[Dossier] La Covid et la Tête Pleine

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De cette interminable crise sanitaire et depuis un an maintenant que nous jouons les hikikomori par intermittence, sans doute est-il temps de poser un bilan. Mariant la profondeur d’une enquête et la subjectivité d’une tribune, cet exercice vise à aider à relire les mois écoulés, loin de l’infodémie quotidienne à laquelle nous sommes gavés bon gré mal gré. Et enfin à donner une vision politique de l’avenir que nous devons écrire ensemble. Encore une fois, avoir des informations probantes est un des paramètres indispensables, pas suffisant, pour espérer que chacun de nous, en tant que citoyen, se construise une opinion éclairée. C’est un peu l’ADN de LaTéléLibre que de viser cet idéal. Pour ce qui est de l’ARN…

L’expertise scientifique ne suffit pas toujours à générer la conviction nécessaire à l’acceptation de toute mesure. Quand il est affaire de santé publique, le rationnel le dispute difficilement au ‘bon sens’, à l’affectif, à l’émotion. Il faut avouer que les producteurs et experts de diagnostics sur les effets économiques, sociaux, psychologiques et générationnels de la crise épidémique que nous traversons n’ont jamais manqué de nous déboussoler chaque jour un peu plus. Depuis douze mois maintenant, la frontière est ténue entre confiance et méfiance.

Passé les premières semaines où chacun a observé la chute vertigineuse des émissions de CO2 comme un horizon optimiste des possibles, où beaucoup se sont plu à croire que tout allait changer au sortir de cette alerte, l’impact psychologique de cette longue période s’est révélé finalement indiscutablement négatif. Pessimiste.

Que d’insouciance évanouie entre notre société de la cueillette et l’apogée de cette économie agraire et marchande. Mais la réalité nous fait face, frontalement : le retour des épidémies concerne tout autant l’Europe que d’autres régions du monde, en dépit des progrès considérables de la médecine et de la virologie. Le temps de la panique révolue, il est sans doute encore temps d’agir, de reléguer toute procrastination. Contre ce choc. Contre ceux à venir. Et pour contrecarrer enfin les tendances à plus long terme dont la survenue est prédite depuis lulure. Cette épidémie n’est pas qu’un simple aléa naturel. Elle n’est que la partie émergée de l’iceberg des événements impactants qui se jouent chaque année de part le monde, sous nos radars médiatiques occidentaux.

Si cet ébranlement aura grippé par surprise notre réflexion, la peur n’aidant pas à la sérénité des débats, nous souhaitons alors participer, par ce dossier, à une prise de conscience, une analyse dénuée de passion, loin de la dictature de l’émotion désordonnée.

Résumé du dossier

Parce qu’il faut penser à ceux que les longueurs rebutent.

Cela n’est pas un scoop : LaTéléLibre est un slow média. Nous aimons à laisser maturer nos produits, en espérant que le temps permette de produire mieux. Si nous sommes lents, peut-être êtes-vous pressés ? Ce chapitre vise donc à vous faire survoler ce que ce dossier vous donnerait à apprendre.

Nous vous rappellerons d’abord que les virus nous survivront. Cela fait plus de 3,5 milliards d’années qu’ils existent et persistent sur Terre, un des plus connus d’entre tous circule officiellement parmi les humains depuis moins de deux ans que la psychose règne. En fait, l’affolement gagne à mesure qu’un virus touche également les populations des pays développés. C’est une cynique loi médiatique dite du mort-kilomètre. Les virus, parasites, bactéries et autres micro-organismes à l’origine de maladies infectieuses transmissibles coexistent depuis toujours avec les êtres humains (quelques milliards sont même en totale osmose en nous). Les progrès scientifiques et le développement de la santé publique n’y changent rien : certains micro-organismes provoquent des maladies depuis des siècles. La dissémination à grande échelle devient une valeur par défaut, si bien que les regards médiatiques se portent avec plus d’insistance sur lesdites épidémies.

