Lecteur vidéo

Faire un don

Faire un don

Envoyer l’article par mail
Télécharger le .torrent

Fichier indisponible pour l’instant

Qu’est-ce que le Torrent ?

Grâce à Bittorrent vous pouvez télécharger et partager la vidéo que vous êtes en train de visualiser.

Révolution en Herbe en Uruguay

Publié le | par

« Quelqu’un doit être le premier » a dit le président uruguayen José Mujica, nominé pour le prix Nobel de la paix en 2014 pour avoir coupé l’herbe sous le pied des narcotrafiquants en plaçant toute la chaine de production du cannabis sous contrôle étatique. Pour comprendre ce phénomène tout à fait novateur, nous sommes allées au siège de la Fédération Addiction pour assister à une conférence de presse organisée par l’association Aurora, durant laquelle une délégation uruguayenne est venue partager son expérience de la légalisation contrôlée.

Je vous vois venir : « un énième sujet sur le cannabis ! ». Mais non ne partez pas, pas déjà ! Il ne s’agit pas de vous recracher la vieille rengaine « pour ou contre la légalisation », mais de savoir comment un petit pays comme l’Uruguay s’est rendu célèbre sur la scène internationale en prenant le contrepied de la « guerre contre la drogue ».

Les prémices de la « révolution douce »

Étonnamment, c’est en pleine dictature militaire (1973-1985) que l’Uruguay dépénalise la consommation des drogues.

A partir des années 80-90, apparaît un mouvement qui remet en cause les politiques de drogues ; en posant comme principe que le problème des drogues n’est pas un problème de criminalité mais un problème de santé.

Dès les années 2000, le mouvement social cannabique prend de l’ampleur et réclame le droit à la consommation qu’il revendique lors de manifestations populaires.

Le constat de l’échec de la « guerre contre la drogue »

Cette révolution en herbe se base sur un simple constat : la politique du tout répressif ne fonctionne pas. C’est d’ailleurs l’objet d’un rapport de la Commission globale sur la politique des drogues datant du 9 septembre 2014, qui demande aux États de réorienter radicalement leurs stratégies et de prendre le contrôle des marchés de la drogue. Ses membres affirment que « la guerre aux drogues » est perdue.

Cette obsession autour du cannabis est bien regrettable car elle laisse de côté les enjeux principaux de santé publique que représentent le tabagisme, l’augmentation des consommations d’alcool à risque et la forte croissance d’utilisation des stimulants dans tous les milieux sociaux.

De même, la criminalisation des « drogadictas » fait obstacle à la protection de la santé en rendant plus difficile l’accès aux services de prévention et de soins et accroit leur prise de risques par la clandestinité.  Ainsi, loin de protéger la santé, la répression de l’usage contribuerait paradoxalement à son aggravation.

En avant la légalisation !

Cette régulation est facilement compréhensible au vu du contexte géographique : les barons de la drogue exercent en Amérique latine un réel pouvoir anti-démocratique et hautement corruptif. Rien que l’année dernière, l’Uruguay a connu plus de 80 morts inhérentes au marché concurrentiel des gangs de la drogue.

L’Uruguay se demande alors ce qui est pire : la drogue ou le marché de la drogue ? Et d’y répondre ! Ce pays fait alors le pari qu’un contrôle de l’État est le seul moyen susceptible de lutter efficacement contre les acteurs illicites du trafic, en prenant le contrôle et en tentant de reléguer les narcotrafiquants au second plan, avant qu’il ne soit trop tard…

Action, réaction ! Le gouvernement uruguayen change de paradigme en matière de politique de drogues et abandonne le modèle prohibitif. Il espère ce faisant que le modèle du contrôle et de la régulation du cannabis contribuera à réduire les inégalités dues à la pauvreté et accentuées par le marché illicite de drogues.

Il y a là une réelle responsabilité de l’Etat à vouloir assumer son rôle protecteur en matière de santé publique, de criminalité, d’éducation et de prévention. Et bien sur -vous l’aurez compris – des enjeux économiques plus qu’attrayants…

L’IRCCA (Institut de Régulation et de Contrôle du Cannabis) avance que la marijuana sera vendu uniquement en pharmacie et au détail pour 20 pesos par gramme, environ un dollar ; ce qui est destiné à couvrir les frais de production et les taux de profit du producteur et le prix de vente sera inférieur à celui de la marijuana illégale. En outre, le cannabis produit et vendu par l’état uruguayen subira un contrôle de qualité strict.

Seul petit hic : la violation de la Convention internationale des Stupéfiants (1961)

L’Uruguay choisit le chemin du contrôle et de la régulation du cannabis malgré le fait qu’il ait signé les Conventions Internationales sur les Stupéfiants de l’ONU ; en partant du simple postulat que les deux pactes sur les Droits Humains sont supérieurs aux trois conventions sur les drogues (belle pirouette !).

Il s’appuie pour ce faire sur le Traité des traités (la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 pour les intimes) pour réaliser son interprétation et ainsi placer les Droit de l’Homme au tout premier plan. Je m’explique : si la peine de mort est encore en vigueur dans certains pays ayant signé la Convention des Droits Humains, c’est bel et bien que le principe de l’interprétation des textes existe et est accepté sur un plan international. Il ne doit donc pas en être différemment pour le contrôle et la régulation par l’État du marché du cannabis.

L’Uruguay interprète ainsi de manière originale – c’est le moins qu’on puisse dire – les textes des conventions internationales en avançant que le fait de ne pas proposer une alternative aux consommateurs de cannabis (autre que de commettre un délit par l’achat du cannabis sur le marché noir, de les exposer par la même occasion aux violences des gangs) plaçait la responsabilité de l’État au premier plan par rapport à l’engagement pris dans les pactes sur les Droits Humains.

Finalement, il n’y a pas eu d’unanimité à Vienne contre l’Uruguay et on peut considérer que le projet novateur uruguayen n’est pas contesté. Il est en quelque sorte valide sur les plans juridique et politique. Voyez à quel point un solide raisonnement juridique permet d’interpréter à peu près tout et n’importe quoi, et de contourner une convention internationale. De la logique du droit international … !

Et à l’avenir ?

L’Uruguay devient ainsi un « laboratoire » extraordinaire pour la plupart des pays d’Amérique latine qui connaissent tous des problèmes extrêmement sévères en lien avec le trafic et la consommation de produits stupéfiants, mais aussi pour l’Europe.

Gageons que l’Uruguay, avec le nouveau chemin qu’il a choisi, réussira à réduire la consommation de même qu’il gagnera la bataille contre l’offre illicite de cannabis. Nous le saurons de toute façon dans les cinq prochaines années. Mais un premier sondage réalisé en mai 2014 montre déjà que plus de 80% des consommateurs et des cultivateurs s’inscriront au Registre national. L’élan essentiel vers une première victoire ?

Sur le plan international, une session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies prévue pour 2016 sera consacrée à la politique des drogues. Espérons que l’ONU donne l’impulsion nécessaire pour que les États abandonnent des politiques uniquement fondées sur la répression en donnant la priorité à la santé publique. Et qu’elle les invite à réguler, en cessant de criminaliser l’usage et la possession de drogues.

 

Journaliste : Charlotte Espel
Image et montage : Flore Viénot
musique : Slitptone

Des liens

 

Partager cet article

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire