LE CYNISME DES CHIENS

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TRIBUNE LIBRE

Suite à l’intervention scandaleuse des gendarmes dans un établissement scolaire du Gers, un commentaire transmis par la LDH, d’un de ses membres de la Guadeloupe, Jacky Dahomay. Professeur de philosophie à la Guadeloupe, et démissionnaire du Haut Conseil à l’Intégration. Il fait référence à ce triste épisode, et aux mesures actuellement imposées à notre école. Le texte a été publié sur le blog de son fils David, le 10 décembre dernier.

Le cynisme des chiens

Le récit ahurissant fait par un enseignant du Gers concernant l’intrusion dans sa classe de gendarmes et d’un chien, m’a littéralement bouleversé. Et j’ai pleuré. De rage bien entendu. Je suis un vieil enseignant, à la veille de la retraite. Ce métier a été ma seule vocation. Je me suis toujours tenu pour le seul maître dans ma classe après Dieu (s’il existe bien entendu !) et personne n’y rentre sans mon autorisation, ni chef d’établissement, ni inspecteur, ni ministre et, à fortiori, ni gendarme ni chien. Impossible ! A moins d’un cas de force majeure grave que le chef d’établissement devra m’expliquer au préalable. Je le dis donc tout net : si une telle chose m’arrivait je donnerais l’ordre aux élèves de désobéir. Telle est mon éthique de professeur. J’estime ma mission d’enseignant plus haute que ma propre sécurité. En vérité, depuis quelques années, les enseignants s’accommodent de bien de choses inacceptables. Oublient-ils ce principe républicain qui veut que l’instruction publique vise aussi à former des citoyens incommodes ?

Comment en est-on arrivé là ? Tout se passe aujourd’hui comme s’il y avait une redoutable confusion des rôles, des institutions comme de leurs fonctionnaires .De toute évidence, au niveau des responsables de l’Etat comme au sein de la population, il y a confusion entre l’espace public propre à l’école et d’autres formes d’espaces publics ou communs. Or, l’école n’est pas publique au sens ou peuvent l’être les chemins de fer, les télécommunications ou la place du marché. Cela fait des années qu’on croit bien faire en ouvrant l’école sur l’extérieur. La rue y est rentrée, avec son lot de désagréments. Si la rue peut enrichir l’expérience, seule l’école donne une véritable instruction. Comment des vérités aussi élémentaires peuvent-t-elles avoir été oubliées ?

Admettons qu’un policier ait toute légitimité pour procéder à des fouilles dans les aéroports et dans la rue (à condition bien sûr que cela ne s’adressent pas qu’aux basanés !). Cela lui donne-t-il pour autant le droit de se substituer à l’autorité du maître dans sa classe ? On a souvent du mal à distinguer entre le maître qui impose une domination et le maître qui exerce un magistère. Et comme ce principe s’est perdu, le maître-chien, fût-il gendarme, se sent autorisé lui aussi à prendre la place de l’enseignant à l’école. Et quand un magistrat se permet de croire que la peur du gendarme introduite brutalement à l’école est ce qui préservera les élèves de la délinquance on se demande, bien que n’étant pas gaulois, si le ciel n’est pas tombé sur notre tête ! La peur et la répression ont remplacé la mission éducative de l’école. Quel échec ! Sait-on simplement que lorsque le chien et le gendarme se substituent à l’autorité du maître à l’école, c’est que les loups hurlent déjà aux portes de nos villes. Il s’ensuit en général un bruit de bottes sur les trottoirs.

Mon cœur donc gronde de colère et qu’on le laisse faire ! Il y a des moments où la raison raisonnante devient impuissante et  laisse place à l’indignation. Toutefois, des chiens, préservons-nous de leur rage et de leur cynisme. J’emprunte cette expression « le cynisme des chiens » à Chateaubriand qui, dans ses Mémoires d’Outre-tombe, l’utilise pour qualifier les révolutionnaires qui, sous la Terreur, bons père de famille, emmenaient leurs enfants se promener le dimanche en prenant soin de leur montrer en passant le dada des charrettes qui conduisaient des citoyens à la guillotine. Le cynisme est dans la contradiction voulue et assumée opposant les grands principes humanitaires qu’on affiche et la pratique quotidienne du massacre de citoyens.

Aujourd’hui, nous avons affaire à une autre forme de cynisme. Dans le spectacle que donne à voir par exemple le  Gouvernement actuel de la France. Le président, Nicolas Sarkozy le premier. Loin de  moi l’idée de vouloir l’affilier à une quelconque gent canine. Mais son cynisme consiste à affirmer une chose et son contraire, à soutenir un ministre un jour, à le désavouer le lendemain, à parler constamment à la place de ses ministres. Dans son agitation ultra médiatisée, il procède à une véritable  désymbolisation constante des institutions de la république. Il y a bien là un travail d’affaiblissement de l’autorité de ces dernières. Pour parodier Hannah Arendt, disons qu’il a y aussi perte d’autorité quand les adultes refusent d’assumer le monde dans lequel ils ont mis les enfants, les vouant ainsi à une culture de la violence. Le refus de l’éducation est l’étalage de la répression et le culte de la sécurité. On croit que la sécurité n’est qu’une affaire de police alors qu’elle réside avant tout dans le contrat liant les citoyens, contrat implicite et symbolique comme sortie de l’état de nature. C’est ce refus de l’éducation qui pousse à vouloir incarcérer des enfants de 12 ans. Reste maintenant à obliger des psychiatres à inventer une substance antiviolence qu’on inoculerait aux femmes enceintes, sans leur consentement bien entendu.

Tout cela est grave, très grave. La démocratie ne fait pas toute la légitimité d’une république. Un pouvoir tyrannique peut se mettre en place démocratiquement. L’histoire comme on sait ne se répète pas et les formes de totalitarisme à venir sont forcément inédites. Nous sentons bien qu’une nouvelle sorte de régime politique, insidieusement, se met en place. Quand, à l’heure du laitier, un journaliste est brutalement interpelé chez lui, devant ses enfants ; quand des enfants innocents sont arrachés de l’école et renvoyés dans leur pays d’origine ; quand une association caritative est condamnée à de lourdes amendes pour être venue en aide aux sans abris ; quand….Même si nous n’avons pas encore tous les éléments théoriques permettant de  penser ce régime inédit, il se présentifie déjà avec des signes certains  de la monstruosité. Face à tout cela, le PS, principal parti d’opposition, se déchire lamentablement. L’heure serait-elle venue, pour nous enseignants du moins, d’entrer dans la désobéissance civile ?

Je ne parle peut-être pas d’outre tombe mais je suis d’Outre-mer. Comme beaucoup d’Antillais, j’ai aimé une certaine France malgré l’esclavage et la colonisation, malgré Vichy et la collaboration. Cette France qui à deux reprises, a su abolir l’esclavage, celle qu’on a cru ouverte aux Droits de l’homme et aux valeurs universelles. Celle dont l’école, malgré ses aspects aliénants pour nous, a su donner le sens de la révolte à un Césaire ou à un Fanon. Qu’il faille dépoussiérer cette vieille école républicaine ne signifie pas qu’on doive la jeter avec l’eau du bain.  Est aussi à réviser cette identité républicaine hypocrite qui a du mal à s’ouvrir à la diversité. Et quand on constate que monsieur Brice Hortefeux, ministre de cet affreux ministère de « l’intégration, de l’identité nationale et de l’immigration », aux relents franchement vichyssois, se permet de réunir, à Vichy  précisément, les ministres européens chargés des questions d’immigration on  peut légitimement penser qu’il y a là une continuité conservatrice inquiétante. Ce ministre rend visite le 10 décembre au Haut Conseil à l’intégration. Je n’y serai pas. J’annonce ici publiquement ma démission du HCI. Cette France qui vient ou qui se met en place sournoisement, je ne l’aime pas. Devrions-nous alors, d’Outre-mer, faire dissidence ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr en tout cas c’est que la plus grave erreur serait de se dire, comme à l’accoutumée, que les chiens aboient et que la caravane passe.

Jacky Dahomay. Professeur de philosophie à la Guadeloupe

Démissionnaire du Haut Conseil à l’Intégration

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Les commentaires (12)

  1. monsieur Dahomay,quelle lucidité et quel courage !
    quelle fierté aussi !
    que la France d’Outremer contribue à nous réveiller tous!
    merci !

    par respect pour votre engagement , je ne signerai pas d’un pseudo mais de mon simple prénom .

