Minute : l’Éjaculateur Précoce de l’Extrême-Droite ?

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que le journal Minute aura usé de son droit à la liberté d’expression en titrant sa Une : « Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane ». Certains crieront au scandale et alimenteront malgré eux le buzz. Les plus cyniques diront que c’est une histoire d’équilibre dans un débat médiatique permanent qui sans cesse fustige par provocation le « politiquement correct » de « la gauche bobo » au pouvoir, alors que ce sont un peu les idées du FN qui sont en train de le prendre, ce pouvoir.

En pointe de cette éminente intelligentsia, la grande finesse de l’hebdomadaire, aura vu passer des plumes comme celle de Serge de Beketch (cofondateur de Radio Courtoisie), François Brigneau (cofondateur du Front National) ou encore celle de Patrick Buisson (ex-conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Elysée).É

Minute, c’était généralement cette vieille France qui bien incapable d’apporter des solutions à une crise économique, ressortait les vieilles recettes de notre grand-mère raciste, vous savez, celle qui appelle la maréchaussée pour signaler qu´un « nègre » est entré chez elle par effraction, alors que c’est le plombier qui vient déboucher les chiottes qu’elle a massacrées ce weekend.

Ne nous trompons pas

MINUTE-LATELELIBRE-3La vision stratégique de Minute n’est pas aussi courte que leurs idées, ou que ce nom, qui évoquerait presque un coït trop rapidement achevé. Dans une ère où le buzz est roi et où Nabila fait office d’idole des jeunes, Minute fait l’autopromotion de son racisme à faible coût: nous pouvons dès aujourd’hui apercevoir les retombées de cette stratégie avec les condamnations venant de toutes parts qui feront exploser inéluctablement ses ventes. Le buzz, c’est un peu l’orgasme provoqué par le chatouillement de l’opinion, tel un clitoris offert et disponible. L’hebdomadaire provoque ce buzz en jouant sur les mots et les expressions de la langue française, comme s’il n’assumait pas et faisant bien attention à ce que le titre ne soit pas condamnable.

Car Minute a beau être imprimé en couleur pour se donner des airs de modernité, traiter de singe une ministre noire témoigne de la vieille et poussiéreuse obsession racialiste de son camp politique de même que l’emploi du mot « banane » évoque les vieilles rengaines des nostalgiques de l’époque coloniale. Plus simplement, c’est le discours classique et jusqu’à aujourd’hui discret d’un camp politique qui n’accepte toujours pas qu’une enfant de Guyane et descendante d’esclave puisse un jour exercer la fonction de ministre.

Tout cela reflète le climat actuel de notre société : une opinion autrefois ignorée et aujourd’hui sous les projecteurs. D’un côté on dénonce, de l’autre, on rit, voire on adhère. Croire aujourd’hui que cette Une scandalise tous les français serait naïf, et Minute l’a très bien compris. Car il faut tout de même oser sortir ce genre d’insulte. De la part d’un périodique ayant publiquement soutenu Bruno Golnisch face à Marine Le Pen lors de l’élection pour la présidence du FN en 2011, rien d’étonnant.

C’est aussi le résultat de 40 ans d’un labourage idéologique intense des masses par un Front National (entre autres) bien conscient que pour gagner politiquement, il faut d’abord sortir victorieux de la bataille culturelle. Si bien qu’aujourd’hui, un ministre socialiste peut dire sans ambiguïté qu’une population, à savoir les Roms, n’a pas la volonté de s’intégrer.  Loin de vouloir comparer le ministre de l’intérieur à l’extrême-droite, l’expression « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » prend alors tout son sens, lorsqu’il s’agit de valider certaines idées extrémistes.

L’ambiance dégueulasse de ces derniers mois, entre les débordements de « la manif pour tous » et les dérapages de certains candidats frontistes, où les uns ressortent d’une façon décomplexée les insultes de singes du XIXe siècle, quand d’autres semblent démobilisés, laisse supposer une victoire culturelle des idées d’extrême-droite, représentée aujourd’hui électoralement par le Front National. Et s’il est aux portes du pouvoir, comme aiment le dire certains éditorialistes, un buzz, comme celui de Minute, pourrait en être l’accélérateur d’incendie. Ou bien l’éjaculateur précoce, et gâcher l’avènement d’un climax longuement préparé en coulisse en abattant trop vite les cartes de son propre camp. Se foutre à nu avec trop de hâte a souvent ruiné certaines conclusions

Jonathan Halimi

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