Panama Papers : le Burger américain ?

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Après les scandales financiers SwissLeak, LuxLeak et consorts, voici révélés les « Panama papers ». Des archives privées qui montrent l’imagination étendue des montages financiers pouvant permettre de soustraire des fortunes au fisc de chaque pays concerné. Ces papiers ont provoqué un séisme politique et financier qui n’a pas fini de donner quelques sueurs froides aux fraudeurs. Tous, sauf les fraudeurs américains ?

Le scandale des Panama Papers, c’est un peu comme un gros concert de légende au stade de France. Ce sont les chiffres impressionnants qui en parlent le mieux ! Soit 11 millions de fichiers provenant des archives du cabinet panaméen Mossak Fonseca (un spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore et de trusts), 2600 gigaoctets de données, neuf mois d’enquête, menée par 109 médias partenaires dans le monde, 376 journalistes impliqués (dont Le Monde pour la France), réunis au sein du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Une liste de noms à la Prévert

Du journalisme collaboratif poussé. Une cohorte obligée à compléter le calepin, le crayon à 4 couleurs et le téléphone crypté d’outils informatiques avancés. De quoi révéler que des chefs d’État, des milliardaires, des grands patrons, des figures du sport, de la culture, de l’économie recourent, avec l’aide de certaines banques, à des montages de sociétés afin de dissimuler leurs avoirs. Et pas du fifrelin ou du second couteau !

Jugez plutôt : le ministre de l’énergie maltais, Platini, le ministre de l’industrie espagnol, un baron de la drogue mexicain, David Cameron et son père, le premier ministre islandais, le président de l’Argentine, Pedro Almodovar, des présidents de club de foot français, des barbouzes et leurs affaires parallèles à raison d’État, de riches aminches très proche de Poutine, le président des Émirats Arabes Unis, le président ukrainien Porochenko, le roi d’Arabie Saoudite, Mohammed VI, Lionel Messi, des cercles concernés par l’immobilier de Floride jusqu’au pétrole congolais, Jean-Marie Le Pen et son majordome, Jérôme Cahuzac, la Société Générale, les époux Balkany, Jean-Noël Guérini, la présidence de l’Azerbaïdjan, l’éditeur Glénat, la société GL Events, le fonds d’investissement de DSK, des membres du comité permanent du parti communiste chinois, l’écrivain Mario Vargas Llosa et son prix Nobel…

Un énôôôrme leak (une fuite) qui a de quoi faire frémir. Et qui a même déjà engendré démissions, enquêtes judiciaires et perquisitions depuis ces révélations. Et nul doute que ces dernières ne sont pas terminées tant les données restent encore à être décortiquées en quantité.

Et un leak qui a de quoi impressionner la populace. Car il révèle s’il le faillait encore l’étendue des possibles en matière de fraude fiscale, de dissimulation, d’évasion et de blanchiment d’argent. Et encore cela ne concernant dans ce cas d’espèce qu’un paradis fiscal parmi des dizaines et un cabinet spécialisé parmi des centaines, fussent-ils célèbres et importants.

Une liste épurée ?

Bien que conséquentes et supposées exhaustives, les données laissent perplexe sur un point : pourquoi aucun leader, aucun nom retentissant de millionnaire ou milliardaire américain n’apparait dans cette liste (pour le moment ?) ? La liste serait-elle fournie par un nouveau Lahoud manipulé par les barbouzes siglés CIA, dans une version complotiste encore en cours d’écriture ?

L’optimisation fiscale couterait pourtant plus de 111 milliards de dollars par an au budget américain. Le Panama et Mossak Fonseca ne sont pas des moindres dans l’univers de l’évasion fiscale et du montage financier offshore. Probabilité oblige, le nombre d’américains concernés devraient être à proportion conséquent.

Ils ne seraient pourtant qu’un peu plus de 200 personnes pour l’instant à avoir enregistré leur société via le cabinet avec une adresse aux États-Unis. Et si la plupart sont des citoyens anonymes, rien n’indique au final qu’ils soient résidents fiscaux américains, ni qu’ils aient la nationalité américaine.

Plus de deux cents « américains », plutôt inconnus, alors qu’un millier de français seraient concernés d’après Le Monde. Plusieurs explications sont avancées pour justifier cette piètre moisson amerlocaine. Mossack Fonseca n’est pas le seul cabinet spécialisé dans la création de sociétés offshore, Morgan & Morgan étant un des concurrents de poids. La fiscalité américaine plus faible rendrait moins intéressante la fraude pour les concernés. Le gouvernement Obama lutterait plus efficacement contre l’évasion fiscale (les banques doivent par exemple signaler au fisc américain tout client détenant plus de 50 000 dollars, et les comptes étrangers sont concernés dès 10 000 dollars). Enfin, les États-Unis ont leurs propres champions fédéraux en les États du Delaware, le Wyoming ou le Nevada (on peut ouvrir une société pour son chat au Delaware !) .

