[CARNET DE BORD] Matthieu, en Solitaire, au Milieu des Mondes

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Matthieu Martin, caméraman historique de LaTéléLibre est seul, au milieu de l’Atlantique, à bord de Lilo, sa « coquille de noix », comme il dit. Parti de Dakar le 18 octobre, il rame pour rejoindre la Guyane, 4700 kms plus loin. Une aventure extraordinaire qu’il nous fait partager à travers son carnet de bord. Des coups de cœur et des coups de sang bruts de décoffrages venus du grand Océan. Matthieu, un poète au milieu de nulle part.

Matthieu rame dans le cadre de la course « Rames-Guyane 2014 ». Son Carnet de bord, sera régulièrement mis à jour sur cette page. Les nouvelles les plus récentes sont toujours rajoutées en haut de l’article ci-dessous. Pour reprendre l’histoire depuis le début, il faut se rendre en bas de page ! Bon voyage…

J+79 ! 5 janvier 2015

Il l’a fait !!! Matthieu a traversé l’Atlantique à la rame en Solitaire ! Il est arrivé hier soir à 3h52 dans la nuit.

BRAVO!

arrivmatthieumartin

18 décembre… Silence radio !

Pas de nouvelles de Matthieu depuis un moment. La connexion semble difficile, mais tout a l’air d’aller pour lui. Il a doublé deux concurrents ces derniers jours et semble attiré par un courant plus au sud. Il sera toujours en mer pour les fêtes de fin d’année. Alors bon courage Matthieu, souque ferme et reviens nous vite ! Voici sa position du 18 décembre.

mathieu-18-decembre

 

J+ 46 La journée du rameur océanique

Le matin, au réveil, il a mal au dos
Quand il rame, il se sent comme un jeune homme
Le soir, il dort comme un bébé.
Traverser l’océan, une vraie cure de jouvence!

RAMEGUYANNE-MATTHIEU-LTL

 

J+ 41 Quelques nouvelles de nulle part

A 41 jours de traversée Matthieu avance bien mais c’est dur ! Il a difficilement connexion internet ces derniers jours, donc peu de nouvelle par écrit ! Bonne nouvelle, le dessalinisation est réparé, il a donc suffisamment d’eau pour s’alimenter et se laver !!

J+37 : Pompez, souquez, ronflez

Les dieux ont un humour « so british ». Il aura fallu attendre les premières pluies pour me retrouver dans une jolie panade !  Une bubulle s’est installée dans le dessalinisateur et l’empêche de se réamorcer. Une simple bulle est tout un système qui tombe en rade ! C’est un peu David contre Goliath et, bien sûr, je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis le simple couillon qui se retrouve au milieu sans son eau ! J’exagère, l’eau j’en ai ! Par contre, je me lève un peu plus tôt pour me la faire « a la main » ! 1h de pompage, 3 litres ! Ça va me suffire… J’arrête douche, rasage, lavage… Ce n’est pas moi qui sentirai la Guyane se rapprocher, c’est les guyanais qui sentiront le bouc arriver !

Pour qu’une aventure soit belle, il lui faut des petits moments dramatiques ! Ok, j’ai pris note, je veux bien qu’on me rende mon petit luxe de bourgeois maintenant ! Mais bon, comme je l’ai dit en vacation :  « il y a des millions de personnes qui font des kilomètres pour puiser de l’eau à la main… Je ne vais pas râler pour si peu ! » Moi qui veut être un citoyen du monde, j’apprends ! Un grand merci aux Alain, Pinguet et Girardot, qui, au moindre coup de téléphone, se mettent en quatre pour essayer de m’aider! Merci merci merci et l’aventure continue :-)

J+32 : Le silence

La mer affolée laisse place à un silence solennel. Il m’entoure et laisse planer les songes vagabonds vers d’autres horizons. Ici et là, un oiseau passe. Une vague me soulève puis me repose dans un calme de circonstance. Le son des pelles se frottant à la mer diminue, je m’arrête et écoute. J’écoute le silence. Quelle merveilleuse symphonie du plaisir, oubliée.

1-mois-de-mer

J+31 : La minute

La mer est le plus bel endroit pour perdre la notion du temps. Je me lève un peu avant le soleil. Je vais caréner quand il est à son zénith. J’arrête quand il est au couchant lorsque le rouge et le noir ne font plus qu’un. Les secondes, les minutes, les heures de la journée sont restées derrières. Pour s’oublier un peu plus, les navigateurs ont même créé une nouvelle minute.

