CETTE ELECTION AURA T-ELLE ETE HISTORIQUE?

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J-1 : Rick Shenkman porte un autre regard sur la campagne qui s’achève, se demandant si au fond les Américains n’ont pas mérité les excès et la médiocrité qu’elle a connu, de la même manière qu’ils auraient mérité G. W. Bush en raison de leur ignorance – ce qui est différent de la stupidité. Fondateur du site internet History News Network, professeur d’histoire à George Mason University, il a accordé une interview à Nicolas Condom de LaTéléLibre.

Une interview réalisée à J-1 et traduite par Nicolas Condom, pour LaTéléLibre.fr.

« La campagne d’Obama en elle-même fait apparaître cette élection comme moment décisif. »

On a dit et écrit beaucoup de choses sur cette élection, et sur le fait que les USA pourraient avoir le premier président noir, ou la première femme vice-présidente (voire même présidente). En tant qu’historien, comment la percevez-vous ?

L’historien se garde bien d’appeler un événement historique. Chaque fois que l’on dit que quelque chose est nouveau, inédit, nous cherchons des précédents dans l’histoire. Mais cette élection contient de nombreux nouveaux éléments. Premier candidat noir pour un grand parti. Candidat le plus âgé pour un grand parti. Record de dépenses de campagne. Et bien d’autres choses. Est-ce que dans 100 ans on regardera en arrière et sera d’accord pour dire que cette élection fut historique ? C’est le test réel.  La réponse est que la campagne d’Obama en elle-même fait apparaître cette élection comme moment décisif. La question suivante est de savoir s’il peut se servir de cette élection attendue pour refaire l’unité du Parti Démocrate. S’il le peut, il deviendra alors une figure transformative. Nous devrons nous rasseoir et attendre.

dessin : xavier lacombe

Barack Obama a eu une avance importante durant toute la campagne. Croyez-vous que l’effet Bradley (le fait que des électeurs blancs disent qu’ils vont voter pour le candidat noir aux sondeurs de peur de paraître racistes) puisse se produire, même s’il n’en a jamais été victime dans sa carrière ?

Mon intuition est que les gens ne mentent pas aux sondeurs en grand nombre. Cela étant dit, qui sait ? Nous le saurons le soir de l’élection. Si les sondages se sont trompés avec une marge importante, nous devrons décider si les électeurs ont menti aux sondeurs ou si leur nombre a été sous-estimé d’une façon ou d’une autre. Tous les sondages reposent sur des formules statistiques. Nous devrons voir si les formules étaient pertinentes  avant d’assumer que les électeurs ont en fait menti aux sondeurs.

« Les électeurs ignorants sont une cible facile.»

Vous venez d’écrire un livre sur l’ignorance des Américains. Quelle est votre thèse ?

Je ne pense pas que les Américains sont réellement stupides. Vous ne pouvez rien généraliser à une population de 300 millions d’habitants. Dire que les gens sont stupides est aussi idiot que dire qu’ils sont intelligents (ce que les hommes politiques, hélas, font tout le temps). Mais je défends l’idée dans ce livre qu’une majorité d’Américains sont vraiment ignorants  au sujet de la politique et du fonctionnement du gouvernement. Deux sur cinq seulement peuvent nommer les trois branches du gouvernement. Un sur cinq sait qu’il y a 100 sénateurs, alors que leur nombre est constant depuis plus d’un demi-siècle. Un jeune sur sept sait placer l’Irak sur une carte alors que nous bombardons ce pays depuis 1991.

La veille de la guerre en Irak, 60% des Américains pensaient que Saddam Hussein était derrière les attentats du 11 septembre, alors qu’il n’y en avait aucune preuve. Un an plus tard, la commission d’enquête sur les attentats a conclu qu’il n’avait aucun rapport avec les événements : 50% des Américains le croyaient. Une ignorance de cette ampleur revient à une alerte d’incendie de niveau 10. 80% des personnes soutenant la guerre en Irak ont cité son implication le 11 septembre comme raison importante de leur position. Si une majorité ne peut pas saisir les faits réels basiques sur l’événement le plus important de notre époque, il y a un problème sérieux.

J’ai utilisé le mot « stupide » dans le titre (avec un point d’interrogation) pour attirer l’attention sur le problème. Un mot moins violent ne semblait pas rendre compte de la menace que nous avons en nous-mêmes. Nous aimons blâmer d’autres pour nos problèmes : Bush, Cheney, les médias. Mais nous devons nous regarder longuement dans un miroir. Si nous avons le gouvernement que nous méritons nous devons nous demander pourquoi nous méritons George W. Bush. Bush a de façon évidente manipulé les gens. Mais les hommes politiques le font tous. Puisque les hommes politiques ne sont pas des anges, les électeurs doivent être intelligents. Les électeurs ignorants sont une cible facile.

