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Police Partout, Police Debout

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La police : haine ou admiration ? Pas facile de répondre à cette question. Dévoyée, protectrice, répressive et brutale, abusive ou salvatrice : c’est le chemin de notre pensée qui court de l’un à l’autre sans transition. Entre la forte popularité de la police en 2016 et les accusations contre elle de la part des manifestants contre la Loi Travail, qui dénoncent les violences policières et le manque de clarté dans la stratégie du Maintient de l’Ordre, les citoyens mais aussi les Gardiens de la paix, sont pris dans ce parcours psychologique sinueux.

« Police : a toujours tort » Gustave Flaubert, dictionnaire des idées reçues.

 

« En fonction du contexte, on est adulé ou détestés », observe, un peu las, Luc Poignant, policier et membre du syndicat unité Police SGP-FO. Cette année, les chiffres sont réconfortants pour la Police : suite à une période très dense émotionnellement, faite d’attentats et de menaces terroristes, 82% des français auraient confiance en elle, selon un sondage de l’Ifop. Mais la lecture de ces chiffres ne masque pas le bruit de fond des slogans anti flics scandés pendant les manifestations contre la Loi Travail depuis mars. « Flics hors de nos vie », « tout le monde déteste la police » en litanie…

 

De l’amour à la haine, la versatilité de notre jugement dépend de la tâche que la police a pour mission d’accomplir. Qu’elle contrôle la circulation, qu’elle soit dans le judiciaire ou qu’elle soit aux frontières, « il y a mille visage de la police, affirme Ingrid Astier, écrivaine de romans policiers. A l’image de l’Homme », ajoute-t-elle.

 

Le Maintient de l’Ordre lors des manifestations, une mission particulière

 

Le Maintient de l’Ordre (MO) fait partie des nombreuses missions de la police, réservée celle-ci aux CRS (Compagnie de sécurité républicaine) et aux EGM (escadrons de la gendarmerie mobile). Par rapport aux autres missions, celle-ci a de particulier que les conséquences politiques sont importantes : « tous les éléments, l’encadrement, les incidents qui se produisent ou ne se produisent pas, le succès ou l’échec, ont une portée politique », explique Pierre Joxe, médiateur de Seine Saint Denis.

 

C’est ce qui explique que cette mission est souvent décriée, incomprise et parfois ambiguë. Mais les éléments de réponse sont à aller chercher du côté de l’Histoire.

C’était l’armée qui était traditionnellement chargée de maintenir et rétablir l’ordre, elle le faisait donc, mais sans modération. Du temps de « Germinal » ou de « la Légende des Siècles », tuer, pour la police, n’était pas un problème. Coups, sabres, fusils ou mitraillettes s’abattaient sur les citoyens qui réclamaient des droits. Mais à partir des années 1880, cette violence ne devient plus acceptable, on voit naitre alors sous Clemenceau des policiers urbains en uniforme : les gardiens de la paix. Leur mission change donc de cap, et dans les années 1920, un Maintient de l’Ordre s’esquisse : l’armée en renfort de la police ou de la gendarmerie encadre les mouvements sociaux. Mais encore dans le but de les réprimer ou les contenir.

 

Puis les violences mortelles des manifestations pendant la guerre d’Algérie provoquent un tournant dans la pratique du MO. L’objectif devient alors d’éviter le corps à corps en s’attaquant aux sens, à l’aide de gaz lacrymogènes notamment.

 

Survient ensuite la crise économique des années 70, à l’origine de manifestations plus dures où policiers et manifestants sont blessés. Jusqu’à la tragédie de la mort d’un manifestant en 1986, qui provoque une crise politique et modifie radicalement la stratégie du MO. L’objectif, parfois irréalisable, devient : « Zéro blessé ». Alors pour la police, une nouvelle difficulté se glisse sur le terrain : une vitrine cassée vaut-elle mieux qu’une intervention qui mènera nécessairement à des blessures ? Comment appréhender la situation en obéissant à l’objectif du « zéro blessé » tout en protégeant la population ainsi qu’en préservant l’ordre ?

