Accord COP21 : Un écran de Fumée qui relâche des Tonnes de CO2

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Au terme de treize jours de négociation et de tractation, 195 pays ont adopté un accord qui marquerait une étape décisive pour limiter le dérèglement climatique. Un final accueilli sous les ovations des participants. Les citoyens doivent-ils aussi s’en réjouir ? Décryptage à quatre mains par Charlotte Espel et Lurinas.

En ce début de soirée au Bourget, plus le temps des palabres. Laurent Fabius, adepte de l’indaba et pressé d’en finir, clôt arbitrairement les débats de la COP21, la question improvisée n’ayant même pas le temps d’être traduite pour en attendre réponse…

« Y a-t-il des objections à l’accord ? Je ne vois pas d’objection. L’accord de Paris est adopté ! »

Et la presse internationale de saluer dans un même élan « un accord historique ». Laurent Fabius est ému aux larmes. Tout le monde se congratule. Les bras se lèvent pour la victoire. Les négociateurs éreintés s’embrassent, soudainement euphoriques cependant que le marteau vert s’abattait en guise gong final.

L’accord serait « ambitieux, différencié, juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant […] Le texte constitue[rait] le meilleur équilibre possible, un équilibre à la fois puissant et délicat, qui permettra à chaque délégation de rentrer chez elle la tête haute »

En tout cas, il est clair que pour que les États-Unis, la Chine, l’Arabie Saoudite, les industries exploitant les énergies fossiles, les compagnies aériennes et maritimes, etc. soient satisfaits de ce texte, cela relève soit de l’exploit, soit d’une histoire d’enfumage… Et c’est tout l’objet du décryptage de ces 39 pages et 29 articles et 182 propositions.

« Un accord ambitieux » – Pas vraiment, non !

  • L’objectif de 1,5°C : de la poudre aux yeux

L’objectif de l’accord est simple : maintenir

« nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et de « poursuivre l’action menée pour l’élévation des températures à 1,5 °C »

Lorsque vous avez vu ce chiffre de 1,5°C, vous avez peut-être pensé : « Les dirigeant ont enfin pris la mesure de l’urgence à agir ». Sauf que l’objectif de 1,5°C est un objectif non contraignant. Autrement dit, aucune obligation de le respecter et aucune sanction en cas de non-respect.

Ensuite, cet objectif est totalement irréalisable. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC (5ème rapport du GIEC) estime en effet qu’une baisse de 40 à 70% des émissions mondiales d’ici à 2050 est la condition sine qua non pour éviter un emballement climatique. Une des premières moutures de l’accord retenait même un objectif de réduction de 70 à 95% d’ici à 2025. Trop beau pour être vrai ! La disposition a été retirée du texte sans ambages, tout comme les émissions de transports maritime et aériens qui représentent à elles seules 8 à 10% des émissions mondiales.

Brèfle, l’idée « révolutionnaire » serait de se limiter au mieux à un équilibre entre les émissions d’origine anthropique et leur absorption par les puits de carbone. Énorme !…

Car, autant l’avouer : pour se limiter à 2°C, il faudrait des transformations profondes non seulement des technologies utilisées, mais également des modifications économiques, politiques, sociales et culturelles.

Donc on affiche un objectif sans se donner les moyens de l’atteindre. Belle escroquerie intellectuelle !

  • Des contributions nationales largement en dessous de l’objectif affiché

Vous êtes sûrement passés à côté, mais l’Accord de Paris entérine en fait un réchauffement climatique supérieur à 3°C – c’est normal, il ne faut surtout pas en parler !

Les « contributions prévues déterminées au niveau national » (INDCs, en anglais) sont les promesses faites par les États de l’ONU en amont de la COP pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Des engagements chiffrés publiés par toutes les parties (190 sur les 195 en fait, publiés en annexe pour mémoire). Or, sur la base de ces engagements volontaires chiffrés, les scientifiques estiment que ces contributions additionnées nous mèneraient vers une trajectoire de 3°C d’ici 2020/2030

Chacun décidant de l’effort à consentir, sans contrainte absolue, tout est relatif et variable. Ainsi, la Dominique a promis l’effort le plus important (émission de 3,2 tonnes de CO2 par habitant en 2010) de l’ordre de 70% d’ici 2030. Tandis que le Qatar (72 tonnes par habitant et par an s’il vous plait !) s’engage à « n’augmenter ce taux que » de 2% d’ici 2030.