Alors nous nous penchons plus que de coutume sur un virus en particulier. Car il y a urgence. Médiatique et politique. On protocole à tout va, on claquemure, on logistise… Mais le mantra ‘tester, tracer, isoler’ semble bien improductif d’effets bénéfiques. C’est qu’il y a des trous dans la raquette (y a-t-il une raquette ?) : nous apprendrons que la contamination est le fait de nombreuses auto-contaminations, que le suivi épidémique dans les écoles est déficient et participe à la diffusion ininterrompue du virus et de ses variants, que les tests sont menés en nombre mais dépourvus de finalité épidémiologiques, analytiques, que le système de santé promu à la gestion des flux ne sait pas répondre à ses finalités et a autant d’élasticité qu’une barre d’acier. La Covid est un vrai problème de santé publique. Certes. Mais il faut alors la traiter comme telle, en dépistant massivement, à commencer par les personnes à risque (âge, comorbidités…), en les isolant efficacement et les soignant.

Au lieu de cela, tout partirait à vau-l’eau. Cela serait sanitairement catastrophique. Mais de quelle catastrophe parle-t-on ? De cette épidémie faiblement mortelle et létale ? Car il faut l’avouer, même si cela parait contre-intuitif : ce virus n’est pas le danger qui nous était promis. Pas encore. Et cela est heureux. Cela nous permet de nous interroger sur la politique sanitaire actuelle, sur nos restrictions budgétaires qui sont autant de fragilisation de notre assurance-santé, sur la pertinence de cette stratégie d’urgence sanitaire.

Cela pourrait être pire. Cela sera pire. Sans doute. Depuis la fin du XXe siècle, la possibilité d’une épidémie véritablement mondiale et terriblement mortelle est unanimement envisagée par la communauté scientifique internationale, aussi sûrement que d’autres cataclysmes. Parmi de nombreuses hypothèses, celle d’une grippe aviaire qui passerait la barrière des espèces et infecterait les humains. Chaque année, la probabilité de son émergence est testée en grandeur nature dans l’indifférence générale. Alors que son potentiel morbide est sans commune mesure.

Si bien que la gestion chaotique de cette ‘petite’ épidémie, les surréactions qu’elle suscite, sont contre-productives. Comment accorderons-nous l’importance adéquate quand surviendra une prochaine maladie que les médias nous décrirons comme abominable cependant que cette expérience actuelle géante est emplie de contre-vérités, de paradoxes et de décisions bancales. Le manque de discernement politique et de rationalité médiatico-scientifique obèrent de nos facultés futures à répondre collectivement à la véritable prochaine pandémie.

De deux choses l’une, au regard des faibles mortalité et morbidité de la Covid. Soit nous assistons à la défaillance sans commune mesure de notre politique sanitaire, de notre système de soins. Soit nous devons admettre notre incapacité à juguler une quelconque crise sanitaire. Dans cette course à la survie, nous mimons Sisyphe. Chaque recrudescence virale sera à nouveau associée à son lot de mesures coercitives collectives, de moindres ciblages des populations à risque, de vaccinations promises aux pays riches que nous sommes. Etc. Avec quels résultats quand viendra l’heure d’un virus hautement contagieux et mortel ?

Le choix cornélien est clair : choisir entre le soin palliatif sans fin et l’action curative. Et savoir analyser au-delà du guidon. Quelles sont les causes de cette épidémie de pandémies ?  Elles sont structurelles. Décroissance et perte de la biodiversité, déforestations massives, entre autres. Les liens intimes qu’entretiennent le commerce et la maladie tout au long de l’histoire moderne ne font plus mystère. Pendant des siècles, le commerce a été le facteur le plus important de propagations de maladies dans différentes parties du monde, et aujourd’hui il n’en va autrement. Cela s’accélère même, au gré de notre économie productiviste. Les matières premières et les germes circulent concomitamment à une vitesse sans précédent. Quel changement transformateur alors ? Quelles réelles options politiques de fond sont-elles exigibles (exigées) ? Quelle réévaluation de la relation entre l’Homme et la Nature ? Si nombre de solutions préconisées par de nombreux groupes scientifiques peuvent sembler onéreuses, l’analyse micro et macro-économique suggère que leurs coûts seront négligeables comparés aux impacts sociaux, sociétaux, financiers et humains engendrés par les futures maladies infectieuses mondiales.

Nous ne saurions trop vous conseiller de parcourir les détails de notre dossier. Vous n’en serez que plus alertes. N’hésitez pas dans le cas contraire à vous reporter à notre conclusion (chapitre « Mieux vaut guérir ») et notre bibliographie.

Prétentieux et précautionneux que nous sommes, nous en passerons auparavant par quelques mises au point pour anticiper tout trollisme nauséabond et éviter tout malentendu polémique. Notre objectif final ne vise qu’à vous éclairer autrement.

Mieux vaut prévenir

Nous vous expliquons notre démarche, notre souci journalistique. On sait l’exercice particulièrement périlleux sur ce sujet.

Oui, autant prévenir. Car nous savons ce dossier éminemment sensible. Et dans ce contexte de polarisation exacerbée et croissante (exponentielle ?), nous restons optimistes quant à la capacité de nos internautes de se garder de tout manichéisme.

Sensible car il touche à la santé publique, la santé individuelle. Qu’il entretient un rapport indicible avec la mort. Plus que jamais, sans doute n’avons-nous jamais autant eu peur de ce qui est microscopique, indécelable. Encore qu’en matière de danger insipide, invisible, inodore, inaudible, impalpable, il puisse y avoir pire sans éveiller grand intérêt…

Prévenir. De ce que ce dossier ne sera pas. De ce qu’il souhaite ne pas être. Confirmer l’horizon idéal qu’il tend à toucher.

Aussi, nous tenterons de tenir éloignés autant que faire se peut nos biais cognitifs, cherry-picking compris. Nous ne parlerons pas du documentaire mille-feuilles Hold-up, des traitements naturopathiques parallèles et autres médecines hétérodoxes. Nous ne traiterons pas de la sémantique guerrière qui sied à la rhétorique élyséenne, de la réaction immunitaire très hypothétique du vaccin contre la syncytine. Nous ne reviendrons pas sur la cacophonie gouvernementale qui a mis en lumière l’amateurisme des premières semaines, sur les tests salivaires non autorisés trop longtemps ni sur campagne de vaccination improvisée. Nous ne soulignerons pas le travail de décryptage inexistant des chaines d’information continue, les retransmissions anxiogènes au cours desquelles des chiffres étaient énumérés en direct (les fameux indicateurs qu’étaient le nombre d’hospitalisés, d’entrées en réanimation et de décès pour Covid). Nous ne tergiverserons pas sur les comparatifs entre décès Covid et décès prématurés dus à la pollution atmosphérique dans le monde, en France et sur son coût financier. Nous ne remettrons pas une pièce dans la polémique sur les études consacrées à l’hydroxychloroquine ni plus que sur le contrat liant Gilead avec la commission européenne pour un médicament que le laboratoire savait inefficace. Nous ne tirerons pas sur d’illustres confrères. Nous ne développerons pas le dessein auquel certains hauts dignitaires veulent nous assigner. Nous ne comparerons pas les CV des spécialistes que nous avons rencontrés avec ceux que vous jugez plus dignes de confiance. Nous ne nous gausserons pas des élections municipales maintenues, de l’article 49.3 brandi pour une réforme des retraites finalement avortée. Pour ne citer que ces exemples.

Nous tenterons humblement d’apporter des éclairages. De revenir sur les interrogations toujours en suspens et que nous jugeons primordiales pour l’avenir. Nous ne savons que trop que ce vécu est trop récent et original pour prétendre avoir d’ores et déjà toutes les réponses. Mais sa mise en perspective par le questionnement permettra selon nous de revivifier l’esprit critique et de se distancier d’une problématique trop concernante. La prise de recul ne nuit jamais à l’analyse.

Réaffirmons-le : le doute est sain. Il ne mène pas inéluctablement au complotisme. Il n’y a même rien de pire que le consentement qui repose sur la base de l’ignorance. Le doute est sain quand il pousse à révéler, viser la ‘vérité’. Autant dire qu’il est une base du journalisme.

Nous nous contenterons de détailler la situation en France, exclusivement. Car les comparatifs avec les autres pays se heurteraient à l’impossibilité d’en maîtriser tous les paramètres spécifiques (système de soins, politique de santé publique, etc.). Ne seront abordées que les seules validations obtenues lors de notre travail journalistique, recoupées par nos rencontres et échanges. Et c’est déjà beaucoup. Sans doute trop. Mais c’est tout l’objet d’un dossier que d’être dense.

Ces nécessaires précautions prises, nous pensons que la discussion critique a encore sa place dans la Cité, que les nuances sont l’essence du débat.

