Lettre à ceux qui soutiennent sans manifester

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AJOUT DU 29/11/10 : L’auteur du texte a été identifiée par nos internautes attentifs, il s’agit d’Agnès Maillard de l’excellent Monolecte.

Nous publions donc ce texte militant adressé à ces 71% de Français qui soutiennent le mouvement social actuel, mais qui regardent passer les cortèges de leur fenêtre de bureau…

On vous rappelle qu’il y a manif aujourd’hui!

Les Français et la grève

« Humm, que j’aime le claquement des banderoles dans le petit matin frais!


Inlassablement, ils repartent au combat. Tous les 15 jours. Puis
toutes les semaines. Et puis même le week-end. Ils y vont. Malgré
tout. À cause de tout. Déterminés. Joyeux. Féroces. Ils sont là.

Bien sûr, il y a les abonnés du pavé. Comme une grande confrérie.
Manif après manif, ils se retrouvent toujours, immanquablement, comme
guidés par un tropisme atavique. Ce sont les vieux gauchos, les
soixante-huitards fatigués, le poil blanchi sous le harnais de la
lutte permanente et continue contre l’ordre qui broie, qui ronge, qui
reprend, patiemment, miette par miette, tout ce que les anciens
avaient gagné au terme de bras de fer immenses et acharnés. Je me
souviens de quelques soirées électorales où on s’est retrouvés à cinq
autour d’une table, dans la pénombre d’une salle municipale déserte.
Et de quelques marches désabusées, à filer droit, quelque pelés
bravant un ciel qui fait aussi la gueule. Les vétérans de la lutte.
Les poilus du refus. Les militants de toujours, qui se traîneront
avec leur perf’ de chimio s’il le faut, on s’en fout, il faut y être
et c’est tout! Toujours dans le mauvais camp. Celui de ceux qui ne
sont pas au pouvoir. Le camp du peuple. De la populace qui ennuie et
qui effraie, aussi, ceux qui sont censés la gouverner.

Bien sûr, il y a les jeunes. Avec leur enthousiasme. Leur esprit de
contradiction. Leur envie d’en découdre. Leur envie d’exister, d’être
entendus, de compter comme des citoyens à part entière. Pas toujours
très au fait des subtilités de la pensée politique, mais souvent bien
plus lucides, bien plus pertinents que ne le pensent généralement les
vieux cons. Ils ne lâchent rien. Jamais. Ils restent toujours au
milieu de la place bien après que les vieux militants se soient
prestement dispersés pour retourner à une vie normale. Ils aiment
plus que tout prolonger le chaos, le faire durer. Ils ne cherchent
pas à être là où ça bouge, ils font bouger la foule, la font danser,
la font crier. Ils ont la vie devant eux et pas l’intention de la
laisser filer. Ils sont notre avenir et ils ne peuvent pas fuir.

Et puis, il y a les nouveaux. Nombreux. Toujours plus nombreux. La
majorité silencieuse qui a décidé qu’elle n’en pouvait plus. La masse
de ceux qui pensaient que la politique, ce n’est pas pour eux.
Jusqu’à ce que la politique s’occupe d’eux. Les poursuive. Dans leur
salon. Dans leur boulot. Même pendant les courses au supermarché.
Devant l’école des gosses. Ceux qui ont fini par comprendre que la
politique actuelle ne fait pas de quartier, pas de prisonniers. Ceux
qui ont pris la crise dans la gueule, dans les tripes. Les salaires
qui patinent, les boulots qui disparaissent, la gangrène hideuse du
chômage qui les talonne, la santé trop chère, l’école qui se
déballonne. Toutes ces fausses promesses qui n’ont engagé que ceux
qui y ont cru. Toutes ces paroles creuses qui éclatent sur une
réalité sociale qu’on ne peut plus faire semblant de ne plus voir.
Et puis là, le truc de trop : deux années de plus à trimer pour
des clous. La goutte d’eau qui fait déborder le trop-plein
d’amertume. Ils en ont juste eu marre, ils ont posé des RTT, ils ont
pris les gosses sous le bras et les voilà à faire nombre dans les
cortèges. Ras-le-bol général. Refus total de lâcher une seule petite
chose de plus. Refus de se laisser récupérer, d’adhérer, de se faire
compter. Refus total. Et ivresse de la foule.

Et puis, il y a tous les autres. Les 71 % de gens qui en ont ras la
cafetière de tout, qui veulent que ça pète, qui veulent que ça
change, qui aspirent à autre chose, mais qui comptent sur les potes
pour faire le sale boulot à leur place. C’est à tous ceux-là que je
parle. C’est à toi que j’écris.

