[Hollandie] L’Ennemi, c’est la Fine Hanche

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« Lutter contre le système prostitutionnel ». Qu’en termes galants ces choses là sont formulées. Pourtant, voilà bien une pudibonderie morale ignorante du droit. Et sous prétexte de protection des femmes (ce que l’on n’obère pas ici), une loi brinquebalante qui risque de ne jamais pouvoir être appliquée.
A l’ombre des réverbères médiatiques, allons et venons sur les trottoirs en marge des évidences.

 

Ça commence bien

Tout commence avec de bonnes intentions. Le nouvel article de cette proposition de loi (L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles) indiquerait : « Toute personne victime de la prostitution doit bénéficier d’un système de protection… ».

« Victime de » signifie « victime d’une infraction ». La prostitution, soit le fait pour une personne de se livrer à la prostitution, est-elle une infraction ? Non. Donc la prostituée n’est pas victime de la prostitution mais plus exactement victime du proxénétisme ou une victime de violences.

Comme la loi est d’interprétation stricte et que tout doit être défini, voilà une victime d’un fait qui n’est pas une infraction.

 

On y adjoindrait l’article L. 316-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :

« – Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois peut être délivrée à l’étranger, victime des mêmes infractions qui, ayant cessé l’activité de prostitution, est pris en charge par une association agréée par arrêté du préfet du département et, à Paris du préfet de police, pour l’accompagnement des personnes soumises à la prostitution. Cette autorisation de séjour ouvre droit à l’exercice d’une activité professionnelle »

Donc l’autorisation provisoire de séjour « peut » être délivrée… mais elle peut aussi ne pas l’être, et comme la loi ne donne aucun critère, voilà une interprétation libre de droit (c’est le cas de le dire) qui ne laisse rien augurer de bon.

Si la préfecture refuse, la personne n’a aucun recours car la mesure est de pure opportunité. Si le préfet accepte, l’autorisation est valable pour six mois (pas de procès d’intention mais cela signifie que la victime a six mois pour suivre une formation, trouver un CDD, un logement, maîtriser le français, faire un dossier pour un long séjour, et obtenir l’autorisation du long séjour…).

 

La pénalisation du client

Définie (!?) par le nouvel article 225-12-1 du Code pénal :

« Art. 225-12-1. – Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de l’utilisation d’un bien immobilier, de l’acquisition ou de l’utilisation d’un bien mobilier, ou de la promesse d’un tel avantage, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe. La récidive de la contravention prévue au présent article est réprimée conformément à l’article 132-11 »

 

Soulignons l’aberration. Le fait de se prostituer n’est pas une infraction, mais le fait d’y recourir est une infraction. Ce que la loi accepte donc, c’est la personne qui se prostitue mais n’a jamais de client. Raymond Devos, reviens !

Rappelons que le texte souffre de ce que la prostitution n’est pas définie. Créer une infraction sans définir le fait principal, cela rend la mesure impraticable.

 

« Le fait de solliciter des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution de façon occasionnelle en échange de l’acquisition d’un bien mobilier est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe ».

Nous pourrions être cynique et coupeur de cheveux en quatre. Mais le fait de séduire, draguer, en offrant un bijou pourrait nous impliquer dans la prostitution occasionnelle. Encore faudrait-il aussi définir le verbe « solliciter » juridiquement ?

Ne pouffez pas. La rédaction telle quelle ouvre droit à toutes les interprétations !…

 

Une infraction qui viole les droits fondamentaux

Et puis il reste le principal : le fait d’avoir des relations avec une prostituée est qualifié légalement d’infraction.

Or, l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme protège le droit à l’autonomie personnelle, principe important qui sous-tend le régime de l’intimité de la vie privée. Ce droit implique le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur et ce y compris dans le domaine des relations sexuelles, qui est l’un des plus intimes de la sphère privée et est à ce titre protégé par cette disposition.

 

Le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle. A cet égard, « la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend » peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps.

 

Brèfle. La loi ne peut qualifier pénalement un comportement librement consenti.

Vient l’argument de la contrainte sociale et économique. Sauf que la loi ne qualifiant pas la prostitution, et reconnaissant la prostitution occasionnelle, toute relation avec un cadeau est exposée. Dans le contexte actuel, prévoir l’engorgement des tribunaux correctionnels.

 

 C’est quoi le système ?

D’abord, un rapport de 2011 « Prostitution : l’exigence de responsabilité. Pour en finir avec le plus vieux métier du monde » qui met en exergue le fait que les personnes prostituées dans l’espace public sont en majorité de nationalité étrangère. Et que quel que soit le sexe de la personne qui se prostitue, 99 % des clients sont des hommes.

