Tour de Chauffe à Hénin-Beaumont
Publié le | par John Paul Lepers
Un fier terril, un étang poissonneux, des ruelles pittoresques. Henin-Beaumont est une jolie ville. Dans ce laboratoire du FN, les habitants expriment des sentiments d’espoir, de haine, ou de colère. Chronique intime d’un jour de vote extraordinaire.
John Paul Lepers
Simon Barrau
Image : Flore Viénot
Montage : Vincent Massot et Flore Viénot
CHRONIQUE INTIME D’UN JOUR DE VOTE EXTRAORDINAIRE
par Simon Barrau
Sérieusement, qui en doutait ? Chez elle, dans son fief, là où elle fut conseillère municipale de 2008 à 2011, dans une ville gérée par le FN après une victoire au premier tour lors des municipales de 2014.
Muni d’un tee shirt bleu marine floqué « Au nom du peuple », Geoffrey Delseaux « était sûr à 99% » que son idole serait présente au second tour. « La différence avec les autres, c’est qu’elle, elle nous connaît. c’est une Héninoise ! » lance un peu naïvement ce jeune sympathisant de « Marine », venu d’Hazebrouck (59) exprès pour l’occasion. A 20h, il va assister à sa première grande victoire devant les caméras du monde entier : la qualification de Marine Le Pen pour le second tour des élections présidentielles.
Pour le visiteur qui arrive à Henin Beaumont, le premier contact avec cette ville de 26000 habitants contraste avec l’image simpliste qu’il s’en faisait à travers les reportages vus à la télévision dans ce « laboratoire du FN » frappé par la crise et le chômage. Nous sommes surpris par son architecture caractéristique du Nord de la France, ses ruelles pittoresques bordées de maisons basses en brique rouge, ses quelques commerces – certains ont ouvert pour l’occasion comme les kebabs ou les petites épiceries – , son imposante mairie des années 20, l’époque de la mine triomphante et sa grande église Saint-Martin, classée monument historique. En fait, la petite ville d’Hénin-Beaumont a du charme, mais nous ne sommes pas venus faire les touristes.
Marine Le Pen : 46,5%
Ce soir là, la candidate du FN sort en tête à Hénin-Beaumont avec 46,5 % des voix. Loin devant Jean-Luc Mélenchon (arrivé en deuxième position) et ses 19 %. Un résultat qui confirme le « ras le bol » ressenti par de nombreux habitants de la région. Comment cette commune de l’ancien bassin minier de l’arrondissement a pu en arriver là ?
En ce dimanche 23 avril, jour du premier tour de l’élection présidentiel, tout le monde le sait, mais personne ne semble savoir vraiment comment réagir. Comme un enfant à qui l’on offre un cadeau qu’il a découvert dans le grenier plusieurs semaines avant Noël. Quoi qu’il en soit, Hénin-Beaumont va entrer dans l’histoire, encore un peu plus.
Dès 10h, les principaux cafés de la ville sont pris d’assaut par les journalistes et leurs imposants équipements télévisuels. « Heureusement qu’il parle anglais et trois autres langues » lâche le barman du Café de la Paix en montrant du doigt Dino le patron du bar pendant qu’au fond de la pièce, la serveuse indique les toilettes à un journaliste, en italien.
A quelques mètres de là, la pression monte d’un cran près du bureau de vote n°12, rue Jean-Jacques Rousseau. Marine Le Pen doit s’y rendre pour aller voter à 11h. Un quart d’heure plus tôt, un groupe de Femen, seins nus, masquées par les visages de Trump, Poutine et Marine Le Pen venu « saluer» la candidate se fait arrêter par les forces de l’ordre. Dans le même temps, Jacob Khrist, un photographe plaqué au sol par deux hommes en civil se fait embarquer à son tour par les forces de l’ordre. Accusé de « complicité d’exhibition sexuelle » et de « rébellion », il ne sortira de sa garde à vue que 36 heures plus tard.
Quelques riverains, curieux de tout ce remue-ménage restent postés derrière les barrières de sécurité entourant le bureau vote. Trois jeunes contemplent la scène en retrait. Capuches sur la tête, ils l’affirment fièrement, aucun des trois n’ira voter. Les deux premiers sont mineurs, mais le plus âgé lui « refuse de donner cinq minutes de son temps pour aller voter. J’en ai marre de cet Etat qui nous pique de l’argent. Ma mère en Belgique gagnait beaucoup mieux qu’ici pour le même poste ! » justifie-t-il. Pourtant certains candidats font de la baisse d’impôts un de leurs objectifs non ? Pas le temps de répondre, les trois compères partent en courant après que l’un d’entre eux ait raccroché son téléphone. « Salut m’sieur bon courage ! ».
