[INTOX] Rimsha, la Photo Sacrifiée

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Christophe Del Debbio reprend le décryptage, pour notre plus grand bonheur. Le 8 septembre dernier, il a débusqué une grossière manipulation d’image.

Tout a débuté en feuilletant Libération hier. J’y découvre la photo d’une fillette pakistanaise au regard triste qui illustre l’article intitulé « Chrétiens au Pakistan : Rimsha, la petite sacrifiée ».

Libération - 7 septembre 2012

Libération – 7 septembre 2012

Tout était dit. Comment mieux personnifier la situation difficile des minorités religieuses au Pakistan, que par le biais de ce qui est arrivé à cette fillette prénommée Rimsha.

Pour résumer, celle-ci est accusée d’avoir brûlé des pages du Coran et a été emprisonnée pour blasphème, dans l’attente d’un possible verdict d’emprisonnement à vie. Mais l’imam a été accusé d’avoir fabriqué cette histoire de Coran brûlé pour accuser à tort la fillette.

Rimsha

La photo est légendée ainsi : « Rimsha Masih est sous les verrous depuis trois semaines ». La photo est créditée DR, Droits réservés. Impossible de savoir qui l’a prise. Par ailleurs, la qualité de l’image fait penser à une capture d’écran TV, car elle est pixellisée. En argentique, on dirait qu »il y a du grain.

En fait, il y a du grain.. à moudre, car cette photo est utilisée par de nombreux médias sur internet pour évoquer cette affaire. Surtout des médias en anglais. AsiatnewsThe Feminist WirePak News. Mais aussiquelques médias français, comme Vosges Matin ou Infocatho.be

 

Vosgesmatin.fr

Vosgesmatin.fr

Encore plus intéressant, une pétition internationale a été lancée le 30 août à l’initiative de Mishrek Masih, le père de la fillette, recueillant plus d’1 million de signatures.

C’est le site Christians in Pakistan qui a priori publie le premier article le 18 août pour alerter sur son sort. Depuis, les sites et blogs pakistanais multiplient les articles de soutien, comme Pakistanis for peace ouBritish Pakistani Christian Association.

 

Flyer d'appel à un rassemblement à Karachi (Pakistan) - 25 août

Flyer d’appel à un rassemblement à Karachi (Pakistan) – 25 août

En outre, des collectifs réclamant la libération de Rimsha se sont créés un peu partout lorsqu’elle a été incarcérée en août, des manifestations de soutien ont eu lieu en Ecosse, en Australie, mais aussi au Pakistan. Et l’image de Rimsha qui nous fixe de ses yeux emplis de tristesse apparaît sur des banderoles ou des pancartes lors de ces mobilisations.

Des manifestants brandissent une banderole à l'effigie de Rimsha Masih pour proclamer son innocence et exiger sa liberté, dimanche à Hyderabad. Crédits photo : Newscom/NCOM/ABACA

2 septembre – Des manifestants brandissent une banderole à l’effigie de Rimsha Masih pour proclamer son innocence et exiger sa liberté à Hyderabad (Pakistan). Crédits photo : Newscom/NCOM/ABACA

Manifestation de soutien à Rimsha devant l'ambassade pakistanaise à Glasgow le 31 août 2012

31 août 2012 – Manifestation de soutien à Rimsha devant le consulat pakistanais de Glasgow (Ecosse) – Daily Jang – http://britishpakistanichristian.blogspot.fr

Elle apparaît même dans plusieurs reportages TV, comme sur France 24, ou Jewish News One.

A contrario, depuis la mi-août, rares sont les médias écrits français évoquant cette histoire qui montrent la fameuse photographie pour illustrer leurs papiers. En lieu et place, on a droit à des vues de son avocat à la sortie du tribunal, ou des vues d’extérieur de sa maison.

Le Monde.fr - L'Express.fr - Le Figaro.fr

Et si cette photographie touchante de Rimsha, sujette à de nombreuses interprétations – ses yeux tristes qui nous fixent, sa volonté supposée d’apprendre à écrire malgré ses conditions de vie misérables – nous montrait autre chose?

Où avons-nous déjà croisé un regard d’enfant qui nous bouleverse?

Unicef - Avatar - Twitter

Unicef – Avatar – Twitter

Etait-ce lors de cette campagne de l’Unicef, où, ironie de l’histoire, cet enfant est devenu « l’avatar » du compte Twitter de l’organisation?

enfant_soldat_unicef

Etait-ce cet enfant soldat, dont la photographie aussi servi à l’UNICEF pour dénoncer tous les enfants soldats?

La photographie de Rimsha qui a ému et fait mobiliser tant de personnes à travers le monde à une autre histoire.

Il ne s’agit pas de la fillette. Elle a été prise par le photographe Maciej Dakowicz au Pakistan, en avril 2006. On peut la découvrir sur le compte Flickr du photographe. Elle est légendée ainsi : « Ecolière après le tremblement de terre au Pakistan » – « Avril 2006 – Une école primaire provisoire à Balakot, une ville presque complètement détruite par le tremblement de terre d’octobre 2005 « .

Photo Maciej Dacowicz - Avril 2006

Photo Maciej Dacowicz – Avril 2006

Est-il grave que les médias et les internautes se soient émus du sort de cette fillette par le biais d’une fausse photo? C’est peu ou prou toujours la même chose. Il faut non seulement un sujet qui nous touche, mais c’est mieux si on met un visage sur une histoire. La question qui se pose, étant entendu que la vitesse de propagation d’une image sur le net n’est pas proportionnelle à sa véracité (cf mes billets de décryptage sur Mohamed Bouazizi, à l’origine du printemps arabe en Tunisie 1 et 2) , c’est surtout le fait que personne ne remonte à la source d’une image. Tous les gens bien intentionnés qui se sont mobilisés, ont imprimé des affiches, des tracts, des banderoles – que sais-je – n’ont pas une seule fois vérifié la provenance de cette photo. (1)

Contacté par Les Indignés du paf, le photographe Maciej Dakowicz découvre ces jours-ci l’utilisation de cette photographie sans son accord. Dans un mail en anglais, ce 8 septembre, il précise que : « La photo a été volée sur mon compte Flickr et utilisée partout sans ma permission. je l’ai même vue dans les actualités au Pakistan. Je ne sais pas pourquoi quelqu’un l’a utilisée pour raconter l’histoire de Rimsha ».

Que peut-il faire pour arrêter le train de la désinformation?

Maciej Dakowicz avait déjà vu ses images de gens ivres dans les rues de Cardiff, prises sur plusieurs années, publiées en double page du tabloïd Daily Mail le 22 septembre 2011, détournant l’intention de départ du photographe qui avait dû préciser que Cardiff ne pouvait se limiter à ces photos. (MessageFacebook du 24 septembre 2011 : « To put it gently – the story was not very positive. I didn’t like either the way my pictures were cropped. »)

Sur l’histoire de Rimsha, l’autre question qui peut être posée, mais à laquelle je ne puis répondre pour l’instant: que savons-nous exactement des intérêts qui se cachent derrière cette affaire de faux blasphème et de sa médiatisation?

Mise à jour 20H09 : le vrai visage de Rimsha est visible ici, photographié lors de sa sortie de prison et son transfert par hélicoptère. Une vidéo montrant les conditions de son transfert est visible .

(1) L’article qui utilise cette photo pour la première fois est celui du 20 août publié sur le sitealmolahed.info, d’après mes recherchesLa pétition qui utilise pour la première fois la photographie de Maciej Dakowicz est, me semble-t-il, celle du site Petition Buzz le 22 août.

Christophe Del Debbio

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