« Si nous avions des électeurs intelligents ils auraient demandé des réponses. »

Est-ce que cette campagne électorale vous a confirmé dans vos idées, ou le Américains en ont-ils appris plus en raison de leur forte participation ?

Cette élection a été différente  de la plupart. Un plus grand nombre de personnes ont prêté attention et se sont impliquées. Mais quel était l’atout de Barack Obama ? Qu’il semblait différent. S’il n’avait pas ce grand sourire, aurait-il attiré les gens ? S’il avait manqué de charisme aurait-il triomphé lors des primaires ? Ce n’est pas sa position sur les différents problèmes qui a fait la différence. C’est sa personnalité, son caractère différent, son emphase gagnante sur le « changement » (quoi que cela signifie en pratique).

En d’autres mots, cette campagne a mis en avant toutes les questions qui facilitaient le débat public. Tout ce qui était compliqué a été laissé de côté. Peu d’Américains comprennent sa politique fiscale. C’est un problème trop compliqué.

Obama, comme McCain, a supposé que les gens étaient inattentifs aux détails, et largement ignorants. C’est pourquoi la campagne contenait si peu de points de programme spécifiques. C’est bien plus efficace de faire campagne sur le concept flou de « changement » que de dire ce qu’on compte faire au sujet de la crise financière par exemple. Aucun candidat n’a voulu dire aux électeurs 1. Pourquoi la crise s’est produite (sauf en termes favorables aux membres de leurs partis), ou 2. Ce qu’ils veulent faire pour changer les choses. Si nous avions des électeurs intelligents ils auraient demandé des réponses.

« Plus de 40% des électeurs dans les Etats-clefs de l’Ohio et de la Floride ont dit aux sondeurs qu’ils ne savaient pas quelle est la religion de Barack Obama. »

Comment les hommes politiques ont-ils exploité l’ignorance des électeurs ? Après tout, de nombreuses personnes croient que Obama est musulman parce qu’il a fréquenté pendant 20 ans les bancs de l’Eglise du pasteur Jeremiah Wright… Quel est le rôle des médias ?

J’ai cité dans mon blog des chiffres qui renforcent mon impression que les gens sont indifférents aux faits. Plus de 40% des électeurs dans les Etats-clefs de l’Ohio et de la Floride ont dit aux sondeurs qu’ils ne savaient pas quelle est la religion de Barack Obama.

C’est bien évidemment le résultat d’une campagne de désinformation massive des opposants à Obama. Mais les électeurs auraient dû être capables de le savoir. Ce n’est pas compliqué.

Le rôle des médias était de dire les choses clairement. Une grande partie des médias principaux  ont semblé de s’y atteler durement. De nombreux sites internet ont testé et vérifié les déclarations des candidats.

Mais au final vous avez la campagne que vous méritez. La question que les Américains doivent se demander est pourquoi ils ont mérité une campagne aussi détestable que celle-ci.

Beaucoup d’Américains craignent de ne pas voter car ils ont été expulsés de chez eux, d’autres veulent des bulletins en papier pour permettre un recomptage. Les Américains ont-ils tiré les leçons de l’élection de 2000 ?

Les Américains ont retenu d’importantes leçons de 2000. Les machines ont été améliorées. Des bulletins en papier ont été fournis dans toutes les élections où  on doute de l’identité d’électeurs légitimes. Mais de nombreuses machines ne gardent pas d’enregistrement imprimé et d ‘autres enregistrent de mauvais résultats, quand un électeur vote pour X et Y apparaît.

Fondateur de History News Network, site internet qui cherche à apporter un regard d’historiens sur les événements contemporains, Rick Shenkman a, en plus de sa casquette d’universitaire, une carrière de journaliste d’investigation, découvrant un établissement où se pratiquait la prostitution en Thaïlande, et forçant par ses révélations une large compagnie de l’Utah qui pratiquait des fraudes fiscales à accorder 60 millions de dollars de crédit aux contribuables de l’Etat.

Nicolas Condom.

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Les commentaires (1)

  1. Pour palier à cette ignorance qui caractérise les Etats Unis, auquel j’ajouterais le Canada, il va falloir qu’Obama se lance dans une réforme conséquente du système éducatif. Le niveau d’un élève de 18 ans, qui sort du secondaire est proprement atterrant notamment en ce qui concerne la géographie et l’histoire. Pour apprendre où se situe la France ou l’Iraq, connaitre l’histoire de la Russie ou de l’Afrique, il faut que l’étudiant suive des cours à l’université. Bref, les connaissances permettant d’avoir une vision élargie du monde ne sont accessibles qu’à une minorité aisée. Car la fac, aux States, ça coute un bras !