Pour compliquer  la tâche ou, comme je le pense, pour perdre toutes notions avec la terre, ils ont divisé chaque degré en 60 minutes. 1 minute correspond donc à 1 mile. Donc quand on sait qu’un collègue est  à 20 minutes de sa position… Il ne faut pas se réjouir trop vite et sortir le pastis pour l’apéro… Car a 20 miles, on a le temps de voir passer quelques sirènes avant de le rejoindre. Par contre, si votre patron vous demande quelques choses, répondez lui sans crainte « dans 1minute »… Alors terriens ou marins ?

Bonus du Jour #2 : une nouvelle interview de Matthieu

J+30 : Une rencontre éphémère

Il est apparu, comme une plume qui tombe du ciel, il est resté au dessus de ma tête quelques secondes puis s’est posé sur Lilo. Comment est-il arrivé là, aucune idée. Il est reparti au flux du vent qui l’emportera vers le sud.  Un bref instant, j’ai partagé mon voyage avec un papillon.

MATTHIEU-PAPILLON

J+23 : Il était temps !

J’ai compris comment aller vers l’ouest !

Bonne semaine à tous.

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Où en sont les rameurs ?

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J+22 : Matthieu et le requin pointe blanche

Je traverse un champ océanique de moutons. Un front est passé et nous a ramené son lot de vagues croisées et d’écumes. Le ciel et la mer s’assombrissent.

Je suis aux commandes de mon taxi jaune et rouge quand, sortant de la pénombre, apparaissent deux requins. Ils sont majestueux. Dans une élégante onde, ils suivent la trace de Lilo, se mettent sur ses bords, se protègent sous sa carène. Silencieusement, nous avançons ensemble. Je suis heureux de voir ces princes des océans. Ils me fascinent autant qu’ils m’ont fait peur, enfant, dans « les dents de la mer ».

requin

D’un geste sûr, ils s’aventurent à la proue puis se laissent distancer pour mieux revenir jusqu’à moi. Ils ne craignent pas de côtoyer un petit homme. Ils ne craignent pas de se faire pêcher pour un simple aileron et de se faire rejeter mort vivant. Ici, les hommes, pêcheurs de veines croyances, ne s’aventurent pas. Trop loin, trop cher, trop grand. Ici, les requins sont libres.

Bonus du Jour #1 : une interview de Matthieu en direct de l’océan

J+18 : Matthieu se fait escorter

En essayant toujours de ramer vers l’ouest pour atteindre la fameuse autoroute empruntée par les tortues de Nemo, j’ai eu droit à un nouveau spectacle. Je me suis cru un roi en visite dans le royaume de Poséidon . Il avait mis en place un imposant et spectaculaire convoi de coryphènes. Il est un peu plus de minuit et une trentaine de poissons aux éclats bleu et vert vifs suivent Lilo de part et d’autre. Elles sautent, virevoltent, frôlent les pelles. A ce moment là, nous faisons vraiment parti de la nature. Elles prennent le temps d’escorter cet étrange étranger vers l’autoroute qui le mènera de l’autre côté. Elle connaissent bien la route, je leurs fais totalement confiance. Il est 4h30, épuisé je vais me coucher dans mon somptueux loft. À mon réveil, elles sont toujours là, à danser autour de la maison. Elles me font la fête ou quoi ?

coryphene

Mais avec elles un nouveau invité fait son apparition… Un requin a décidé de séjourner la matinée en notre compagnie. Pas très grand, marron aux pointes blanches. Il tournoie autour de moi, ou plutôt autour des petits poissons protégés sous la coque de Lilo. Ne connaissant pas cette espèce (peut être une pointe blanche mais je les pensais gris), je ne me risque pas de me mettre à l’eau. Je le regarde. C’est beau un requin qui nage ! Lui aussi a sa petite garde rapproché. Des dizaines de petits poissons lui emboîte la nageoire pour lui piquer des petits restes ! Mes amis ont préféré se mettre à l’écart plutôt que sous ses dents, je suppose.

Aux environs de 10h, elles reviennent et se remettent en poste. Ensemble, nous reprenons le cap vers l’ouest. Il faut atteindre le péage pour la voie express mais ça ne sera pas pour aujourd’hui. Une jolie dépression me fais tourner le bateau à 180°. Il n’est pas l’heure de chômer, je mets tout mon cœur à l’ouvrage et à 18h, je stoppe ! Sur le GPS, je constate que j’ai fait une route  « artistique ».

Cette nuit, quand vous rêverez, j’accomplirai un bout du mien !

J+15 : Matthieu passe sa première journée de galères !

