La poésie, pour sauver le monde, ou faire naitre des possibles impensés

Le poésie peut-elle sauver le monde, comme l’annonçait en 2016 le poète Jean-Pierre Siméon dans son Manifeste ? « Non ! » Répond Philippe Tancelin, poète et philosophe. « Elle participe à la transformation du monde », oui, « dans la mesure où elle permet d’établir un autre type de relation des Hommes entre eux ». Mais « la poésie ne sauvera pas le monde, c’est une imposture que de dire cela ».

Selon Philippe Tancelin, ce que peut par contre le langage poétique, c’est « susciter du sens », un sens nouveau, « qu’on fabrique soi-même », fait de la rencontre des mots « qui se rassemblent nouvellement ». Et ainsi, faire naitre des possibles par l’exploration de chemins inconnus jusque-là. Ou plutôt, des chemins que la poésie fait voir sous un nouveau jour. « Il y a dans ce que j’ai vu quelque chose qui n’a pas encore été vu, mais qui n’est pas de l’ordre de l’invisible ; dans tout ce que j’ai dit, quelque chose qui n’a pas encore été dit, et qui n’est pas de l’ordre de l’indicible; quelque chose qui n’a pas encore été entendu mais qui n’est pas de l’ordre de l’inaudible, mais de l’in-ouï, de l’in-dit, de l’in-vu. »

Habiter poétiquement le monde

Et c’est cela, « habiter poétiquement le monde » (cit. Holderlin). C’est cette lutte de chaque instant à voir dans le réel ce qu’il y a d’encore inconnu, à voir l’extraordinaire dans le banal. S’efforcer à saisir ce qui peut surgir comme nouveau sens, par la rencontre des « différents » et des « incompatibles ». Avec les mots, mais aussi un pinceau, un crayon, une musique… ou avec rien. Simplement sa peau, ses yeux, ses narines, sa langue ou ses oreilles, en plein cœur de l’ordinaire.

« Résister contre la réductibilité, c’est peut-être cela, le rôle de la poésie ». Philippe Tancelin

C’est un nouveau réel qui nait alors, lorsque les mots n’ont plus de frontière, et que la fonction du langage est explosée par les sens et la déraison créatrice. Le langage poétique « s’inscrit en faux contre la convention, celle qui prétend relever de l’ordre nécessaire », analyse Philippe Tancelin. En rupture avec le langage des politiciens, « la poésie permet un accroissement de l’être », car les mots poétiques sont irréductibles à leur sens, comme « la vie est irréductible à sa fonction ». Pour le poète, le langage politique réduit ainsi le sens, quand le langage poétique le libère. « Les mots eux aussi sont irréductibles », et ainsi, ils rendent irréductibles à leur fonction ceux qui le parlent. « Résister contre la réductibilité, c’est peut être cela, le rôle de la poésie », conclue le poète.

« Le langage poétique est politique », Philippe Tancelin

« Le langage poétique est politique », affirme ainsi Philippe Tancelin. Parce qu’il fait naitre « l’imprévu permanent », celui que « le système sécuritaire sanctionne ». Il a aussi le pouvoir de changer les regards, de donner à chacun la possibilité de n’être pas réduit à sa fonction, et il a la puissance de faire pousser l’imaginaire et de créer d’autres réels.

Flore Viénot
Musique : Norbert Pignol, Rythmes
Texte : Philippe Tancelin « Urgence » (Poét(h)ique de l’urgence)

Des Liens

• Ouvrages de Philippe Tancelin
• Poét(h)ique de l’Urgence, Philippe Tancelin, l’Harmattan
• La poésie sauvera la monde, Jean-Pierre Siméon