  2. Quel texte!! Merci à LTL de nous permettre de lire cette lettre ouverte de Jacky Dahomay!! Ferait bien de faire lire cette lettre dans toutes les classes avec celle de Guy Moquet, monsieur Darcos!!…
    Comme je l’avais dit, j’ai eu un compte rendu de ce qui s’est passé dans ce collège du Gers où il se trouve qu’une de mes connaissances a son fils en 4eme. Son fils lui a dit qu’en fait les élèves n’avaient pas été trop « choqués » par ce qui c’était passé, peu en avait même parlé à leurs parents (pour vous dire à quel point ce collège était rempli de dur à cuire, de cailleras, qu’il fallait coûte que coûte terroriser!…). Je précise que ce collège de Marciac a une option musique liée au fameux festival de jazz de Marciac (donc, des brutes épaisses incultes que seul le fouet peut raisonner). Une chose cependant les a impressionnés: comment les chiens devenaient « fous » dès qu’ils sentaient de la nourriture dans les cartables!! Le voisin de table du fils de mon ami s’est fait vider son sac uniquement à cause de ça… Alors, d’une part, non seulement les enfants n’ont pas été terrorisés par l’action de la police (plouf Mme la préfète!!) mais constat alarmant: les enfants ne s’étonnent plus des comportements hors normes des policiers; posons-nous alors la question des représentations que construisent ces gamins sur la police et leurs conséquences par rapport à la mission que sont sensés représenter ceux qu’on appelait naguère « gardiens de la paix »!! Et d’autre part ils ont été frappés par le comportement fou des chiens… et donc se sont posés des questions comment on pouvait rendre les chiens comme ça! Et sûr que quand, grâce à internet, ils vont comprendre, leur représentation de la police va marquer des points!!!
    Je ne jette pas la pierre aux policiers ou aux gendarmes, car ils obéissent aux ordres. Que chacun soit jugé en fonction de sa responsabilité. Dans les crimes, celui qui commandite un crime est davantage pénalisable que celui qui appuie sur la gâchette. Ce ne serait que justice qu’il en soit ainsi dans ces dérapages policiers, ça éviterait aux incitateurs de se dédouaner sur des lampistes!

  3. Et merci surtout de le publier et aux internautes de le faire circuler…

    Pour donner aussi aux profs le courage de dire non avant que le scandale arrive !

  4. Tres bien effectivement cette lettre.

    Une partie me fait penser a un passage dans le film V pour Vendetta en rapportant certains évènement qui se sont passé au debut…

    Ca fait bizarre de ce dire que nous sommes peut etre malheureusement au debut effectivement de quelque chose de mauvais :|

  5. Victoire ou poussée des extrêmes droites en Suisse, en Autriche, alliance extrême droite et droite dure en Italie, en France, en Pologne… Brrrrr!!! ça fait froid dans le dos… Attention, vigilance maximale, un dérapage contrôlé est vite arrivé…

  6. V pour Vendetta!
    Tu as tout à fait raison « Pseudo » (5), je me dis souvent que nous somme en plein dedans et c’est le cas, tout dépend de ce que tu vis, et si tu ne vis rien à part une vie plutôt paisible juste dérangée par ce qu’on appelle « les petits tracas de la vie quotidienne » , alors tout dépend de ce que tu veux voir.
    C’est là que souvent certaines personnes y compris parmi celles que j’aime me mettent hors de moi, dans ces réactions molles, peu motivées par ce qui devraient tous nous toucher, nous faire réagir et c’est vraiment plus insupportable quand ça vient d’un proche… Il y en a marre du « ce n’est pas si horrible », « ce n’est pas si grave »…
    Prenons l’exemple de la police, je ne comprend pas qu’il n’y ai pas encore eu de mouvement national en ce qui concerne les bavures, abus de pouvoir et autre.
    La police se doit d’être irréprochable, peu importe que les types soient crevés ou sous pression, ils représentent l’Etat, ils sont censés protéger les civils et pas autre chose. Ils se doivent d’être irréprochables, tout comme un élu se doit de l’être! Mais bon dans ce bled on peut t’envoyer quelqu’un en prison pour des vols d’autoradio ou possession de shit, tout en acclamant de vive voix le retour de Juppé, continuer à respecter Pasqua et a prétendre que la clique Tibéri est respectable…
    Normal, ils sont tous pourris allez vous me dire? Oui, et ça a toujours été ainsi, des pourritures au pouvoirs, mais là en plus cette bande de dégénérée ne sert à rien! La politique est morte, elle n’existe plus, les seuls à en faire sont les résistants de tout bord et les chefs des rares tribus qui ont la chance de peu ou pas du tout entrer en contact avec notre monde!
    Cazo, tu dis que les enfants ne s’étonnent plus du comportement hors norme des policiers et c’est ce qui est triste, il y a une idée générale, une pensée et une conviction pour certains que la police n’est bonne qu’à commettre des bavures ou des actes violents, en bref à jouer au Cowboy.

