Octobre Rose : Couvrez cette Prothèse Mammaire que je ne saurais Voir

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Une couleur unie et un discours unique pour sensibiliser les femmes au dépistage du cancer du sein. Sous prétexte de priorité nationale, cette campagne massive est pourtant controversée depuis plus de douze ans. Intrigués, tâtons un peu le sujet.

C’est le mois rose. Octobre rose. C’est beau, ça parait aussi inoffensif qu’une barbe à papa dans les mains d’un enfant. Mais cette action de santé publique appuyée par le gouvernement et censée faire reculer le cancer du sein est de plus en plus remise en cause par certains scientifiques. Et les scalpel et bistouri scintillants dans les mains du chirurgien de se révéler beaucoup moins rassurants qu’envisagé…

Quel état des lieux pour cette lutte contre ce cancer ? Quels tenants et aboutissants de cette opération concernant toutes les femmes de plus de cinquante ans ?

A la poursuite d’Octobre Rose

C’est une action gouvernementale nationale, dirigée par le ministère de la santé, généralisé depuis 2004 (le dépistage existait depuis le début des années 1990 dans quelques départements).

Mobilisation générale ! Car le cancer du sein est le cancer le plus meurtrier chez les femmes (il n’existe que de rares cas de cancer du sein chez l’homme, d’où cette obsession de genre). Il est un problème majeur de santé publique de cette frange de la population auquel les autorités de santé pensent avoir trouver solution : faire bénéficier les femmes entre 50 et 74 ans, en France comme dans bien d’autres pays, d’un examen radiographique gratuit des seins tous les un à deux ans (la mammographie).

Sur fond de couleur attrayante, les communicants rivalisent d’idées plus ou moins bienvenues pour convaincre les femmes de l’intérêt d’un dépistage du cancer du sein : un site dédié, des slogans (« osez montrer vos seins ! »), des campagnes de sensibilisations sponsorisées, des marraines guest-stars photographiées en des plans américains évocateurs (Matilda May seins nus, en un noir et blanc que n’aurait pas renié Helmut Newton), des marques s’adossant à l’événement (les partenaires commerciaux) ou s’impliquant lucrativement, un ruban symbolique, un programme spécialement élaboré et festif (illumination de la Tour Eiffel, tables rondes, conférences organisées par des entreprises de soins à but lucratif…), etc.

Une campagne rodée donc. Martelée un mois durant pour sensibiliser dans les têtes et dans les corps. L’émotion portée à son comble, s’agissant de « nos » femmes. Voire une culpabilisation à outrance. Objectif premier : faire de la mammographie une étape naturelle dans le parcours de vie d’une femme.

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Hollandie_20150925_Octobre rose couvrez cette prothèse mammaire que je ne saurais voir_plaquette2plaquette promotionnelle dédiée au dépistage du cancer du sein

Naturels, cette visite médicale et cet examen mammographique le sont devenus pour la très grande majorité des femmes de plus de cinquante ans. Parce que cette opération patronnée par le ministère de la santé revêt subséquemment un caractère de priorité et d’intérêt nationaux ! Société du tout préventif.

En octobre, période paroxystique du dépistage, ce sont de 60 à 80 femmes qui défilent tous les jours dans les cabinets mammographiques (moyenne établie sur la base d’un centre standard possédant de 2 appareillages).

Passons sur le caractère douloureux de l’examen au cours duquel le sein est pressé entre deux plaques.

Ce qui est mis en avant par les médecins et la plaquette officielle ne semble souffrir aucune contestation possible, tant les affirmations paraissent indubitables.

«  Après la cinquantaine, même si on est en bonne santé, il est important de faire une mammographie de dépistage, tous les 2 ans. C’est le meilleur moyen de détecter un cancer du sein le plus tôt possible. C’est efficace, simple et gratuit. […] Plus un cancer est détecté tôt, plus il se soigne facilement et plus les chances de guérison sont élevées. […] »

 

Voilà pour l’avis d’autorité valant preuves. Un avis parcellaire et orienté, via une lettre d’invitation, comme une évidence, soulignant les bienfaits d’un dépistage en omettant d’équilibrer le propos de toutes les données. Ne permettant pas à la patiente de pouvoir prendre une décision personnelle éclairée. Et le tout asséné par les médias radiophoniques, télévisuels et de la presse écrite pour si des fois cette campagne ministérielle n’y suffisait pas.

Et la plupart des femmes d’être informées bien insuffisamment et unilatéralement par un courrier nominatif de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).

Hollandie_20150925_Octobre rose couvrez cette prothèse mammaire que je ne saurais voir_courrier typecourrier type adressé aux femmes âgées de 50 à 74 ans

Au-delà de ce qui est promulgué, quel(s) bénéfice(s) probant(s) ? Pour le bien de combien d’entre ces femmes ? Quels sont les bienfaits et les dommages d’un programme de dépistage massif ? Quelles sont les arguments scientifiques de son intérêt ? Depuis plus de 10 ans, c’est tout l’objet de la polémique et de la controverse en France.

Les critiques

Car au-delà de ce qui est avancé officiellement, de ce qui parait faire consensus, il existe effectivement une controverse sur les intérêts de ce dépistage.

Première erreur, d’ordre sémantique : confondre « prévention » (faire que quelque chose n’arrive pas) et « dépistage » (découvrir quelque chose qui existe déjà).

Pour des raisons de clarté, nous ne nous attarderons pas sur le biais financier qui veut que le médecin traitant pousse à cette consommation avec d’autant plus d’entrain qu’il est lié à l’assurance maladie dans le cadre du paiement à la performance et de la convention nationale (c’est le cas de 97% d’entre eux, leur permettant d’encaisser jusqu’à 9100 euros de plus par an ; le débat concernant le ROSP, anciennement CAPI, serait un sujet à lui tout seul…). Non plus que sur l’industrie pharmaceutique, très intéressée par les profits que leur procureront les différents dispositifs et appareils qu’elle produit elle-même. Nous passerons afin, car cela représenterait une enquête à eux seuls, sur les conflits d’intérêt inhérents.

Tous les biais supposés complotistes semblant écartés, attardons-nous plus longuement, dans le cadre de ce mois rose et de ce dépistage généralisé, sur les éventuelles erreurs scientifiques, omissions et/ou autres contre-vérités. Car si les moyens conséquents mis en œuvre ont de quoi convaincre de l’efficacité du dépistage, il apparaitrait finalement qu’il y a un décalage entre les résultats des essais (conclusions histologiques pour la plupart), et ce qui est observé dans les populations (constats épidémiologiques).

Ce dépistage de masse de femmes en bonne santé, dites sans symptômes, repose sur des études existantes concluant que tout retard de diagnostic serait préjudiciable. Mais ces résultats sont remis en cause dès les années 70 et 80.

En 1994, certains s’interrogeaient sur la pertinence du dépistage de masse du cancer du sein mis en place. Faisant suite, le Danemark fait vérifier en 1999 le chiffre arrêté de 30% de diminution de mortalité par cancer du sein grâce au dépistage par mammographie. En 2005-2006, le docteur Bernard Junod soulignait l’importance trop grande de la définition de la maladie cancéreuse basée sur l’examen histologique (étude des cellules), son « défaut de spécificité étant responsable des surdiagnostics ». L’argument essentiel étant que l’examen histologique ne peut « prédire l’évolution de la lésion décrite et contribue ainsi au renforcement indésirable du dépistage ». De la confusion entre un cancer histologique (anormalité cellulaire et tissulaire) et une maladie cancéreuse (cas clinique). Ou comment une suspicion de maladie cancéreuse fondée sur la dynamique de symptômes devient un diagnostic mauvais quand il résulte des tests de dépistage en population.

Il serait donc d’abord impératif pour Junod de redéfinir la maladie cancéreuse en tenant compte des faits cliniques et épidémiologiques.

