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Les Insoumis

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[CHANTIERS DÉMOCRATIQUES] A Notre-Dame des Landes, les zadistes et les agriculteurs tentent de sauvegarder leur zone humide, toujours menacée d’être recouverte par le projet en béton du futur aéroport. Mais surtout, ils expérimentent un mode d’organisation sociale et politique, en marge des institutions.

NDDL-LES-INSOUMIS-LATELELIBRE

PREMIÈRE DIFFUSION : FÉVRIER 2016

[Notre-Dame des Landes] Le président de la République vient d’annoncer un référendum local sur le projet d’aéroport. La justice semblait pourtant avoir déjà décidé : depuis le 25 janvier 2016, onze familles et quatre exploitations agricoles doivent partir des terres du futur aéroport de Notre Dame des Landes. En réponse à cette décision, un millier de militants anti-aéroport, zadistes, habitants historiques et sympathisants de la cause sont venus consolider, « en dur », les fermes appelées à être rasées. Leur but : sauver la zone humide du projet en béton, mais aussi consolider cette utopie d’organisation sociale et politique en construction sur la zone.

Lorsqu’on s’est décidées à partir, ce week end-là de grand travaux, sur la Zad (Zone à défendre) de Notre Dame des Landes, je me demandais comment on allait être reçues par ces zadistes qui se prénomment tous Camille, militants d’une cause qui n’est pas la mienne, et rêvant d’un monde qui me parle mais que je ne vis pas dans mon quotidien parisien. Deux appréhensions accompagnaient donc mon envie d’aller voir : me sentir jugée personnellement pour ne pas mener la vie radicale qu’ils mènent, et sentir mon travail méprisé. Alors quoi ? M’excuser de pénétrer leur vie, le temps d’un week end, pour extraire de cette masse complexe un sujet ? Demander pardon de vivre à Paris, dans la pollution et un appartement ? Non, pas envie de ça. Une petite préparation mentale, nécessaire donc, avant de prendre la route…

Construire en dur en réponse aux expulsions annoncées

Quelques coups de téléphone en amont ont guidé nos coups de volant dans les circonvolutions des lieux-dits locaux, pour enfin nous conduire jusqu’à la ferme de Claude et Christiane Herbin au Liminbout. La famille est locataire du lieu depuis 20 ans et ils font partie des personnes invitées à partir rapidement. Mais à la différence des propriétaires voisins, la famille Herbin n’est pas expropriable, elle est expulsable, et ainsi protégée par le droit des locataires qui lui a permis de gagner un sursis de tranquillité, jusque mars 2017. Leur ferme s’impose alors comme un lieu de repli « légal » dans la lutte qui s’annonce. Les travailleurs ayant répondu à « l’Appel d’offre » du week end du 30 janvier lancé par les militants de la Zad, « destiné à renforcer les structures collectives, matérielles, agricoles, défensives et festives existantes sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes », participeront ainsi à construire une auberge dans laquelle les militants pourront se replier quand la situation l’imposera.

Un pied dans la ferme déjà en pleine activité ce vendredi soir, pour préparer la venue des travailleurs du lendemain, un « bonjour » plus tard, et nous voilà déjà les pieds sous la table, assurées de pouvoir passer une week end bien entourées. Manoeuvre ? Ruse ? « On a compris qu’il ne faut pas avoir les médias contre nous sinon on ne parle à personne », me confie Camille venu s’installer sur la Zone dès 2008. Stratégie donc, certainement. Mais art de la convivialité aussi. Et simplicité surtout. « Ca s’explique pas ces choses là ! C’est en moi, j’aime recevoir, partager mes plats… », répond Claude lorsque je lui demande si cet art de recevoir vient de l’obligation d’ouvrir la porte aux inconnus qui partagent sa lutte contre l’aéroport. « La porte a toujours été ouverte ici, et encore plus depuis 2008, forcément ! », ajoute-t-il.

