LA RUMEUR, LE RAP, LA POLICE ET LA JUSTICE

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Depuis plus de cinq ans, le groupe rap « la Rumeur« , est accusé de « diffamation publique envers la police nationale ». Interview.

L’arrêt de la cour de cassation était très attendu, ce 11 juillet 2007 : il aurait pu simplement mettre un terme à un duel procédural long de 5 ans déjà.

Au contraire, c’est un chapitre nouveau qui s’ouvre, dans l’affaire « Sarkozy versus La Rumeur ».

En 2002, le ministre de l’intérieur de l’époque dépose plainte contre le rappeur du groupe, Hamé, pour des propos qualifiant les policiers d’ « assassins », extraits d’un fanzine accompagnant la sortie de leur disque. Pour diffamation publique envers la police nationale.

Décembre 2004 : la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris relaxe le chanteur, jugeant que les propos relèvent de la liberté d’expression, non de la diffamation. Rebelotte en juin 2006, en appel, pour la 11ème chambre de la cour d’appel de Paris.

C’est donc l’émotion, ce 11 juillet 2007, dans une certaine presse, et un certain public, quand la chambre criminelle de la cour de cassation casse la relaxe, et relance le match – en jugeant que les propos incriminés sont bel et bien de nature à être rejugés, pour diffamation. D’autant que, depuis 2002, l’affaire n’a cessé de prendre un tour chaque fois plus politique, et plus émotionnel. Hamé explique entre autres depuis le début que ces mots se réfèrent aux victimes du 17 octobre 1961, jour de la funeste manifestation d’Algériens à Paris. Epaulé de son avocat, Maître Tricaud, il construit peu à peu une défense aux allures de défense de « rupture », réclamant, entre autres chapitres, que puisse s’ouvrir en France un débat sans tabou sur les pages sombres de l’histoire de la police française.

La fête de l’Humanité est le lieu, samedi 15 septembre 2007 où nous avons donc cherché à rencontrer Ekoué et Hamé, à l’issue de leur concert de rentrée, pour revenir à froid sur cette cassation de la relaxe. Pourquoi ? Pas seulement parce que l’existence d’une affaire « Sarkozy versus La Rumeur » a quelque chose en soi d’intrigant, peut-être avant tout parce que La Rumeur, aussi fortement contestataires qu’ils soient, ne nous avaient jamais vraiment semblés être, au sein de l’échiquier actuel du rap français, les plus vertement irresponsables dans leurs paroles, ou parce que leur poésie subversive, ardente et construite avait, tout simplement, su faire bruit… Reste bien sûr, que l’intention n’est certainement pas par là de vouloir sous-estimer la dangerosité et la pénibilité actuelle du métier de fonctionnaire de police…

Karine Yaniv

Caméra : Marie Drollon

Rappel des phrases incriminées :

« Les rapports du ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété. »

« (…) au travers d’organisations comme SOS racisme, crée de toutes pièces par le pouvoir PS de l’époque pour contribuer à désamorcer le radicalisme des revendications de la Marche des beurs : l’égalité des droits devient l’égalité devant l’entrée des boîtes de nuit. La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique « Touche pas à mon pote ! » ou « Vive le métissage des couleurs ! », etc. »

« Aux humiliés l’humilité et la honte, aux puissants le soin de bâtir des grilles de lecture. A l’exacte opposée des manipulations affleure la dure réalité. Et elle a le cuir épais. La réalité est que vivre aujourd’hui dans nos quartiers c’est avoir plus de chance de vivre des situations d’abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l’embauche, de précarité du logement, d’humiliations policières régulières, d’instruction bâclée, d’expérience carcérale, d’absence d’horizon, de repli individualiste cadenassé, de tentation à la débrouille illicite… c’est se rapprocher de la prison ou de la mort un peu plus vite que les autres… »

Hamé, « Insécurité sous la plume d’un barbare », in La Rumeur Magazine numéro 1 (29 avril 2002)

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Les commentaires (12)

  1. je ne connais pas le groupe pas les paroles mais ce que le rappeur dit est bien réfléchit et soulève bien des questions

  2. Tréve de repentance ! Assez d’histoire ! Tournons nous avec Notre Président vers le futur qui à l’avantage de ne pas exister et n’interrogeons pas le présent avec en mémoire ce qui nous ferait poser de bonnes questions. Avec lui la politique n’est plus à l’ére du clip, elle est à l’ére du flash. Et en plus c’est lui qui fait le cadrage.

  3. « insecurité sous la plume d’un barbare » ce texte est boulversant à lire absolument, en entier!

    Sarkozy ferait mieux de leur donner un ministere que de les envoyer devant un tribunal.

    Ils expriment intelligement ce que beaucoup de gens que ce soient dans les cités ou chez les français issue de l’immigration resentent tout bas et leur expertise serait un vrai plus dans la conquete du bien vivre ensemble…

    Malheureusement avec sarko la diversité c’est bien mais quand elle ne fait pas de vague. Suffit de voir comment a été traité Azouz begag apres avoir dit ce qu’il pensait

  4. PARIS, MARDI 17 OCTOBRE 1961… Préfet de police : Maurice PAPON ( ex-organisateur, sous Pétain, de la rafle des Juifs de la région bordelaise, lesquels ont ensuite été déportés dans le camp d’extermination de DRANCY) et ce même PAPON ex-organisateur, en août 1958 , des rafles d’algériens et de leur internement au Vél d’Hiv (sinistrement connu)… Mais qui à l’époque, s’en est vraiment soucié ?

    PARIS, MARDI 17 OCTOBRE 1961 : 200 Algériens massacrés par la police française ( battus, torturés, jetés dans la Seine), alors qu’ils participaient à une manifestation pacifique contre le couvre-feu qu’on leur avait imposé ( sans compter les centaines de blessés, terrorisés, à jamais marqués…)
    QUI, parmi leurs descendants d’aujourd’hui , enfants et arrière- arrière- petits-enfants pourraient oublier ces infamies ?… Forfaits toujours tus par notre République, jamais sanctionnés par la Justice française ?
    Et comment pourraient-ils – même inconsciemment – ne pas relier aujourd’hui chaque bavure policière, chaque jeune  » accidentellement  » mort au coin d’une rue ou d’un transformateur électrique ou d’ un commissariat de police… à ces évènements tragiques d’un passé dont ils ont involontairement hérité ?
    M. Sarkozy aura beau s’époumoner sur le leitmotiv magique de la non-repentance, et dans l’espoir de gommer toutes vérités historiques qui dérangent… tôt ou tard, l’INCONSCIENT COLLECTIF reviendra au galop pour libérer sa parole ( notre parole à TOUS ) et nous faire entendre SA VOIX multiple… Voilà pourquoi il est essentiel d’écouter ces chanteurs de rap ( qui sont bien plus que cela ) et de les soutenir dans leur catharsis verbale, au lieu de vouloir – une fois de plus – les MUSELER !

    PS) Je n’oublie pas que les atrocités avaient lieu dans les DEUX camps de ces luttes coloniales, et je pense qu’aucune cause ne justifie de telles conduites, mais ce dont il est question ici c’est de l’HONNEUR de la Police Française, en tant qu’institution républicaine qui nous représente TOUS… Et c’est une question plus que jamais actuelle.

  5. * ERRATUM : Drancy n’était pas un camp d’extermination mais d’internement et de transit, à partir duquel les déportés étaient ensuite acheminés vers les camps de la mort.

  6. Nous trouvons cet article intéressant pour notre exposé ! Merci à tous nous vosu aimons ! <3