Les travaux de la collaboration Cochrane

Les résultats les plus fiables viennent toujours d’études scientifiques où des cohortes de femmes (invitées à se faire dépister et les plus semblables possibles) sont comparées à un groupe témoin sans dépistage organisé. Ce sont des essais dits randomisés.

En Norvège, on dispose depuis des dizaines d’années de suivis individuels précis de chaque femme. On sait à quelle fréquence chacune a été examinée par mammographie. En comparant celles examinées à intervalle régulier aux autres, on constate que la mortalité par cancer du sein cumulée sur plusieurs années est la même dans les deux groupes. Par contre, le nombre de diagnostics de cancer est d’autant plus élevé que les femmes ont subi plus souvent une mammographie de dépistage.

Ces méta-analyses ont montré dans un premier temps que le dépistage organisé réduisait la mortalité par cancer du sein de 29%. Mais une relecture a aussi montré qu’après 10 ans de dépistage, la réduction de cette mortalité correspondait in fine à sauver 1 femme sur 1000 (car sur une durée de 10 ans, seulement 3 femmes sur 1000 développent un cancer du sein et en meurent). La lecture globale de l’étude était donc que la réduction réelle de la mortalité était de seulement 0.1% après 10 ans.

L’évaluation la plus minutieuse de tous les essais randomisés existant est une analyse de la collaboration Cochrane (2001 et 2011). Cette fondation danoise vise à faire l’inventaire des données disponibles sur des traitements ou des stratégies médicales.

Leur conclusion critique révèle que la réduction de mortalité était à nouveau surévaluée : le dépistage régulier de 2000 femmes pendant 10 ans est nécessaire pour sauver une seule d’entre elles de mort par cancer du sein, soit un effet « bénéfique » de 0.05%. Pire. Les essais randomisés ont conforté que le dépistage augmentait le nombre de femmes qui ont reçu un diagnostic de cancer du sein et qui ont été traitées par rapport au groupe qui n’a pas été examiné (pour 30% d’entre elles).

Aussi, l’analyse de la Cochrane a montré que le sein a été enlevé plus souvent (+ 20%) chez les femmes dans le groupe de dépistage que dans le groupe témoin.

“Il n’existe aucune preuve sûre que le dépistage du cancer du sein diminue la mortalité”, conclut le rapport de la Cochrane, 2001

Pour résumer : « Si 2000 femmes sont examinées régulièrement pendant 10 ans, une seule d’entre elles bénéficiera réellement du dépistage par le fait qu’elle évitera ainsi la mort par cancer du sein. Dans le même temps, du fait des surdiagnostics et du surtraitement, 10 femmes en bonne santé deviendront, à cause de ce dépistage, des patientes cancéreuses et seront traitées inutilement. Ces femmes perdront une partie ou la totalité de leur sein et elles recevront souvent une radiothérapie et parfois une chimiothérapie. En outre, environ 200 femmes en bonne santé [100 à 500 selon les études] seront victimes d’une fausse alerte (dont la moitié subira une biopsie). Le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90.2% si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90.25% dans le cas contraire ».

appareillage mammole mammographe, l’appareillage qui change la vie

Flagrant, non ? En plus brèfle, le bénéfice personnel d’une détection mammographique est extrêmement réduit avant une détection clinique normale. Quand bien même l’espérance de vie d’une femme sur 2000 serait allongée, nous restons dans l’ignorance du temps de vie gagné.

Et toutes les études récentes de confirmer l’absence de lien entre l’activité mammographique et la baisse infinitésimale de mortalité par cancer du sein. Les chiffres de la mortalité par cancer du sein sont même très proches dans tous les pays, quel que soit leur niveau de dépistage.

Les conclusions d’être alors sans appel : rien ne permet de conclure à l’efficacité du dépistage du cancer du sein ; des travaux menés depuis plusieurs décennies en Suède et en Norvège donnaient déjà à constater des surdiagnostics patents, soit une augmentation artificielle du nombre de cas de « cancers » diagnostiqués histologiquement et traités à tort à cause de l’intensification du dépistage.