 

Des contrôles draconiens pour exclure les casseurs

 

Depuis, les tactiques du MO sont toujours plus finement analysées, revues, et adaptées en fonction de la situation. Contrôles, stratégies envers les casseurs, encerclement des manifestants dans des nasses, usage des canons à eau et de grenades de désencerclement en dernier recours… Ainsi, à chaque manifestation sa stratégie, avec ses ratés et ses succès. C’est comme cela que les manifestants du 23 juin 2016 à Paris se sont vus contrôlés et filtrés à l’entrée de la place de la Bastille. Impossible de pénétrer sur le lieu du rassemblement avec foulard, casque, bouteille ou toute arme par destination. Et le parcours, réduit à 1,5 km, est encadré par les forces de l’ordre environ 2 000 fonctionnaires sont mobilisés et positionnées tout le long sur les rues adjacentes.

L’objectif : réduire le risque de violence dont manifestants, journalistes mais aussi policiers se plaignent. Les militants bien sûr, qui accusent la police de les prendre dans la nasse avec les casseurs, et d’être victime des grenades de désencerclement. Les journalistes aussi, qui ont été reçus au Ministère pour dénoncer les violences policières et demander des précisions sur les stratégies du MO. Ou encore un collectif qui s’est organisé à Paris et se rassemble régulièrement afin de dénoncer les incarcérations abusives lors du mouvement sociale. Plus grave encore à l’encontre de la Police, le comité de l’ONU sur la torture rappelle la France à l’ordre pour son « usage excessif de la force par la police et la gendarmerie ». Quant aux Gardiens de la paix, ils font face à un nouveau type de violence de la part de casseurs venus « casser du flic » selon Luc Poignant, et « par idéologie », à la différence des casseurs des manifestations anti CPE de 2006 : « tout ce qui représente le pouvoir y passe : banque, assurance, police », précise le policier.

 

Mais, « aussi surprenant que cela puisse paraître aux témoins et aux acteurs des affrontements du printemps 2016, la violence en manifestation (évaluée par le bilan des blessures et des décès) ne cesse de décroitre », analyse l’historien Christian Chevandier. Si les risques existent bel et bien, la sensation de violence subie est donc plus importante que la réalité des actes commis. Selon l’historien, cela vient du fait que l’intolérance à la violence est de plus en plus grande, car les nouvelles générations ne connaissent pas la violence de la guerre.

Une évolution de société qui pousse encore un peu plus la stratégie du MO à s’adapter.

 

Gardiens de la paix, tiraillés entre colère des citoyens et incompréhension de la hiérarchie

 

Souvent objet de la colère des manifestants, la police se voit aussi confrontée à une hiérarchie accusée de ne pas écouter les officiers de terrain. « Le problème, ce sont les donneurs d’ordre », s’exclame Alexandre Langlois de la CGT Police, qui dénonce l’incohérence des ordres donnés pendant les manifestations et leur lenteur, qui mettent les forces de l’ordre dans l’embarras : « les donneurs d’ordre nous organisent mal ».

 

Car la chaine de commandement est très longue : de la Préfecture de Police, une directive est donnée à la « Salle » où les haut gradés observent le terrain à travers les caméras de surveillance de la ville et donnent un avis aux commandants des CRS et EGM sur place. Ces derniers, forts de leur observation sur le terrain, renvoient les informations nécessaires à la « Salle », qui, en retour, donne l’ordre d’agir aux commandants. Ceux-ci, accompagnés de leur adjoint, ordonnent l’action aux effectifs présents sur le terrain. C’est à ce moment là que les caméras des journalistes s’allument dans le cortège…

 

« Sur le terrain, la marge de manœuvre est nulle »

Un long chemin donc, qui permet aux Gardiens de l’ordre d’agir en connaissance de cause, mais sur lequel les embûches peuvent être nombreuses. Et Alexandre Langlois ne dénonce pas seulement l’incohérence des ordres donnés mais aussi parfois leur illégitimité. Un point ambigu dans le nouveau code de déontologie de la Police, mis en application en janvier 2014. En effet, le code n’interdit pas de donner un ordre illégal mais menace celui qui désobéit à un ordre illégal. En effet, l’exécutant n’a le droit de désobéir que si « l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ». La marge de manœuvre de l’exécutant est donc nulle, s’accordent à dire Luc Poignant et Alexandre Langlois. Pour ce dernier, à la différence du premier, « il faut tout de même s’adapter avec les ordres, heureusement il y en a qui le font ». Il ajoute : « on ne peut pas me reprocher de faire sortir de la nasse quelqu’un qui suffoque. Mais si on obéit aux ordres, c’est interdit ». Pas étonnant dès lors, que le policier soit en procès avec sa hiérarchie…

