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Des Pierrots pour la Nuit

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Il fait nuit sur Paris. Ca y’est, le temps s’étire et marque une pause dans les activités du jour, le soucis de productivité s’évapore en même temps qu’une certaine logique de fonctionnement. Les règles du jour disparaissent : c’est la liberté qui s’ouvre aux noctambules, en dehors du temps chronométré de tâches à accomplir, d’un statut social à tenir… La foule parisienne éméchée se retrouve sur les terrasses, pour boire un coup, fumer, décompresser. Enfin ! On peut rire sans limite, boire sans soucis, tranquilles… Quand tout à coup, deux silhouettes blanches apparaissent. Sorties d’on ne sait où, elles se meuvent dans la foule et se déplacent étrangement, s’amusent des bancs et des lampadaires qu’elles rencontrent sur leur passage, s’approchent en douceur des fêtards qui les regardent, incrédules… Et s’approchent un peu plus encore…

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« O mon amour ô mon amour toi seule existe

A cette heure pour moi du crépuscule triste

Où je perds à la fois le fil de mon poème

Et celui de ma vie et la joie et la voix

Parce que j’ai voulu te redire Je t’aime

Et que ce mot fait mal quand il est dit sans toi »

(Vingt ans après, Louis Aragon)

 

…elles se glissent jusqu’à l’oreille de qui veut bien les entendre. Puis s’en vont.

« C’était quoi ça ? S’exclame un noctambule victime du charme des deux personnages. Pourquoi elles s’en vont ? » Là dessus, un personnage un peu moins féérique débarque, avec des tracts, des objets et des explications : « les fermetures administratives des bars se multiplient à cause du bruit. On est les Pierrots de la nuit, moi je suis médiateur, et on passe par là pour vous dire que si on veut pouvoir continuer à sortir la nuit à Paris, il faut faire attention aux riverains qui veulent dormir… ».

“D’un point de vue symbolique et historique, c’est Paris qui a donné le la de la vie la nuit en Europe…” explique Luc Gwiazdzinski, géographe et enseignant-chercheur en aménagement et urbanisme.

De la ville Lumière à la belle endormie…

Pourtant le dynamisme de la vie nocturne de Paris à mauvaise réputation aujourd’hui, la ville lumière est aujourd’hui loin derrière celui d’autres capitales européennes comme Berlin ou Barcelone. Certains y voient même « la mort de la vie nocturne parisienne ». Depuis l’interdiction de fumer dans les bars, les clients se retrouvent pour fumer et font du bruit, et à la fermeture des bars, tous se retrouvent dehors et le bruit monte jusqu’aux fenêtres des 95% des habitants endormis. Alors depuis quelques années, de moins en moins de lieux ont la permission d’ouvrir leurs portes après 2h du matin, les nuisances sonores sont de plus en plus réprimées, et on voit se multiplier les fermetures administratives des bars (décidées en France par la préfecture de police, comme c’est le cas nulle part ailleurs).

C’est alors qu’en 2009, plus de 16.000 personnes ou organismes (dont les principaux syndicats des professionnels de la nuit) signent la pétition « Quand la nuit meurt en silence ». Ils s’alarmaient alors que la « loi du silence généralisée » transforme la « Ville Lumière » en « belle endormie ». La guerre était alors déclarée entre les riverains qui réclament le silence, les fêtards qui veulent pouvoir fêter sans limite, et les professionnels de la nuit qui estiment avoir un rôle à jouer dans l’économie touristique de la Ville.

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Comme une trêve dans le conflit, la Ville organise en 2010, et pour la première fois à Paris, les États Généraux de la Nuit qui réunissent plus de 1000 participants – citoyens, conseillers de quartier et de la jeunesse, associations de riverains, acteurs de la nuit, chercheurs, élus… – pendant deux jours et une nuit. L’objectif : formuler des propositions pour construire un « mieux vivre ensemble » la nuit, et conjuguer ainsi le plus harmonieusement possible les différents usages nocturnes.

Car la nuit évolue. Elle est par essence source de conflit, car encore indéfinie, « à peine étudiée dans les universités », regrette Luc Gwiazdzinski. De « coupure » avec le jour, elle est progressivement devenue la « continuité » du jour, dans le temps continu des métropoles internationales. Et elle n’est plus seulement synonyme d’insécurité, mais elle est aussi source de créativité. La vie culturelle la nuit devient ainsi un argument marketing des villes.

Ce sont alors deux manières différentes de vivre la nuit qui se combattent : le désir pour la jeunesse de vivre le désordre, dans les contours indéfinis de la nuit qui rime avec fête et liberté, du côté de l’interdit, au delà des règles biologiques qui réclament au corps le sommeil. Et pour les seniors, les travailleurs matinaux ou les parents d’enfants en bas âge, le désir de vivre une nuit synonyme de silence et de repos, au sein d’une vie diurne et ordonnée.

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Les États Généraux auront été une trêve, mais qui n’aura été qu’une pause dans le conflit, encore très vif aujourd’hui, avec la création de collectifs de riverains en colère (le réseau « Vivre Paris »), des collectifs de professionnels de la nuit très remontés également, des campagnes contre la « bistrophobie », des lettres ouvertes, des pétitions…

Tout l’enjeu réside donc ici : comment faire pour que la réalité des nuits parisiennes soit à la hauteur de leur réputation ? Comment s’adapter à la nuit en évolution, et aménager la ville pour qu’elle puisse faire vivre la nuit sereinement à ses habitants ? Comment gérer un conflit qui se sclérose autour de l’acceptation ou non de cette évolution, de son accompagnement ou de son rejet ? Comment animer, sans agiter ?

Pour Luc Gwiazdinski, ces questions sont difficiles à porter pour les collectivités car politiquement incorrectes, bien qu’elles soient « une très belle question politique puisque l’on parle de soi-même, du sensible, du partenariat, de la proximité et de la participation ». Une question politique qui doit devenir une question centrale, et traitée démocratiquement en faisant participer tous les acteurs.

Et parmi ces acteurs, il y a les Pierrots de la Nuit, nés des États Généraux de 2010. Cette association de médiation regroupe une quarantaine d’artistes qui déambulent dans les rues de Paris la nuit dans le but de sensibiliser les fêtards au bruit, et ainsi de sauver les nuits parisiennes des marchands de sable, soporifiques. Danseurs, circassiens, échassiers, comédiens, clowns et marionnettistes sillonnent ainsi tout Paris avec un objectif en tête : permettre à la ville de vivre la nuit et d’accompagner, dans la douceur féerique de leurs performances costumées, la grande métamorphose de notre conception de la nuit et de notre manière de la vivre.

Pas facile pour les Pierrots, sorte de casques bleus de la nuit qui essaient de trouver un nouveau modus vivendi entre des belligérants que tout oppose… La force de l’Art pour combler un si grand fossé?

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