Biais probabilistiques

Petit intermède mathématique, tiré du pertinent site « Science étonnante ». Qui ne sera pas sans déceler quelque contre-intuition chez quiconque.

L’exemple vulgarisateur est le suivant : « Vous venez de passer un test pour le dépistage du cancer. Le médecin vous convoque pour vous annoncer le résultat : mauvaise nouvelle, il est positif. Pas de chance, alors que ce type de cancer ne touche que 0.1% de la population. Vous demandez alors au praticien si le test est fiable. Sa réponse est : « Si vous avez le cancer, le test sera positif dans 90% des cas ; alors que si vous ne l’avez pas, il sera négatif dans 97% des cas ». L’affaire paraît entendue… ».

Pour une très large majorité d’entre nous, il est alors convenu que le patient à 90% de chance d’avoir le cancer s’il est détecté positif. Mais nous avons affaire en fait à un paradoxe des probabilités.

D’abord, dans ce test, « les [patients] sains apparaitront négatifs dans 97% des cas, mais positifs dans les 3% restants : ce sont les faux positifs. Intuitivement quand on considère ce chiffre de 3%, on se dit que c’est très faible et qu’on n’en fait certainement pas partie. Mais on se trompe, car quand la maladie est globalement rare (ici 0.1%), la probabilité d’être dans les faux positifs est beaucoup plus importante ».

Et de détailler le calcul réel qui éberlue : « Imaginons que 10 000 personnes viennent passer le test [susmentionné]. Puisque le cancer en question touche 0.1% de la population, il y aura 10 malades parmi ces 10 000 patients. Et comme le test a une efficacité de 90% sur les malades, 9 de ces malades seront testés positivement. Considérons maintenant ceux qui n’ont pas ce cancer : ils sont 9990. Puisque dans 97% des cas le test donne un résultat négatif chez une personne saine, il y aura environ 9690 tests négatifs, et donc 300 tests positifs chez ces 9990 personnes saines ».

Bilan de l’histoire : « sur les 309 personnes qui sont testées positives, 9 seulement sont réellement malades, et 300 sont saines : ces 300 sont ce qu’on appelle des faux positifs. Si vous êtes positif, vous n’avez donc que 9/309 = 2.9% de risque d’être réellement malade, et 97.1% de chance d’être un faux positif, et donc d’être sain ».

Totalement contre-intuitif. Mais de quoi relativiser vos prochains résultats maintenant que vous êtes aguerris à ce genre de calcul. Fin de l’intermède.

Docteur, vous êtes sûr de votre surdiagnostic ?

Entre 1980 et 2005, la France a dû déplorer 300 000 cas supplémentaires de cancers du sein (de 1 femme sur 665 à 1 femme sur 372). Devant cette explosion, de deux choses l’une : soit il était question d’une épidémie de cancers importante, soit d’un surdiagnostic massif sur une population en bonne santé. Comme cet accroissement continu de nouveaux diagnostics n’était pas suivi de réduction considérable de mortalité par cancer du sein, alors l’hypothèse de surdiagnostic restait seule prégnante.

Le dépistage généralisé augmenterait le dépistage de cancers dits bénins. Et le surdiagnostic des cancers du sein de devenir une question centrale résultant de ce surdépistage.

Par définition, le surdiagnostic est le diagnostic histologique d’une maladie qui, si elle était restée inconnue, n’aurait jamais entraîné d’inconvénients durant la vie de la patiente, de conséquences sur sa santé. Il s’agit d’un diagnostic correct mais sans utilité pour la patiente. C’est un « diagnostic par excès ».

Le cancer surdiagnostiqué est un vrai cancer au regard de la définition actuelle du cancer, qui est basée uniquement sur l’histologie (ce que Junod cherche à faire rectifier, entre autres). Ces tumeurs non évolutives et ces cancers progressifs inoffensifs n’entraineraient pas la mort, ni ne causeraient de symptômes cliniques.