Je comprends.
Tu as toujours une bonne raison de ne pas y aller, même si tu
soutiens le mouvement de tout ton cœur, de toutes tes forces. Tu as
un boulot. Et tu as peur de le perdre. Ou tu es irremplaçable. Je
t’ai déjà dit que les étagères de Paul Emploi sont blindées de gens
irremplaçables. Tu as une famille. Et personne pour garder les mômes.
Tu n’as plus de boulot. Tu as besoin de ton salaire. Tu as le crédit
de ta baraque à rembourser, ta banque te tient les bollocks au creux
de la pogne. Et puis, dans ta branche, les « rouges », les
syndicalistes, les grandes-gueules, les fouteurs de merde, tous ces
gens-là, c’est vachement mal vu quand même.
Tu es l’armée de réserve. Tu attends que ça pète pour te jeter
dans l’arène à ton tour. Parce que là, tout de suite, les petites
randos de santé en centre-ville, tu y crois moyen. Et puis, tu
n’aimes pas les vieux militants, les syndicalistes bornés, les gamins
en roue libre et les braillardes à banderoles. Tu n’aimes pas la
foule. Et les retraites, tu sais que c’est grave ce qui se passe,
mais d’un autre côté, ça fait un bon moment que tu en avais fait ton
deuil. C’est que tu es un lucide, toi. C’est que tu vois les choses
globalement : d’un peu plus haut. D’un peu plus loin. Tu me dis qu’on
n’a pas besoin de toi. Qu’un mec tout seul, ça ne changera rien au
final.
Alors, tu nous regardes passer sous les fenêtres de ta boîte que
tu détestes et tu continues ton boulot qui n’a pas de sens pour
gagner un salaire en peau de chagrin. Et tu nous soutiens. De toutes
tes forces!

Sauf qu’au combat, tu le sais bien, chaque soldat compte. Tout
comme tu sais, même si ça te fait chier de te l’avouer, que nous
sommes au cœur d’une véritable guerre des classes, une guerre sociale
et comme tous les gonzes qui défilent à tes pieds, je sais que tu as
compris que les mecs en face n’ont pas l’intention de faire de
prisonniers. Tu sais qu’à partir de maintenant, nous n’avons plus le
droit à la défaite. Tu sais que si nous fléchissons maintenant, ils
nous achèveront demain. Nous faire trimer jusqu’à la tombe n’est que
le début, c’est juste la partie émergée de l’iceberg libéral, ce
n’est qu’une étape vers le véritable objectif de ceux qui tiennent
les manettes : le retour au temps joyeux de Zola, où nous n’avions
rien et où ils avaient tout.
Toi aussi, tu les vois en train de dépecer notre tissu social
comme une meute de charognards excités par l’odeur lourde et collante
de la misère et du malheur des exploités. Tu as encore tant de choses
à perdre, que tu refuses encore de descendre dans la rue. Tu as tant
de choses à perdre, et eux ne voient là qu’autant de choses à te
reprendre. Et ils le feront. Petit à petit. Morceau par morceau.
Jusqu’à ce qu’il ne te reste rien de ce que tu t’échines à construire
depuis tant d’années.

Ce n’est pas qu’une question de retraite. Et tu le sais bien. C’est
une vision du monde, un choix de société. Ce sont les forces de
l’argent qui ont décidé qu’elles en avaient marre de concéder des
miettes aux pauvres pour avoir la paix. Ce sont nos exploiteurs qui
ont décidé que nous étions des gêneurs, des surnuméraires, des
empêcheurs de jouir de tout comme des porcs. Alors, ils reprennent
tout : le droit de se reposer après une vie de labeur, le droit de ne
pas vieillir dans la misère, le droit d’être soigné, le droit d’être
instruit, le droit d’être convenablement nourris, le droit d’être
correctement logé, le droit à une vie décente.

Tu sais tout cela, toi qui nous regardes défiler de ta cage
climatisée. Tu sais tout cela et tu nous soutiens.
Mais cela ne suffit plus.
Si nous faiblissons, nous sommes perdus. Ils sont à l’affût, avec
la suite de leur programme ignoble : encore une journée de travail en
plus, pour les vieux, encore des remboursements en moins, encore des
subventions qui s’assèchent, encore des taxes qui frappent dur les
plus pauvres, encore des restrictions, encore de la rigueur, encore
de la déconstruction sociale, encore, encore, comme une litanie,
encore, encore, comme notre sang qui s’écoule doucement sur les
pavés, encore, encore, comme la curée de la meute, encore, encore…

Tu sais qu’on y est. Cela fait même pas mal d’années qu’on y est.
Et là, c’est la position qu’on ne doit pas lâcher. C’est le point de
résistance où se joue la déroute en rase campagne. Si on on perd
maintenant, ils vont nous dépecer vivants.

Ce n’est plus le temps de la palabre. Plus le temps des stratégies.
Plus le temps de la neutralité.
Choisis ton camp : tu es avec nous dans la rue ou tu continues à
nourrir la main qui t’étrangle, lentement! »

Texte anonyme

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Les commentaires (5)

  1. Le voleur du téléphone de Besancenot retrouvé grâce à la vidéosurveillance
    Le leader du NPA est un farouche opposant à la vidéosurveillance. Ironie du sort, c’est grâce à ces caméras que l’homme qui lui a volé son téléphone portable le 25 octobre a pu être appréhendé par la police.
    ah ah ah ah rigolo !!!