux font des couleurs », par Jacques Lusseyran

« Les yeux créent les couleurs. L’homme fait et défait les paysages. Laissez-moi vous dire ces choses, elles sont trop peu connues et, venant d’un aveugle, elles ont une petite chance de plus retenir votre attention.

Les yeux font les couleurs. Bien sûr pas les yeux physiques, ceux de l’ophtalmologie. Ces deux organes confus et fragiles en avant de la tête ne sont, après tout, que des miroirs. Les deux miroirs brisés, les yeux continuent de vivre.

Ceux dont je veux parler, les vrais yeux, travaillent au-dedans de nous. Tant pis si le vocabulaire fait défaut, s’il est faible : voir, c’est un acte fondamental de la vie, un acte indéchirable, indestructible, indépendant des outils physiques dont il se sert. Voir, c’est un mouvement de la vie fait en nous avant les objets et après eux si, par accident, les instruments matériels de la rencontre viennent à manquer.

C’est au-dedans de vous que vous voyez.

L’autre jour j’étais là haut, sur la « Blue Ridge Parkway », l’une des plus belles routes que j’ai jamais parcourues. Je touchais terre, mais si peu : tout s’ouvrait autour de moi, le ciel et les vallées. Je m’appuyais de tout mon corps sur l’air. J’entendais le vent glisser le long des pentes et jouer. J’entendais les pas immobiles de deux monts dressés. J’éprouvais la verticalité de l’espace et ses inflexions au fil des forêts et des roches. Je savais exactement où étaient toutes choses et je les suivais. Je voyais le paysage, et ceux qui étaient près de moi, avec tous leurs yeux, voyaient, eux aussi, le paysage, autrement, ni plus ni moins.

Illusion ! Un aveugle peut entendre, toucher, respirer, deviner un paysage : il ne saurait le voir. Allons ! Je vous l’accorde : je ne le voyais pas, je le connaissais. Mais êtes-vous suffisamment assurés de ce que vous faites de vos yeux, ou de ce que vos yeux font pour vous, pour affirmer péremptoirement la différence ? Chaque fois que je contrôle mes sensations par celles des voyants, c’est une surprise générale.

Si j’attrape un son du Blue Ridge, un courant du Blue Ridge, je connais aussitôt cette montagne toute entière, et la connais de toutes façons à la fois : je la vois aussi. Quant à vous, votre chance est la même : regardez-la, de tous vos yeux, et aussitôt vous l’entendrez, la pèserez, la palperez. »

Jacques Lusseyran, Le monde commence aujourd’hui

 

 

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