Le dépistage de masse risquerait donc d’être un catalyseur de surdiagnostic massif. Car certaines des tumeurs cancéreuses et certaines des tumeurs dites pré-cancéreuses, qui sont découvertes au cours de ce dépistage, se développent très lentement, ou ne se développent pas du tout. Ces tumeurs ne se seraient donc jamais développées en véritable cancer. On parle de « faux positifs », probabilistiquement (cf. supra).

mammographie

En sus, la technique récente de mammographie en trois dimensions augmenterait le diagnostic de cancer de 20 à 30% selon ses défenseurs. Peu répandu encore (la tomosynthèse n’est pour l’instant pas prise en charge par la CPAM dans le cadre de cette campagne de dépistage), cet appareillage moderne risquerait-il de favoriser à nouveau les surdiagnostics ?

En attendant, le risque de surdiagnostic est d’autant plus important que la lésion est plus petite. Dans le même temps, le médecin radiologue, anxieux de « rater » un cancer, participent subséquemment au surdiagnostic.

Certes, cet examen national peut a contrario paraitre rassurant pour certaines femmes. Mais tous les cancers ne peuvent pourtant pas être détectés par la radiographie. Et certains cancers du sein métastasés peuvent n’avoir aucune manifestation mammographique.

Rien n’est simple en médecine.

Vous reprendrez bien quelques surtraitements

Le surtraitement est la conséquence linéaire du surdiagnostic. Contrairement aux médicaments dont les effets secondaires doivent être stipulés, le dépistage ne possède aucune notice sur les conséquences nuisibles éventuelles. Ces dernières ne devraient pourtant pas être considérées comme anodines, car n’étant pas possible de différencier une modification cellulaire dangereuse d’une modification inoffensive, toutes sont traitées.

Certaines des toutes premières modifications cellulaires sont souvent retrouvées en plusieurs endroits du sein. Le sein entier est alors enlevé une fois sur quatre dans ces situations, alors que seule une minorité de ces modifications cellulaires s’est transformée en cancer. De même, plus de femmes recevront de la radiothérapie.

Le dépistage se solderait donc par le traitement de beaucoup de femmes pour une maladie tumorale qu’elles n’ont pas et qu’elles n’auront pas. En France, le nombre de mastectomies totales a augmenté de 4 % entre 2006 et 2009.

« Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal. […] J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences », selon les serments d’Hippocrate et du Conseil de l’Ordre des médecins

Une fois le diagnostic positif établi, la femme se retrouve embarquée dans une médicalisation à outrance compte tenu des faibles bénéfices escomptés par rapport à une femme non dépistée. Il est question cette fois de surmédicalisation sous prétexte de prévention.

Cytoponctions, biopsies. Larges incisions, tumorectomies. Traitements antihormonaux, médicaments (avec leurs propres effets iatrogènes souvent très sévères). Radiothérapie et chimiothérapie (augmentant le risque de décéder d’une affection cardiaque ou d’un cancer d’une autre localisation). Mastectomies donc, chirurgie et reconstruction mammaires.

Et parfois, en une accumulation de malheurs, se faire poser une prothèse PIP. Et poursuivre l’ablation inutile d’un sein par une escroquerie portant sur la qualité d’un gel aux conséquences sanitaires parfois importantes… Fin de la parenthèse d’humour noir.

Paradoxe ultime : d’après le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), les cancers radio-induits par des rayonnements ionisants représentent 1 à 5 décès pour 100 000 femmes (issues de familles dites « à cancers du sein ») réalisant une mammographie tous les 2 ans à partir de 50 ans et de 10 à 20 décès si le dépistage débute à 40 ans. Comme effet indésirable, on a fait moins incident.

Et comme la répétition trop fréquente des mammographies pourrait, après 10 ans, augmenter le risque de cancer de 20%, il est permis de penser que l’irradiation liée à la mammographie et sa fréquence devraient être reconsidérées.

Enfin, en tout et pour tout, des dommages collatéraux sur la femme, sa famille, ses relations (anxiété, troubles du sommeil, etc.). Une altération de la qualité de vie pour des lésions dont l’évolution est incertaine. Une augmentation de la morbidité liée aux traitements inutiles (complications cardiaques, pulmonaires, cancers induits etc.).

