[Ciné] Des Cailloux contre les pots de Fer

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Parfois, quelques dizaines de motivés suffisent à force d’abnégation et d’acharnement à faire annuler des projets de quelques millions d’euros. Parfois. Pas toujours. Mais conter cette histoire permet de garder espoir. De rester mobiliser coûte que coûte. Voilà l’objet de ce film documentaire.

Il a fallu qu’un projet de carrière soit dévoilé pour qu’une mobilisation de citoyens s’organise afin de sauver une montagne menacée. Ce type de configuration n’est pas nouveau et semble même se multiplier ces dernières années. Ce qui est exceptionnel, c’est lorsque les administrés viennent à bout du mastodonte habitué à phagocyter les sites naturels de ses excavatrices.

C’est le récit documentaire de cette lutte collective que nous livre Mickaël Damperon depuis un village de la Drôme : « Des cailloux dans la chaussure ».

Pot de terre contre pot de roches

Le réalisateur s’est entiché pendant un an d’un petit groupe de résolus drômois, à l’occasion d’un projet dont il avait eu vent lui-même depuis son village voisin.

Tout commence en janvier 2020. Une enquête publique, obligatoire en ce cas d’espèces, révèle aux habitants de Saint-Nazaire-en-Royan l’exploitation prochaine d’une ‘carrière de roche massive’. La société intéressée n’est pas novice en la matière et est rompue à éventrer les flancs montagneux de longue date. Aussi, les citoyens semblent dans un premier temps bien démunis face au dossier de centaines de pages, à l’étude d’impact technique.

Avant de prendre conscience des instabilités, nuisances et autres pollutions à venir, par paquets de passages de camions interposés à raison de 90 000 tonnes de granulats annuellement transportées, sur trente années renouvelables, c’est l’attentat à la vue de leur paysage chéri qui les heurte.

Le film documentaire s’ouvre sur un travelling arrière qui laisse découvrir l’irrémédiable défiguration que le mont Vanille va se voir infliger, un grignotement boulimique, phagocytant à mesure l’écosystème et bouleversant les biodiversités locales.

Cette perspective en plein parc régional du Vercors est refusée par une poignée de citoyens. Alertés par quelques curieux, toujours trop curieux, qui égrainent les annonces légales, les modifications de PLU, quelques dizaines rejoignent le chemin des réunions publiques d’information, posent des questions, décortiquent les épaisses études d’impact et autres études complémentaires…

Finalement, la population révèle les failles, soulèvent les erreurs (fausses coupes géologiques…) jusque dans le rapport du commissaire enquêteur diligenté, s’insurgent contre les conclusions lâches et molles des avis consultatifs de l’Autorité environnementale et de la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL).

Si bien que l’illégitimité et même l’injustice du projet deviennent insupportables, que l’équipe municipale se retrouve renversée lors des élections.

Franchir le rubicon

Certains abus, certaines libertés d’entreprendre ne passent plus, l’accaparement de terres, la privatisation de biens communs vitaux scandalisent… Quand les injustices se font jour, quand chacun se sent floué et abusé, que des enjeux supérieurs sont subodorés par devers ses propres intérêts personnels, que les services étatiques sont soupçonnés de passivité voire de complicité, la bascule s’impose, la désobéissance civile submerge, la protestation se mue en lutte.

Alors il faut soudainement apprendre à se mobiliser, à protester puis résister. Choses peu communes. Apprendre à s’organiser, efficacement. A contre-attaquer, de façon efficiente. Car le temps et l’argent manquent.

Justement, c’est tout l’objet du Guide pour faire échouer des projets contre (la) nature que de vouloir rendre accessible à tous les expériences de quelques-uns, rassemblées en un vadémécum stratégique. De quoi au moins gagner du temps pour préparer une lutte…

Soit analyser la situation, lister les alliés, les adversaires, cartographier les parties prenantes en un diagramme, projeter les pouvoirs à faire évoluer, développer les points forts, faibles et les capacités d’action de chacun, mener la réflexion des tactiques, stratégies pouvant mener aux objectifs à définir.

Alors essaimeront festivals pour recueillir de l’argent et soutenir le collectif, campagnes d’affichages pour alerter, manifestations pour mobiliser le groupe constitué en une association dédiée … Et bien d’autres choses qu’il faudra prendre soin de s’emparer, d’adapter à la lutte locale contre le projet spécifique et au regard des personnes en présence.

Les mobilisations de ce type vont-elles de plus en plus se déployer à l’avenir ? Les sabotages deviendront-ils inéluctables pour faire valoir ses avis intransigeants ?

Parfois, ça paye

A force d’opiniâtreté, comme en d’autres mobilisations, la préfecture de la Drôme leur a offert une victoire. L’entreprise n’en restera pas là et ira jusqu’à réclamer des millions d’euros de dédommagement pour le préjudice subi, comme les grosses entreprises sont invitées de plus en plus à saisir les tribunaux privés pour faire valoir leur droit au commerce annihilé.

Finalement, il était jugé que la zone faisait partie d’un itinéraire touristique majeur, que l’impact sur le « patrimoine paysager » était prégnant et les excavations allaient porter atteintes irrémédiablement au paysage. Mais le risque industriel acceptable dans un premier temps n’en était pas pour autant remis en cause…Allez comprendre.

(affiche du film avec le Hibou grand duc décidément symbole de luttes)

Un projet peut donc inquiéter au point de faire s’ouvrir les yeux, s’agglomérer la conscience, se mesurer certains enjeux. Mais derrière les actions locales, souvent légitimes, qu’est-ce que cela dit véritablement de l’analyse macro, de la volonté de changements supérieurs ?

Au-delà du seul réflexe Nimby, les externalités négatives invisibilisées et propres à nos modes de production sont-elles suffisamment intégrées ? Et quelles seront les étapes suivantes en matière de lutte ? Celles qu’appelle Andreas Malm à force de déconvenues et devant les urgences qui s’imposent ?

Les cailloux dans la chaussure peuvent toujours permettre de marcher, même malaisément. Deviendront-ils enfin des grains de sable disséminés dans les rouages de la mégamachine ?

Lurinas

Les séances

https://pulp-films.fr/project/des-cailloux-dans-la-chaussure/

Lecture complémentaire conseillée

Guide pour faire échouer des projets contre la nature, de François Verdet (éd. La Relève et la Peste)

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