Aujourd’hui, je suis d’humeur râleuse ! Ça arrive à tout le monde, mais quand on est seul, c’est con. Alors je râle contre madame la mer…

Cette nuit, elle m’a réveillé avec fracas. J’ai cru que je me prenais un mur dans la tronche ! Elle m’a fait virevolter de part et d’autre de la couchette ! Mais la grande crainte a été surtout à l’extérieur. Quand l’eau percute la coque ou que Lilo « saute » on entend un boom. Mais là, c’est assourdissant et d’un coup j’ai entendu le safran qui jouait tout seul !!! Je sors la tête, je ne vois plus la flèche de repère qui m’indiquait la route. Je veux m’approcher de la catastrophe mais, perché sur le panneau arrière, je rebrousse chemin. Je ne vois rien, c’est stupide de se mettre en danger comme ça. Je verrai demain. Mais durant les 3h qui me restaient  dormir, je n’ai pas fermé les yeux une seconde. Putain de putain de putain. Fait chier ! Pourquoi ça et maintenant.

Il est 6h, je reprends l’ancre flottante qui m’empêche encore de dériver vers le Sud-Est puisque les vents ne me laissent toujours pas décoller. Il lui manque l’arceau qui lui permet de rester bien ouverte ! Ça commence. J’attends d’y voir un peu plus clair et misère ! Le safran est sorti de ses gonds. Là, il y a un soucis ! Il est 7h, je me jette à l’eau. Ce n’est pas la bonne heure pour y mettre les pieds, les gros poissons ont faim ! Je fais le tour, rien n’est cassé mais il n’y a plus l’anneau qui le maintenait ! C’est la galère. Il y a les vagues, les poissons et un couillon qui essaie lamentablement de remettre son bordel dans son trou de merde ! Je râle, je peste et au bout d’un très long moment j’y arrive. Mais putain ce n’était pas au programme ça ! Je remettrai un anneau plus tard, je suis crevé, je remonte  bord, déjeune et râle ! Fais chier putain de merde ! J’essaie de le manœuvrer, ça a l’air de marcher mais je n’ai plus aucun repère pour savoir où il est ! Je rame 2h. Ben ça marche beaucoup moins bien comme ça ! Il faut être logique dans ces moments, mais je râle et je ne suis donc pas un brin lucide dans la bonne manière de procéder pour me remettre au bon cap ! J’ai beau tirer sur les avirons, lever, baisser la dérive, je suis mauvais ! Faut que je me repose, je m’accorde une longue sieste pour me vider la tête ! Il est midi, je m’oblige a ramer 1h mais au bout de quelques minutes, je reste couac sur la chute de mon petit hublot sur l’entrée de la cabine ! La porte ouverte il serait passé par dessus bord ! J’ai compris. J’aurai du rester au lit ! C’est parti pour remettre en place la pièce! J’enlève tout le sika, je nettoie tout, je remets du sika et voilà c’est  fait ! Ça paraît simple mais avec les vagues et sur une coque de noix…

Bon, ça veut dire que je dois terminer là dessous aussi. Je replonge avec dans mes mains de quoi remettre un anneau. Grosse galère, je n’y arrive pas. Je râle. Je me démerde avec une autre attache, ça tiendra. Je vérifierai tous les jours s’il le faut mais pour l’instant je ne vois pas comment faire autrement! Pour les repères, je ne sais pas encore comment faire ! Une idée ? je suis preneur ! Je range les outils, je m’excuse auprès de Lilo et Neptune pour mon humeur et j’essaie de ramer pour finir la journée. À 17h30, ce n’est définitivement pas ma journée, j’arrête. Je savais bien qu’un jour ou l’autre j’allais avoir une grosse journée…  Elle est passée, demain ne sera que mieux !

J+14 : Matthieu en pleine action

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Matthieu tout sourire !

J+13 : Mat gagne le large et quelques bobos !

Aujourd’hui la mer a changé sa tenue.

Je rentre dans les eaux profondes et c’est tout l’environnement qui change. Il y a comme un air de danger. La nature me met en garde. J’entre dans un de ses territoires les plus austères. Les couleurs sont devenues plus sombres, les vagues plus hautes et plus fortes. La plupart passe sous la coque de Lilo telle une onde, certaines déferlent et envahissent le cockpit. J’essaie de tenir ma cadence de rame. Déjà que ce n’était pas très académique, là ça devient du grand n’importe quoi ! Ce qui est important, je pense, est de ne pas trop subir la vague. Je les observe continuellement. Mon instinct m’indique assez rapidement laquelle dont il faudra se méfier. Et pour la première matinée, il ne sait pas trompé ! Ne me lâche pas, je lâcherai rien ! Par contre je suis bon pour un torticolis !