« Par précaution, il est proposé de traiter l’ensemble des cancers diagnostiqués », plaquette promotionnelle

Quand on vous dit que c’est pour votre bien…

En tout cas, les effets néfastes secondaires du dépistage et des traitements devraient valoir des études dédiées approfondies. Toujours dans l’optique de mesurer le rapport global bénéfice/risque le plus précis et véritable possible pour trancher ce débat scientifique décidément contradictoire.

Dernières données frondeuses

Outre que certaines tumeurs mammaires ont un développement très lent (au point de rester indétectables toute la vie durant), voire que certaines altérations de cellules n’évoluent pas en cancer mortel dans des délais prévisibles, d’autres régressent carrément et spontanément.

De 20 à 25% des cancers du sein régresseraient tout seuls, au point de n’être plus détectables lors des mammographies (étude Zahl, 2008, citée par Formindep).

Enfin, des lésions par piqûre ou coupure sur une tumeur accélèreraient la manifestation de métastases, favoriseraient la propagation de cellules tumorales. Un nouvel élément à charge contre la précocité des interventions diagnostiques ou thérapeutiques si tel était le cas avéré.

Conclusion pas toute rose

Il faut l’avouer : la communauté scientifique, convaincue très majoritairement des bienfaits du dépistage massif du cancer du sein, est passablement énervée que quelques détracteurs remettent en cause ledit. Pour ne pas dire qu’une certaine inimitié prévaut entre les deux camps…

Pourtant peu nombreux, il leur est reproché de démobiliser la population concernée pendant l’opération nationale d’envergure « octobre rose », de participer au manque d’adhésion (participation de l’ordre de 60% tout de même et de façon très hétéroclite sur le territoire). Un lien de cause à effet ténu…

La défiance peut pourtant s’avérer compréhensible au regard des études contradictoires survolées dans cet article. Et l’information officielle orientée délivrée à la patiente ne rassure pas sur le choix éclairé auquel elle doit pouvoir prétendre. Si les partisans du dépistage massif du cancer du sein voulaient « rééquilibrer » le débat, il suffirait aux experts de sortir des congrès spécialisés hautement techniques, d’échanger publiquement les conclusions étayées, de délivrer par études et vulgarisation interposées les chiffres et les conclusions probants. Répondre aux interrogations légitimes soulevées au sujet de cette campagne nationale. Tout simplement.

Au lieu de cela, certains militent déjà pour élargir le dépistage aux femmes de 40/50 ans, voire en direction des plus jeunes. En attendant, il n’existe aucune preuve que la découverte précoce d’un cancer du sein augmente les chances de survie, bien malgré ce que laisse présager la plaquette promotionnelle. Aucune démonstration scientifique rigoureuse en ce sens n’a été publiée. L’efficacité de ce dépistage n’est pour l’instant pas démontrée et comporte des risques. Il doit alors être remis en questions, débattu. Cette campagne doit être critiquée ouvertement à la lumière des données épidémiologiques existantes. Le dépistage du cancer du sein tel qu’il est pratiqué en France semble en effet peu productif et ne diminue pas la mortalité globale par cancers du sein des femmes, restée sensiblement la même.

Il est indispensable et urgent de revoir le rapport bénéfice/risque de la mammographie de dépistage. Et sans doute revenir à un examen recentré sur les patientes symptomatiques. Du ciblage plutôt qu’une action de santé publique massive. Il ne s’agit pas de nier de façon manichéenne la valeur du dépistage par mammographie mais de demander s’il ne serait pas plus bénéfique de le limiter quelque peu cette action massive et arbitraire aux femmes ayant des antécédents familiaux. Donc de prendre en compte l’histoire de la patiente, ses facteurs de risque.