    Le problème premier est bien entendu de confier autant de pouvoir (en particulier des armes) à des hommes qui ne bénéficient que d’une courte formation.
    Pour moi n’importe quel policier se doit d’être au courant de l’état social de la région où il opère et par extension l’état de toute la France.
    Un peu d’Histoire ne leur ferait pas de mal, elle va trop loin allez vous me dire? Et pourtant je vous assure que l’Histoire permet de comprendre une énorme partie du présent.
    Et puis, pour les esprits morts ou Beauf, comme on en rencontre parfois, même ici sur télé libre, ça leur permettra de mieux choisir leurs insultes, par exemple, le mot bougnoule qui est certes d’origine sénégalaise (je ne sais plus de quelle langue du Sénégal) était à la base utilisé par les allemands pendant la seconde guerre mondiale pour désigner les français!!

    Enfin voilà, c’est la Police qui a besoin d’éducation mais celle d’aujourd’hui ne l’est pas car nos dirigeants successifs n’en ont rien à foutre de nos gueules tant que nous continuons à casquer et à consommer.

    En tout cas je vais faire tourner ce texte, j’ai quelques potes qui s’intéressent à autre chose qu’à leur train train aliénant!

    A part ça, la lune était sublime ce weekend non?

  7. «Il y en a marre du “ce n’est pas si horrible”, “ce n’est pas si grave”…»

    Tout a fait, a ces gens la je leur pose la question de « qu’est ce qui est grave alors? » (on peut prendre des exemples divers) et en général vous verrez qu’ils ne savent pas quoi répondre.

    Ils sont simplement aliéner je dirais par le taff et les medias, une sorte de déconnections du reel, jusqu’au jours ou ca leur arrive par exemple, ou quand ca arrive a un proche, ou quand on est suffisamment dans la merde pour se dire que c’est aller bien loin mais qu’il est malheureusement un peu tard pour réagir, le mal est fait.

    Il vaut mieux tard que jamais, mais bon, a quel prix bien souvent…

  8. Tout à fait d’accord avec pseudo et wafae!!… Ce qui doit révolter c’est qu’à force de banaliser l’inacceptable on en fait une norme, et tout ça va se dégrader jusqu’à quand?? jusqu’où??… On est effectivement des grenouilles dans un bocal d’eau qu’on a mis à chauffer, doucement, mais sûrement… et nous coassons: jusque là, ça va… jusque là, ça va…jusqu

  9. Pas de chiens renifleurs de drogue dans les écoles, mais alors pas de mobilisation,de discours politiques et occupation des salles de classe à des fins politiques….. à des gamins !!!

  10. Oui mais Cazo, je pense que nous somme de ceux qui ont conscience de tout ça. Et c’est à partir de cette prise de conscience que tout devient douloureux car d’un coup on s’aperçoit que nous n’avons quasiment aucune chance de changer quoi se ce soit…
    Nous pouvons nous battre et gueuler mais dans le fond je ne sais pas si ça changera.

    Nous ne sommes plus de ceux qui coassent dans les bocaux, nous sommes de ceux qui ont fini par retirer leurs oeillères pour voir le désastre de nôtre monde. Nous sommes de ceux qui acceptent de subir, car comment faire autrement?

    Ceux qui sont dans les bocaux ne subissent rien, puisque ‘ils acceptent le conditionnement de leur vie. Ils acceptent de céder à la colère dans le métro parce que le fait d’appartenir au monde du travail leur impose une pression énorme.
    Ils acceptent les contrôle de police parce qu’ils refusent de se battre. Je ne sais pas si on peut dire ils acceptent, en fait ils ne savent pas, ils ne réalisent pas et pensent qu’il n’y a pas d’alternative possible.

    Nous appartenons à des sociétés de « douillets ».
    Parmi ceux qui ont pris consciences de l’état de nôtre quotidien en France et dans le monde, il y a tout un lot de personnes qui refuseront toujours de soutenir, de reconnaître la légitimité des personnes qui décident de se battre (surtout par des grèves ou des voitures brulés) parce que leur confort merdique, c’est à dire 48h00 de liberté hebdomadaire leur semble sacrée (sachant que c’est le moment où on fait les courses et le grand ménage dans les familles)!

    48h00 sur une semaine. 5 jours consacrés à l’élévation de ce qui fait exister nôtre « civilisation » (hum! hum!), LA CONSOMMATION, je vis en son sein, elle a un empire et tout nous oriente vers elle.