Pas facile donc pour les policiers qui s’opposent à la Loi Travail de passer à l’action à l’encontre des manifestants. Ils sont partagés entre le devoir et… le devoir. Celui, déontologique, d’obéir à la hiérarchie, et celui, moral, de ne pas vouloir contenir une lutte qui leur semble légitime. Alors Alexandre Langlois, policier et fermement opposé au projet de loi, manifeste pour ses collègues qui n’ont pas pu prendre de jour de congé pour être dans la rue derrière les banderoles. Car pour lui, « hors de question d’abandonner le navire » de ses collègues, et, malgré le débat qui oppose les violences policières à la violence de l’Etat, ne pas perdre de vue « l’essentiel : notre bataille contre la Loi travail », insiste-t-il.

 

De quel ordre parle-t-on ?

 

Une question subsiste pourtant : de quel ordre parle-t-on ? « Sans ordre, pas de MO, et si chacun fait ce qu’il veut… ». Luc Poignant s’arrête là, nous laissant imaginer la suite. Et pour Alexandre Langlois, « la violence policière, si c’est pour rétablir l’ordre, c’est légitime ». Des paroles venues des plus sombre cauchemars des amoureux de la vie spontanée et du désordre naturel. Car pour eux, c’est dans l’inattendu désordonné que la vie s’exprime, dans ce moment même donc, où la manifestation se termine et qu’il est temps de rentrer chacun chez soi. Contrairement à ce que conseille Luc Poignant : « quand les gens arrivent en fin de manifestation, il faut qu’ils partent !Mais non, ils restent là, comme si ils attendaient un spectacle ! ». Oui, un spectacle. Qui, pour les poètes Philippe Tancelin et Geneviève Clancy, « bouleverserait les rythmes de la réalité en faisant entrevoir l’abolition de ses esclavages, entr’entendre les paroles sous silence par tous les bâillonnement ».

 

anarchie

ordre louis michel

Ils continuent : « si l’émeute, comme on peut le constater dans l’Histoire, est toujours réduite par la barbarie, c’est parce qu’elle ne cherche aucune perspective de négociation avec ce qui obstrue sa propre finalité. Sa nature autotélique, [qui n’a pour but qu’elle même], la place dans l’immesure, tant celle de l’ordre que de celle de toute solution ».

 

La dialogue comme outil

 

Quelque soit son langage donc, c’est en fait le dialogue qui paraît pouvoir répondre à toutes ces pensées contradictoires. Faire que citoyens et policiers se parlent, qu’ils se comprennent, car leur objectif est le même au delà du projet de Loi : éviter les violences. C’est ce qui fait dire à Ingrid Astier que, même si « la loi ne peut répondre à la kalach par la lyre […] ; le singulier, par l’éthique, doit fonder la force du collectif ». Pour le policier cégétiste, qui se mêle régulièrement aux foules en colère pour défendre ses collègues, « il y a un manque de dialogue. Pour nous, [police française], toute la foule est dangereuse, mais il faut regarder dans les autres pays européens, en Allemagne par exemple, où [les forces de l’ordre] discutent individuellement avant de foncer ».

 

Du dialogue, il y en aura d’ailleurs certainement besoin, alors que la Loi Travail passe grâce au 49.3…

 

Flore Viénot

Pénélope Champault

Marie-Amélie Marchal 

Olivier Rotrou

 

Des Liens :

 

Code de déontologie commenté par Médiapart

Sondage Ifop sur la confiance des français dans la police

Rien de tel qu’un retour aux sources pour plonger dans l’ambiance répressive de la police du XIXe siècle : avec Germinal de Zola ; et La légende des Siècle de Victor Hugo 

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