En attendant, il peut apparaître raisonnable de participer au dépistage du cancer du sein par mammographie, mais il peut être tout aussi raisonnable de ne pas s’y soumettre. Or, ce choix ne peut être opéré qu’à partir d’une information intelligible, loyale et adaptée (ce qui fait défaut actuellement tant le gouffre entre les données scientifiques et les promesses délivrées dans le discours officiel au grand public paraît patent). Chacun devrait peser son risque individuel à la lumière de toutes les données disponibles.

Les femmes n’ont, hélas, pas le monopole de l’attention des autorités de santé publique à leur endroit. L’article aurait pu identiquement être masculinisé en abordant le traitement du cancer de la prostate à notre envers : le protocole passerait d’un aplatissement mammaire à une introduction digitale en vue d’une palpation. Mais la polémique serait peu ou prou identique : surdiagnostics et surmédicalisation !

Mise à jour : 11 octobre 2016

Ça y est, ça avance. A petits tétons, mais les positions évoluent. La ministre de la Santé vient d’annoncer, fort discrètement au demeurant, que le programme de dépistage organisé du cancer du sein va faire l’objet d’une « rénovation profonde ». Cette annonce fait suite à la remise du rapport du comité d’orientation. En plein mois rose, on y aborde enfin les sujets qui fâchent, une façon de remettre quelque peu en doute les bénéfices du dépistage systématique si officiellement soutenu malgré les critiques internationales. En premier chef, il est rappelé que « la situation actuelle ne répond pas aux exigences d’information, de décision en connaissance de cause, et de validité scientifique recommandées pour proposer un dépistage à des femmes en bonne santé ». Rien de moins que ce que les opposants à cette systématisation clament depuis des années.

A terme, il s’agira de savoir si le ministère souhaite l’arrêt du dépistage organisé du cancer du sein purement et simplement ou la mise en place d’un nouveau process modifié.

Brèfle, l’inefficacité du programme de dépistage telle que la France le mène est enfin prise en compte. Mais les partisans restent mobilisés pour ne pas remettre quoi que ce soit en cause, peu leur importe l’importance des données existantes et demandant débat entier.

Les recommandations de bon sens restent les mêmes : décider en connaissance de cause de passer, ou non, une mammographie. Rendre les conséquences inhérentes à ce type de dépistage accessibles à la compréhension de chacun, les rendre plus palpables…

Mise à jour : 12 février 2018

Selon les derniers chiffres de l’INVS, il existe 54 000 nouveaux cas de cancers du sein par an. Si une étude néerlandaise prouve un sur-diagnostic de 50%, les autorités françaises plafonnent à 10%. Ce qui fait tout de même 5 400 femmes inquiétées à tort et/ou biopsiées à tort et/ou opérées à tort et/ou chimiothérapées à tort et/ou radiothérapées à tort… Sans compter les effets indésirables, les conséquences psychologiques, sociales, familiales, professionnelles et sociétales…

L’information honnête se situe au moins entre les deux.

Pendant que nous y sommes… C’est entendu, oui : un dépistage peut exposer à des complications qui en annulent le bénéfice. Dans le même temps, il ne faut pas omettre que chaque dépistage est à ce titre à étudier individuellement. De sorte que certains dépistages sont utiles, alors que d’autres peuvent paradoxalement se révéler délétères. D’ailleurs, pour le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA sanguin, les autorités sanitaires déconseillent désormais cette pratique.

