VERS UNE RÉUNIFICATION EURO-MÉDITERRANÉENNE ?
Publié le | par La Rédac'
Il faut reconstruire Carthage
« Et si l’apprentissage du latin pouvait aider à résoudre la crise des banlieues ? Et si on envoyait des agrégés de Lettres Classiques plutôt que des compagnies de CRS ? »
C’est cette question provocatrice que pose Dominique Briquel, professeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, dans la préface du livre de Patrick Voisin Il faut reconstruire Carthage. Méditerranée plurielle et langues anciennes. Cet essai est loin d’être réservé aux spécialistes de la linguistique et de la méthodologie de l’enseignement des langues anciennes. Sous un titre assez mystérieux pour qui n’a jamais fait de latin, il apporte une réponse au politique qui essaie de résoudre la question du dialogue des cultures, de l’intégration des populations d’origine immigrée dans nos sociétés contemporaines. La formule « Il faut reconstruire Carthage » est une reprise de la formule du sénateur romain Caton le Censeur, qui concluait tous ses discours ainsi : « Ceterum, censeo Carthaginem esse delendam », c’est-à-dire « d’ailleurs, j’estime qu’il faut détruire Carthage ». Pourquoi reconstruire Carthage, ici symboliquement ? Pour reprendre conscience des racines euro-méditerranéennes communes à tout l’espace qui est aujourd’hui séparé par cette mer qui pendant longtemps n’a pas divisé les hommes, mais les a au contraire réunis : Fernand Braudel parlait du « continent méditerranéen ».
Patrick Voisin, professeur de lettres et de langues anciennes en classe préparatoire au lycée Louis Barthou, à Pau, part ainsi de ce constat pour mettre en avant l’héritage culturel commun de l’Antiquité, qui dépasse le monde grec et latin, pour concerner le monde de l’Afrique du nord, et pas seulement la partie colonisée par les légions romaines. Il considère en effet que seule « l’appartenance à un monde initial commun, métissé de cultures diverses tout au long des siècles, doit faciliter le dialogue et permettre d’aller de l’avant. »
Le monde méditerranéen est par définition croisement, mélange de cultures, où le bilinguisme et les échanges sont partie prenante : un cinquième des côtes littorales a par exemple été à la fois chrétienne et islamique. La relation patron (patronus) / client (cliens) existe depuis l’Antiquité dans tout l’espace euroméditerranéen, pour se retrouver jusqu’au XXe siècle : un homme aisé, riche et ayant du pouvoir, prend sous sa protection un certain nombre de personnes, les entretenant financièrement si besoin, leur donnant des conseils. Cette structure se retrouve dans l’Antiquité romaine, au Moyen-Age avec la relation vassal / suzerain, dans le monde arabe pré-islamique et islamique. Et ceux qui refusent de faire étudier la littérature religieuse latine à des lycéens de confession musulmane se trompent lourdement ; il suffit de présenter à priori les textes comme des textes non religieux pour que le malentendu se lève. La culture musulmane a permis ainsi la sauvegarde de toute la culture philosophique et littéraire gréco-latine avant de favoriser le formidable moment humaniste de la Renaissance.
Il n’y a pas de culture supérieure sur la rive nord de la Méditerranée, pas de complexe à avoir pour l’autre rive, mais au contraire un destin commun au sein duquel la culture de la rive nord n’aurait pu se développer sans la rive australe. L’auteur latin Juvénal parlait d’un tumor Africanus qui peut être ainsi caractérisé comme Claude Sintes l’a fait : « D’abord la richesse d’imagination, une sensibilité très vive mais un peu maladive, l’intelligence suraiguë des grands spectacles de la nature. Puis un tour d’esprit mystique et souvent avec cela, par un contraste surprenant mais facile à observer déjà dans l’ancienne Carthage, beaucoup de sens pratique, la préoccupation de l’utile, l’idée fixe d’enseigner quelque chose, de persuader, de convertir. (…) Enfin dans le style beaucoup d’éclat, de relief, d’images, mais aussi beaucoup d’exagération ».
Et si l’on posait bientôt la première pierre ?
Nicolas Condom
/Il faut reconstruire Carthage. Méditerranée plurielle et langues
anciennes/, Patrick Voisin, Paris, L’Harmattan, 2007, 236p.
Les commentaires (1)
Vivement un reportage sur cet homme de lettre! En lisant cet article, l’idée semble excellente.