Ensuite, un constat selon lequel la prostitution, phénomène sexué, met en jeu surtout les femmes.

Mais s’il est indéniable que « les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique », ces personnes relèvent-elles toutes de réseaux proxénètes et de traite fomentés depuis les pays cités (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement) ?

Médiatiquement, la lecture de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel est réduite à une seule disposition, celle de la pénalisation de la demande, de l’achat de l’acte.

Alors on peut se questionner sur ce point. Pourquoi supprimer le délit de racolage (le projet supprime en effet celui-ci) si est créée une interdiction d’achat d’acte sexuel, une contravention de cinquième classe sanctionnant alors le recours à la prostitution ?

 

Le corps du délit

En fait, en épluchant ce texte, on a un peu l’impression que les propositions qui visent à aider les femmes à se sortir de la prostitution ne sont là que pour mieux enrober la volonté de punir le client. Pourquoi pas me diriez-vous ?

Mais pragmatiquement, dans une infraction, il y a d’un côté l’acte répréhensible qui a été perpétré (le corps du délit) et de l’autre les circonstances de cet acte. Ce qui sera punissable, c’est le fait pour une personne de solliciter ou d’accepter des relations de nature sexuelle d’une autre personne qui se livre à la prostitution, en échange d’une rémunération, ou autres petits avantages matériels. Pour que cette démarche tombe sous le coup de la loi, il n’est donc pas nécessaire de consommer, mais d’avoir envie de consommer. Autrement dit, pas de flagrant délit (le flag dans le jargon), juste les préliminaires. Quant aux éléments matériels de l’infraction, ils tiennent à la promesse de rétribution de l’acte sexuel et au profil de la personne qui accepte cette rétribution. Celle-ci doit être une prostituée, même occasionnelle (nous sommes impatients de connaître la définition exacte d’une prostituée occasionnelle dans le code pénal !?).

 

Outre le problème évoqué de la drague, qui risque dans les prochains mois de devenir une pratique à risque, poussons un peu plus le raisonnement.

Comment dans ces conditions prouver que le client négocie avec une personne qui vit de ses charmes ? D’autant que le projet prévoit que les condamnations antérieures pour racolages « seront mécaniquement supprimées des casiers judiciaires des personnes concernées ». Il s’agit donc d’une sorte de réhabilitation judiciaire (amnistie déguisée). C’est-à-dire qu’il est interdit «  à toute personne dans l’exercice de ses fonctions » de faire état d’une condamnation, d’en rappeler l’existence ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque (art. 133-11 du CP).

Ne pouvant donc pas faire appel au passé de la prostituée, il faudra que l’enquêteur démontre que celle-ci se livre actuellement à la prostitution. Ce qui nécessite au minimum son audition. Dans ce cas, elle pourrait bien être de nouveau fichée, mais cette fois en tant que victime de son client.

 

Encore faudra-t-il qu’elle consente à témoigner, puisque rien ne l’y oblige, n’étant coupable de rien. À défaut, le policier devra espérer que son suspect accepte spontanément de reconnaître les faits.

Si le suspect refuse de communiquer son identité, le représentant de l’ordre n’a guère d’autres choix que de le conduire devant un officier de police judiciaire pour effectuer une vérification d’identité (pas de peine de prison encourue donc pas de garde à vue possible !).

De quoi le retenir pendant quatre heures au maximum. Au-delà, il pourrait lui être notifié « une résistance active » (comme dit la jurisprudence) et dresser une procédure pour rébellion. Un délit puni d’une peine d’emprisonnement qui, lui, autorise la garde à vue !…

Donc, du temps, des troupes.

 

Pendant ce temps-là, dans la vraie vie

Le 10 décembre, une vaste opération de « protection des prostituées » a eu lieu dans le 13ème arrondissement parisien.

Soit investigation dès 6 heures du matin dans 10 appartements où vivaient 6 à 7 personnes du beau sexe, toutes embarquées manu militari et menottées, placées en garde à vue (!?), passeport et argent liquide confisqués.

Pour le bien de ces femmes d’origine chinoise, les papiers officiels ont été remis à l’ambassade de Chine. Quelques-unes ont été menées en centre de rétention avec une expulsion vers la Chine à la clé, pays hospitalier qui devrait leur réserver le meilleur accueil…

 

Voilà comment on vise à « protéger les victimes et responsabiliser les responsables » (dixit Vallaud-Belkacem).

L’ennemi, ce n’est pas la Finance, c’est le sexe !?

A suivre

 

Sources

http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/

http://moreas.blog.lemonde.fr/

Le Canard Enchaîné (18/12/13)

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