Aussi, dans le même ordre d’idée, il peut en être autrement pour le dépistage organisé du cancer du côlon et du rectum entre 50 et 74 ans par test fécal, sans verser dans le paradoxe. Ce dépistage est complété par une coloscopie s’il est positif. Si le test fécal permet de diviser par trois la mortalité du cancer du côlon, le risque pour le patient de mourir de ce cancer ne passera pourtant que de 3% à 2% grâce au dépistage (baisse non significative d’un point de vue statistique). Les questions à se poser restent les mêmes : combien de décès accidentels, de complications, de handicaps définitifs ou de souffrances psychologiques sont induits par ce dépistage ? Ce dépistage et cette coloscopie pour tous aboutiraient à réaliser en moyenne 4 coloscopies par personne pour un suivi de 25 ans. Le test fécal n’induit en moyenne qu’une coloscopie par personne, soit 3000 coloscopies évitées pour 1000 sujets dépistés. Le principe et l’intérêt du test fécal est d’identifier des sujets susceptibles de tirer bénéfice d’une coloscopie, parmi ceux qui n’ont ni saignement visible, ni antécédents familiaux de cancer colorectal. Il reste donc avec le test un peu plus de 1000 coloscopies pratiquées pour 1000 sujets qui suivent le programme de dépistage. Les risques associés seraient de l’ordre de 4 perforations intestinales, 8 hémorragies sévères et 1 décès (faisant suite à une des complications précédentes dans la grande majorité des cas) pour 10 000 coloscopies.

Contrairement aux dépistages des cancers de la prostate ou du sein, nous n’avons pas des centaines de sujets lourdement opérés à tort pour un vrai-faux cancer (cette lésion cancéreuse, souvent de petite taille, considérée à tort comme un cancer à potentiel évolutif alors qu’elle pourra disparaître d’elle-même sans traitement). Lle dépistage du cancer colorectal semble posséder un effet préventif grâce à l’ablation précoce et simple de polypes encore bénins, n’expose quasiment pas au risque d’une intervention complémentaire mutilante et lourde pour un sur-diagnostic de cancer.

Les dépistages du cancer du côlon et de l’utérus semblent avoir un intérêt tout spécifique. Nous n’y observons pas d’augmentation de cas cancéreux (augmentation d’une fausse ‘épidémie’, les sur-diagnostics) et d’absence de diminution de mortalité traduisant l’absence de bénéfice. Contrairement aux dépistages envisagés pour les cancers du sein et de la prostate…

 

Lurinas

Sources

Thierry Gourgues pour Formindep

Investigation de l’épidémie apparente de cancer du sein en France

Brochure d’information de la fondation danoise Cochrane sur les risques et les bénéfices de dépistage du cancer du sein par mammographie (pdf)

Intervention du docteur Bernard Junod

Lectures conseillées

« Dois-je me faire tester pour le cancer ? Peut-être pas et voici pourquoi », de H. Gilbert Welch (édition Les Presses de l’Université de Laval, 2005)

« No mammo ? Enquête sur le dépistage du cancer du sein », de Rachel Campergue (édition Max Milo, 2011)

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Les commentaires (5)

  1. Lecture intéressante, en effet j’ai eu connaissance de la remise en cause de cet examen systématique. Le souci est que le fait d’avoir commencer, effectivement, la culpabilité est forte dans la décision d’arrêter. Que faire ? continuer ou arrêter là est la question mais là n’est encore pas la réponse. A méditer.

  2. C’est gentil Marc. Cela déterminera le cancer le plus tôt et c’est gratuit. Je vais faire un test tout de suite. C’est du bon boulot. Merci

  3. Article très intéressant. On comprend bien le risque de sur-diagnostic, de sur-traitement.
    Mais par contre rien ne dit comment savoir, sans passer par ce dépistage organisé, si l’on a un problème, s’il faut consulter, quand et qui…, quels sont les signes à observer pour ne pas passer à côté d’un vrai cancer évolutif qui nécessiterait réellement un traitement ou un autre, quel genre de traitement serait acceptable…etc

  4. Guena,
    l’objet de l’article est d’éclairer sur ce problème de santé publique. LaTéléLibre ne veut jouer le rôle de gourou médical ou de rebouteux. Donc des informations détaillées (surdiagnostics, probabilités, surmédicalisation) sur ce que le praticien devrait vous donner à réfléchir de lui-même selon ses obligations. Après, tout est fonction de cas et situations personnels : c’est vous qui connaissez votre mode de vie (risques multifactoriels…) et votre corps. Un mix subjectif bien difficile à assoir plus que nous ne l’avons fait déjà dans cet article, se situant entre vous et le corps médical. Nous n’irons donc pas plus loin dans le diagnostic, surtout par écran interposé.