Brèfle, les américains pratiqueraient l’évasion fiscale au détriment de leur pays mais en s’attachant à faire fructifier leurs avoirs dans des zones de non-droit estampillées « 100% USA ». Ils ont la fibre patriote poussée !

Traité bilatéral

Dans un coin, il est pourtant aussi question d’accords bilatéraux. Encore eux. Vous savez, ces traités de libre échange qui favorisent le puissant pays face aux petits États. Comme par exemple l’accord de libre-échange de l’Atlantique nord (ALENA) signé depuis 1994 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, comme ceux en cours d’élaboration ou d’autres restés inconnus.

Mais parmi tous, il est intéressant de citer particulièrement l’accord CAFTA (Central America-Dominican Republic Free Trade Agreement), un traité signé entre les États-Unis et le Costa-Rica, le Guatemala, le Honduras, le Salvador, le Nicaragua et la République dominicaine. Cet accord a été couplé avec le TPA (United States/Panama Trade Promotion Agreement).

Il y est forcément question d’opportunités économiques en favorisant l’ouverture des marchés. Rien que de très classique… Élimination des droits et tarifs douaniers, réduction des obstacles aux services (financiers compris) et au commerce, aux télécommunications, à la distribution, règlements des différends, favorisation de l’investissement privé. De quoi aider les États-Unis à sortir d’une croissance exsangue et sa population à retrouver les chemins de la prospérité. Dans cet objectif, le Panama est un client de choix.

« L’accord est essentiel pour maintenir la part de marché des États-Unis sur ce marché important », selon l’exposé des motifs

Ben voyons ! 3,5 millions d’habitants (contre 320 millions aux États-Unis), un PIB d’une quarantaine de milliards de dollars (contre 18 000 milliards…).

Seulement voilà, une convention fiscale a été signée parallèlement entre les deux parties (un accord bilatéral permettant d’éviter la double imposition des résidents de deux pays ; ce type de coopération fiscale a son équivalent en France et a été signé en juin 2011 sous Sarkozy, le Panama sortant subséquemment et automatiquement de la liste noire des paradis fiscaux par cette simple signature de principe…). Certes, le Panama est tenu par ce texte de fournir des informations fiscales à toute demande du gouvernement américain. A l’exception d’informations qui seraient jugées « contraires à [l’] intérêt national [de Panama] ».

Le Panama tirant l’essentiel de ses revenus des avantages inhérents à son statut de paradis fiscal, toute dénonciation iraient à l’encontre de ses intérêts nationaux. Ce qui fait de ce devoir une piètre obligation.

En sus, les montants d’argent pouvant être transférés des États-Unis vers des établissements financiers panaméens ne se trouvent plus limités via cet accord. Alors même que cette technique de la limitation était l’outil le plus efficace aux mains du gouvernement pour freiner l’évasion fiscale (des sanctions croissantes étaient appliquées pour tarir les évasions financières en direction des paradis fiscaux, au premier rang desquels était ciblé le Panama).

Et les États-Unis de jouer un rôle assez schizophrénique. En donnant l’impression d’un côté de combattre les paradis fiscaux pour mieux favoriser les siens, siens qu’ils s’évertuent à protéger inéluctablement. Et dans le même temps en décuplant les possibilités d’évasion fiscale par ses ressortissants vers certains paradis fiscaux, Panama compris.

Il est somme toute légitime, devant ce constat factuellement paradoxal, de se demander si l’imagination débordante des montages financiers n’aurait pas franchi une ligne restée inconnue de nos fins limiers de l’ICIJ, fussent-ils rompus à l’exercice de décortication ? Après les cours de confection du sandwich hollandais et du double irish, allons-nous découvrir bientôt les plaisirs de la cuisine fiscale du burger amerlocain ?

Lurinas

Post Scriptum

Alors que nous nous hâtons de découvrir les futurs Hongkong papers, Dubaï papers ou Pékin papers, que sais-je encore par-delà Macao et la City de Londres…, la Commission européenne a présenté le 12 avril au Parlement européen un projet de directive contraignant 6 500 grandes entreprises (puisque seules celles générant un chiffre d’affaire global de plus de 750 millions seraient concernées) exerçant des activités en Europe à publier des informations (profits, nombre de salariés…), pays par pays, sur le lieu où elles réalisent leurs bénéfices et celui où elles paient leurs impôts (ce que l’on nomme le reporting fiscal). Affaire à suivre.

Source

Jean Gadrey

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