Claude est cuisinier à mi-temps dans une collectivité. Et il passe l’autre moitié à nourrir ses canards, ses poules, ses lapins et les militants et sympathisants qui passent. Un demi SMIC qui lui permet de vivre là, et lui fait dire qu’enfin, il est libre. « J’ai été dans la consommation, gravement même… », insiste-t-il pour ne pas se faire le porte-voix de l’Ayatollah militant. Il se souvient : « les yeux écarquillés devant un poste de musique, on était dans une grande surface avec Christiane… Ca a été notre premier prêt… ». Quelques désirs assouvis plus tard, le couple s’est retrouvé endettés jusqu’au cou, jusqu’à n’avoir plus d’autre choix que la rue comme habitat. Puis, « à bourlinguer dans toute la France », ils ont fini par trouver où poser leurs valises, il y a 20 ans, alors que l’aéroport n’était qu’une vieille histoire au goût ranci d’abandon.

Sauver le bocage…

Une petite vie tranquille les attendait, lorsqu’en 2008 le projet d’aéroport refait surface sérieusement : il est reconnu « d’utilité publique ». Le calendrier des travaux est annoncé, Vinci prépare les débroussailleuses et 244 personnes partent à l’amiable. Mais sur place, la lutte s’organise entre ceux qui refusent de partir et ceux qui refusent de voir ce qu’ils classent parmi les Grands projets inutiles s’ériger sur la zone humide. Pour eux, imaginer bétonner ce bocage le plus menacé d’Europe, avec plus de 35 hectares de prairie humide très riches en biodiversité que les naturalistes en lutte voudraient voir classé en site Natura 2000, est un cauchemar. C’est donc par l’écologie que la lutte commence à prendre forme. C’est alors le début pour Claude et Christiane d’une nouvelle étape de vie. Claude qui n’est pourtant « pas très paysage ni très contemplatif » apprend à aimer ce lieu avec les mots des écolos.

A ce moment là, il a le choix : partir, comme son voisin, pour s’installer dans un ailleurs et reconstruire sa vie comme il l’a déjà si souvent fait, ou rester. C’est la deuxième option qui s’impose à lui, non pas pour les terres, auxquelles il « accorde tout de même de l’importance », mais pour « le réseau ». Un réseau qui lui permet de vivre avec peu et « à côté du système » qu’il exècre. Anti-aéroport, « c’est clair ». Mais anti-système aussi. « L’aéroport c’est un cadre seulement, parce qu’en fait les gens sont frustrés de la politique. Notre Dame Des Landes permet de montrer à l’Etat qu’il y a moyen de se démerder sans eux », explique Claude fièrement.

… Et le champ d’expérimentation d’une écologie sociale et politique

« C’est un champ d’expérimentation énorme ! », s’enjoue un autre Camille lors du grand repas cuisiné par Claude pour les travailleurs. Un ras-le-bol de ne pas se faire entendre par les politiques et la frustration de voir les grèves étudiantes s’arrêter juste avant de pouvoir expérimenter un autre système l’ont mené à venir sur la Zone en 2008, afin de vivre un autre possible. « Ici, il y a la possibilité unique en France d’accéder à des terres, tu peux construire sans les règlementations habituelles et institutionnelles, et dans ce lieu squatté depuis 40 ans, il n’y a plus d’institution, donc elles sont prises en charge par tout le monde ». Comme la police, qui n’est plus présente sur la zone depuis les violences de 2012. A terme, les occupants-habitants pensent même à prendre en charge l’énergie et l’entretien des voiries. « Dans le contexte politique dans lequel nous sommes, il faut un mouvement de destitution », continue Camille. « Ici, ça contient cette possibilité là ». Un chantier laborieux dans lequel les orientations possibles sont diverses et les désirs variés. « On se bat contre l’aéroport, mais aussi pour une autre manière de fonctionner », explique Michel, un fermier voisin expropriable. Avant d’ajouter en souriant : « c’est là que ça se complique… ».

Habitants historiques, zadistes, militants et sympathisants d’un week end ou d’une vie se retrouvent alors chez Claude et Christiane, et piochent, poncent et peignent pour construire un futur au delà de l’urgence de la lutte. Pour sauver l’écosystème naturel, certes. Mais surtout l’écosystème des relations humaines. « Même si l’aéroport devait se construire, on est tous d’accord, associations légalistes, squatteurs, propriétaires et locataires, que l’essentiel à sauver se situe là : dans ce qu’on est en train de créer au niveau humain », conclut Michel, aux vaches déjà illégales.

Journaliste : Flore Viénot
Image : Mélissa Genevois
Montage : Mars Lefebure

Des Liens

Dossier de Reporterre sur la lutte anti-aéroport
Site des naturalistes en lutte

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