« On a peur »
Passé midi, la rue se calme, l’armée de journalistes commence à se disperser. Une famille, venue au complet se dirige vers le bureau de vote. Au fil de la discussion, les grandes lignes du programme Lepeniste s’expriment. « Le nouveau maire il est comme ça ! » s’exclame la femme, mère au foyer, en dressant son pouce.
Après les louanges, nous nous rendons compte de ce qui a motivé cette famille à donner sa voix au Front National. « On a peur ! » glisse la maman, le regard grave. Peur de quoi ? « Des sans-abris qui squattent les bâtiments en face de chez nous. Des jeunes que la police n’arrête pas quand ils font une connerie. De toute façon, les flics ils ont leurs têtes ! J’en ai vu un l’autre jour se faire embarquer et relâcher dix minutes plus tard alors qu’il fumait du shit ». Des chauffards en centre ville, des jeunes fumeurs de cannabis et des squatteurs. Jusqu’ici rien de très original pour une ville de cette taille. Et pourtant, la peur et le désespoir se ressentent dans leurs yeux.
Dans la rue qui fait l’angle, Catherine promène son chien, anciennement encartée au FN, elle a quitté le Front il y a quelques années, elle est membre d’une association pour la protection animale. Pour elle, cette peur est différente. « Si Marine passe, on va vers une guerre de religion. Si c’est Macron ce sera un nouveau mai 68. Faites très attention à vous ce soir après les résultats. D’ailleurs ma voisine de 80 ans, elle s’est enfermée chez elle et ferme ses volets tous les jours ». Aujourd’hui, cette Héninoise est fâchée contre l’extrême droite. Pour elle, cette politique peut s’appliquer localement, à l’échelle d’une ville comme Hénin Beaumont mais pas sur le plan national. « On a un maire en or ici. Mais ça suffit, il serait trop dangereux d’élire une femme comme ça à la tête d’un pays ». Aujourd’hui, Catherine a voté pour Jean-Luc Mélenchon.
Après une journée passée à Hénin-Beaumont, dans un contexte particulier, il est facile de ressentir ce désespoir et cette peur présentes chez les électeurs du Front National. Un dépit qui contraste avec l’euphorie des quelques centaines de militants et électeurs du FN, venus chanter et danser à la gloire de la qualification de leur candidate pour le second tour devant les caméras de télévisions du monde entier.
Des Liens
- Une vidéo amateur de l’arrestation de Jacob Khrist
- La tribune de Jacob Khrist sur son Facebook
Les commentaires (4)
Merci à l’équipe de la télélibre de nous offrir un regard différent sur une ville où le FN est en force. même si ce que disent ces personnes nous dérangent profondement, on doit y aller, parler, échanger, écouter, pour mieux comprendre. Une détresse profonde sort de ce que disent les gens, et si l’espoir ne renait pas, si ils continuent à se sentir en dehors de tout, si ils ne peuvent pas un jour relever la tête, alors bien sur, ils n’ont que cette réponse.
Woaw, quel reportage ! Quel époque aussi… Bravo et merci LaTéléLibre.
Excellent montage. Merci !
Le vote FN est le vote logique si j’ose dire. Un vote de réponse à la brutalité du Marché, celui qui exclue tous ceux qui ne désirent pas, par réflexe ou par conviction, participer à ce monde marchand déshumanisant.
Face au mondialisme, la solution du patriotisme s’impose d’elle même. De pater, le père, c’est notre enracinement qui en est le rempart. Or, la conséquence de plusieurs décennies d’une doxa qui promeut au contraire le désenracinement, l’être hors-sol, c’est pour nous la culture de la confusion des concepts. Prenons celle de patriotisme et racisme. D’aucuns n’osent même plus s’affirmer patriote sans craindre l’on le taxe de raciste. N’est-ce pas vrai ? Alors, les forces nationales amoureuses de leurs terres fuient, frappées d’anathèmes et poussées dans des retranchements tout autant fabriqués ; ceux des concepts pathétiquement et honteusement indéfinis de « race », de « devoir de mémoire », de « repli sur soi », de « frontière » même… Les patriotes manquent finalement de moyen humain face au rouleau compresseur qu’est la Banque. Et le FN, qui vivote dans ses communes, n’a que le pouvoir d’un maire méprisé par la nation TF1, et qui entre dans son rôle, encore j’ose dire, pour faire ses preuves. Quand l’esprit français, lui voit ailleurs…
Marine, aujourd’hui, par la voie des urnes, est le rempart à bien des horreurs…