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Il ne manquait plus que ça, ici c’est boboland… Avec les coups de pelles, les coups pour me retenir pour entrer dans mon superbe loft, c’est déjà pas mal, mais alors les fesses… C’est un champ de mine ! Pour les mains, j’ai très vite eu de grosses ampoules mais en 2/3 coups je ne sentais plus la douleur. Aujourd’hui, plus du tout. Mes fesses, c’est une autre affaire. On en reparlera… ou pas !

J+11 : il fait chaud sur Lilo

La fournaise. Au moins 40°, 45° à l’intérieur.

Cette chaleur devient insupportable et m’oblige à changer de rythme pour ne pas subir les coups de chaud. Je rame 3 heures à partir de 16h, puis de 21h a 1h et de 5h a 10h. A chaque heure, je fais une pause de 15 a 30minutes où je peux souffler un peu, me réhydrater (je suis à environ 6l d’eau par jour et je suis sûr autant qui s’échappe dans la transpiration !), et j’arrive aussi a dormir sur des tranches de 20 minutes.

À défaut de profiter du soleil, je profite des étoiles et de la lune. C’est vraiment un spectacle à couper le souffle. Puis le matin, le bonheur de voir gravir le soleil dans les cieux. A ce moment là, tout s’arrête. Un étrange calme s’abat sur l’océan le temps de saluer l’astre lumineux.

J’ai réussi à faire un léger cap à l’ouest, preuve que les conditions sont changeante ! Pourvu dans le bon sens… Car dès que j’arrête, j’ai beau mettre des longueurs de bouts, une ancre flottante, souffler… Rien y fait.

J+8 : Matthieu à l’ancre et prêt à repartir

Éole et Neptune font toujours aussi bon ménage… Tandis que le premier me renvoie vers la cote, le second s’agite à créer un courant nord-sud… En tout mot, tout l’inverse de ce qu’attend celui qui veut traverser l’Atlantique!

Les tentatives de départ se sont vues veines. C’était plus 1 coup pour Éole, 1 coup pour Neptune, 1 coup pour rien, 1 coup pour avancer… 1 pas en avant, 2 pas en arrière…

L’ancre est donc toujours à son poste. Ce matin, le vent baisse en intensité, et le baromètre commence à bouger légèrement, signe qu’il peut y avoir du changement dans les prochaines heures. En attendant, je me mets en hibernation tropicale. J’essaie de faire le moins de chose possible inutile pour éviter de me fatiguer pour rien mais surtout pour éviter les bobos inutiles en ce moment!

Alors j’y vais tout doucement,  je n’avance pas plus vite que de raison. Je regarde à 3 fois où je pose mon pied, à 3 fois où m’accrocher. Pour ouvrir un lyophilisé, pour boire une gorgée d’ eau, même pour vous écrire, je prends le temps, tout doucement. Au point où ça a une tendance à m’endormir. Alors je dors ! La vie coule dans la douceur d’un temps que je ne me souvenais plus ! C’est plutôt agréable et paisible. Il faut comprendre que le plus important dans cette période d’attente où les nerfs sont piqués au vifs est de ne pas se faire mal car on oublie de faire attention à soi et déjà il est possible d’abandonner pour une bêtise. Alors le temps s’arrête, et je m’arrête avec lui !

J+5 : que se passe t-il sur Lilo ?

Tandis que ces deux derniers jours étaient des journées propices à la contemplation d’un monde où le ciel et l’eau ne font plus qu’un, à la frontière des abysses et des cieux…

Aujourd’hui, je suis scotché par un vent d’ouest qui m’a obligé à lâcher 100m et l’ancre grappin. J’ai lutté jusqu’à 22h en vain, même l’ancre flottante ne suffisait pas à arrêter la mise en avant d’Eole et de Neptune pour me faire revenir. Je continue donc à faire le yoyo mais maintenant je fais aussi le bilboquet ! Ai-je oublié de payer l’impôt de passage de l’Atlantique ? Heureusement que je n’ai pas le mal de mer.

Maintenant, j’attends que le vent tourne un peu comme me l’a annoncé Philippe pour essayer de faire un léger cap Ouest Nord-Ouest. Hier midi, j’ai eu le privilège de rencontrer Germaine la coryphène, amie intime d’Alain Pinguet. Il ne m’en avait dit que du bien, mais qu’elle était un peu collante. Elle s’est approché de Lilo s’attendant à voir son vieil ami mais elle fut surprise en me voyant. Maintenant, on va essayer de s’apprivoiser l’un et l’autre le temps où elle voudra rester a l’ombre de la coque de noix. Ce soir, pendant que certains iront zouker, moi j’irai souquer!

Texte et photos : Matthieu Martin

Liens

Le site « Solitaire-Solidaire » de Matthieu
Le site officiel de Rames Guyanes
Un apercu du travail de Matthieu sur LaTéléLibre

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