Dommage pour les 1,5°C, ça faisait pourtant bien sur le papier !

Et cerise sur le gâteau, ces engagements ne sont ainsi même pas contraignants ! Annexés à l’accord, ils n’ont aucune valeur obligatoire. Donc, les États ne seront pas légalement tenus de les respecter … Il manquerait plus que ça, tiens, qu’on oblige les États à diminuer leurs émissions… Et puis quoi encore !

Toutefois, les États ont accepté une « clause de révision » de ces contributions tous les cinq ans; donc théoriquement à partir de 2025 (l’accord entrant en vigueur à partir de 2020). Les pays se réuniraient pour faire le bilan de la baisse de leurs gaz à effet de serre et fixer de nouveaux objectifs, censés être de plus en plus ambitieux au fil du temps. Ce rendez-vous est beaucoup trop tardif pour de nombreuses ONG qui rappellent que nous avons grosso merdo 20 ans pour redresser la barre … Ou c’est tout le navire qui sombrera dans l’eau ! Mais Hollande à la rescousse (suivi par les États-Unis et le Brésil) a annoncé lors de la clôture de la COP 21 qu’il s’engageait personnellement à revoir ses contributions avant 2020. Alléluia !

  • Pas de transition énergétique en vue

La lutte contre le changement climatique passe nécessairement par une transition énergétique : abandonner les énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. En effet, une étude réalisée par la revue Nature avance que si le monde veut respecter les 2°C de réchauffement par rapport à l’ère pré-industrielle, il doit se résoudre à ne pas utiliser entre 2010 et 2050 un tiers des réserves pétrolières, 50% des réserves à gaz et plus de 80% des réserves actuelles de charbon.

Beaucoup d’ONG ont donc pressé les négociateurs d’inscrire dans le traité de la COP21 l’objectif de 100% d’énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse…) d’ici à 2050. Mais non, rien à faire … Le mot « énergies renouvelables » n’existe même pas dans le traité.

Une autre solution préalable à cette transition énergétique aurait aussi pu être de fixer un prix pour le carbone ; ce qui était évoqué dans les différents projets d’accord. Une nouvelle fois, cette idée – qui aurait pu être le prélude à une sorte de malus international contre les énergies fossiles- n’a pas été retenue.  Par contre, l’accord ne ferme pas la porte aux marchés carbone (article 6), sur lesquels les pays riches « achètent » le droit de polluer chez eux à condition de compenser leurs émissions dans les pays en développement. Pas forcément une bonne nouvelle…

  • Procrastination verte

Les moyens concrets de lutte contre le changement climatique sont éjectés de l’accord et renvoyés à des décisions ultérieures des COP (la prochaine aura lieu en novembre 2016 à Marrakech), à la portée juridique moindre.

A la base, il était prévu de déterminer dans l’accord une date pour ce qui appelle le « pic d’émission »; c’est-à-dire la date à partir de laquelle nos émissions de gaz à effet de serre diminueront. Mais bizarrement, cette date n’est mentionnée nulle part … Il est seulement prévu de viser « un pic des émissions mondiales de gaz à effet de serre dès que possible ».

De plus, l’objectif de long-terme – attendu pour 2050 – ne concerne que la « seconde moitié du siècle ». Cet objectif de long terme pose simplement comme postulat que l’on ne peut pas émettre plus que ce que notre planète ne peut absorber. Le problème, c’est que pour atteindre cette « neutralité carbone », on ouvre grand la porte à l’utilisation de techniques totalement inappropriées comme la compensation carbone, le stockage et la séquestration de carbone (dans les fameux puits de carbone), et la géo-ingénierie. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’on manque cruellement de vision à long terme et qu’au lieu de réduire nos émissions, on va par exemple obliger les entreprises à enfouir leur CO2 dans la terre ou bien envoyer des substances chimiques dans les nuages pour qu’il pleuve plus… Oui, oui, on touche le fond là …

«  Un accord différencié » – Essaie encore !

Certes, le principe de « responsabilité commune mais différenciée », instauré par la Convention de l’ONU sur le climat en 1992, reste acté. L’idée est que les efforts demandés aux pays dans la lutte contre le changement climatique dépendront de leur responsabilité historique dans les émissions de gaz à effet de serre et de leur niveau de développement.

Mais la forme que prendra concrètement cette différenciation reste pour le moins floue : les pays développés « doivent être à la pointe et se doter d’objectifs de réduction d’émissions en valeur absolue », tandis que les pays en développement « devraient continuer d’accroître leurs efforts d’atténuation (…) eu égard aux contextes nationaux différents ».

«  Un accord juste » – Justement pas !

L’Accord de Paris devait mettre sur pied une véritable justice climatique… Mais elle a pris la poudre d’escampette !

La dernière version du texte ne retient en effet ni la référence au respect des droits humains qui devait figurer dans les objectifs de l’accord (article 2), ni l’attention particulière aux populations indigènes et aux États africains, ni la « transition juste », ni la sécurité alimentaire…

D’autre part, le mécanisme de « pertes et dommages » (loss and damage)  – qui permet tout simplement de déterminer qui doit payer les pots cassés, comme une sorte d’assurance pour aider les pays à se relever après une catastrophe climatique type typhon, tempête, inondation, etc. – est nettement affaibli. Le texte (article 8) se contente en effet de mentionner que les parties « devraient renforcer la compréhension, l’action et le soutien » sur cette question. Il exclut toute « responsabilité ou compensation » des pays du Nord pour les préjudices subis par les pays en développement.

Autrement dit, encore aucune obligation à l’horizon …

«  Un accord dynamique » – Non plus …

Comment parler de dynamique quand on sait que le texte final de l’Accord de Paris ne pourra pas être révisé ? Les contributions, elles, le seront normalement tous les cinq ans (article 4), mais le premier bilan mondial des contributions nationales n’aura lieu qu’en 2023 (article 14). Une éternité…

Et une nouvelle fois, rien n’est dit sur les modalités de ces vagues de révisions, donc cela dépendra en grande partie de la bonne volonté des États, de l’accès des enquêteurs extérieurs sur place, etc. Pire, les moyens concrets de lutte contre le changement climatique sont éjectés de l’accord et renvoyés à des décisions ultérieures des COP.

«  Un accord équilibré » – Encore raté !

J’ai lu beaucoup de commentateurs criant victoire car l’accord de Paris a réussi à fixer un objectif de financement à 100 milliards par an d’ici à 2020, a minima. Mais oui, c’est formidable ! Sauf que … cet objectif avait déjà été fixé à Copenhague en 2009, et qu’il n’a jamais été respecté.

Petite avancée tout de même, on ne parle plus exactement d’ »objectif », mais de « plancher ». Problème : l’accord ne comporte sur ce point aucun objectif chiffré, et seulement des propositions au conditionnel : « Cette mobilisation de moyens devrait présenter une progression par rapport aux efforts antérieurs » (article 9, paragraphe 3) et « la fourniture de ressources financières accrues devrait viser à parvenir à un équilibre entre l’adaptation et l’atténuation » en tenant compte de « la nécessité de prévoir des ressources d’origine publiques et sous forme de dons pour l’adaptation » (article 9, paragraphe 4).

Rien non plus sur le fait que ces financements seront additionnels à l’aide au développement déjà apportée, ce qui laisse craindre que des petits malins se contenteront de requalifier en « financements climat » l’aide déjà apportée par ailleurs.

Et rien n’est dit pour la période post-2020 pour laquelle aucun engagement de financement n’est prévu. Aucune mention non plus des termes « nouveaux » et « additionnels » qui apparaissaient dans les premiers brouillons d’accord pour évoquer les financements futurs. Seul « un nouvel objectif chiffré collectif » d’aide financière devra être présenté « avant 2025 ». A votre bon cœur !

Enfin, aucune trace des transferts de technologie Nord-Sud qui avaient été promis pour lever les barrières à l’accès générées par les droits de propriété intellectuelle ; et d’autre part pour que les pays en développement s’orientent vers des technologies vertes bas carbone au lieu de suivre la voie des pays développés dans les industries polluantes.

«  Un accord juridiquement contraignant » – Mais bien sûr !

Alors sur ce point, franchement : respect ! Ils ont réussi à nous faire avaler que l’accord était contraignant – quand bien même tous les « shall » (doivent) ont été remplacés par des « should » (devraient). C’est ça la magie de la traduction, toutes les obligations disparaissent comme par enchantement !

Ainsi, l’Accord de Paris ne rend pas obligatoire les contributions nationales des États ; leur mécanisme de révision étant eux-mêmes faiblement contraignants.

D’autre part, pour les Etats récalcitrants qui prendraient des engagements insuffisants à la lumière des objectifs de réduction, qui ne les respecteraient pas ou qui refuseraient de revoir leurs ambitions à la hausse; aucun mécanisme de sanction n’a été prévu !

Beaucoup, comme Pascal Canfin, directeur général du WWF, rêve à la mise en place d’une Cour de justice climatique internationale qui permettrait de contraindre un État sous peine de rétorsions financières. Mais tout a été bordé pour que les recours juridiques des pays en développement contre les pays développés, pour les obliger à assumer leurs responsabilités de pollueurs historiques, soient quasiment impossibles. Pourtant, de tels mécanismes existent dans les accords de libéralisation du commerce et des investissements ; mais pour ce qui est du climat: non, non, ça surtout pas !

Et puis comme si ça ne suffisait pas déjà … « A tout moment après un délai de trois ans à partir de l’entrée en vigueur de l’accord pour un pays » (article 28), les États auront toute latitude pour se retirer de l’Accord sur simple notification, sans être inquiétés. Ben voyons ! Le Canada l’avait d’ailleurs déjà fait antérieurement quand il s’était agi de mettre en exploitation son pétrole bitumineux, cela entrainant l’explosion de ses quotas d’émissions (le Canada s’était engagé au titre du Protocole de Kyoto à réduire ses émissions de GES de 6% en 2012 par rapport au niveau de 1990, mais ses émissions ont au contraire fortement augmenté ; il a donc dénoncé le traité en décembre 2011 pour éviter une sanction financière).

Et après ?

Finalement, – et quoi qu’on essaye de nous faire avaler ; moi ça me donne plus envie de régurgiter, bref… – l’Accord de Paris n’est pas du tout ambitieux. Diplomatiquement, c’est une réussite. Mais écologiquement, il refuse de s’attaquer à la machine à réchauffer la planète que constitue la globalisation économique et financière. Truffé de formules floues dans le plus beau jargon diplomatique, il reflète plutôt l’impuissance des gouvernements à s’attaquer aux réelles causes des changements climatiques. Rien d’étonnant quand on sait que l’avidité des multinationales, les énergies fossiles et l’obsession de la croissance sont considérées comme des données intouchables.

La prochaine étape débute dès mai 2016. Un groupe de travail chargé de mettre en musique l’accord jusqu’à son entrée en vigueur en 2020 planchera objectivement, avec tous les nouveaux pourparlers et les concessions inévitables que cela engendrera encore. Aussi, pour entrer en vigueur dans les temps impartis et devenir un acte juridique international, l’accord devra être ratifié, accepté ou approuvé par au moins 55 pays représentant au moins 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Sans cela, la décision de COP a un pouvoir juridique faible et peut être contredite par la décision de la COP suivante. D’ici à ce que tout cela se mette d’aplomb, il y a fort à parier que les prochaines Conférences des Parties dussent se tenir sous le niveau de la mer montant inexorablement…

Les gouvernements ont failli, ils ont ployé sous la puissance des multinationales. Désormais, nous devons plus que jamais multiplier les initiatives et les alternatives venant de la société civile pour sauver le climat et développer des modes de vie socialement juste et écologiquement responsables.  Car autant regarder les choses en face : si on ne s’y met pas – chacun à notre échelle – personne ne le fera pour nous !

Charlotte Espel & Lurinas

Liens

Le texte final de l’accord sur LaTéléLibre (39 pages)

C’était couru d’avance (ou comment la COP a été vérolée dès sa naissance)

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