Brèfle, comme dit l’autre : « merci de bien lire jusqu’au bout » avant de ruer sur les forums…

Pandémonium

Pandémie, vraiment ? Ou comment savoir nommer les choses.

Le cheminement de cette dernière année est pavé d’intentions bien louches. Que nos défauts de connaissance, notre approche étroite n’ont pas aidé à border convenablement pour nous rassurer.

Cette histoire de la Covid-19 révèle nos abyssales ignorances, en premier lieu desquelles sa dénomination adéquate : il faut savoir bien nommer les choses, et autant le dire, la Covid-19 n’est pas une pandémie. Une épidémie donc au mieux, une syndémie selon Richard Horton, car liée à des interactions biologiques et sociales, sur fond de disparités économiques, qu’il faut savoir déceler pour prétendre en traiter les effets néfastes. Si nous tous pouvons être atteints par le virus, la maladie n’affecte pas tout le monde de façon équivalente. S’attaquer à cette maladie de la Covid-19 revient, en parallèle de nos actions d’urgence, à lutter contre l’hypertension, l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires et respiratoires chroniques et le cancer (les maladies non transmissibles, dites MNT), facteurs de comorbidité. Si bien que nous pouvons affirmer que la Covid-19 à des origines sociales, la vulnérabilité étant exacerbée avec l’âge.

Cette approche syndémique doit compléter l’orientation vers le traitement de cette maladie, de ces causes. Nous y reviendrons plus loin.

Mais une première idée nous est accessible : le virus est issu d’un débordement zoonotique, une infection présente chez un animal qui se retrouve inopinément transmise à l’homme (un ‘saut d’espèce’ dans le jargon de la virologie ; la plupart de ces sauts ont une probabilité assez forte de s’éteindre sans même causer d’épidémie). Ce type de saut peut concerner une bactérie, un champignon, une amibe… Ou un virus donc. Les exemples très étudiés de la peste bubonique et de la rage peuvent laisser penser à tort que ce problème appartenait au passé. Sous les radars médiatiques, des chercheurs analysaient 335 apparitions infectieuses depuis 1940 et constataient que leur nombre avait augmenté depuis lors : Nipah (Malaisie en 1998), fièvre du Nil occidental (débarquant à New York en 1999), SRAS (en 2002), MERS (en 2012), Ebola (Afrique de l’Ouest en 2014 et encore tout récemment), Chikungunya, Zika (Amérique latine et Caraïbes en 2015)… pour ne citer qu’eux. Quant à la série multigéniques des grippes, elle pourrait finir d’impressionner (H1N1, H1N2v, H3N2v, H5N1, etc.). Le rythme d’apparition des zoonoses est sans précédent depuis plus d’un demi-siècle, véritables maladies émergentes.

Leurs causes ne semblent plus faire l’objet de controverses : elles sont dues à l’activité humaine et, en particulier, aux destructions toujours plus étendues et plus rapides d’écosystèmes. Nous en verrons les détails ci-dessous.

Tout cela ne nous est donc pas inconnu. Ce dernier épisode n’est que la répétition mondialisée de la crise du Sras de 2002-2003, la rapidité de sa dissémination étant inversement proportionnelle à la réponse sanitaire efficiente que nous étions en droit d’attendre de nos Etats, France comprise.

Cette épidémie n’est pas l’enfer. Pas encore.

La France ne connaît pas la crise

Ce n’est pourtant pas la première fois que nous traversons une crise sanitaire. Rappel non exhaustif.

Une petite revue s’impose. Circonscrite à la France. Rien n’y apparaît comme nouveau. C’est juste que tout s’amplifie.

Au XIVe siècle, l’épidémie de peste noire a causé la mort d’entre un tiers et la moitié de la population européenne (25 à 40 millions de morts estimés). La peste perdurera grâce à des foyers endémiques jusqu’au XVIIIe siècle à Marseille (mais n’est toujours pas éradiquée mondialement, Madagascar en étant toujours sujette périodiquement). Depuis le Moyen Âge, pensez-vous… Aucune comparaison ne saurait être pertinente avec notre hygiénisme contemporain. D’autant que la peste n’a rien à voir finirez-vous par conclure, car elle est causée par une bactérie. Mais c’est le caractère mondial de la peste médiévale qui frappe alors et éveille notre curiosité. En découleront des mesures de confinement radicales, des mises en quarantaine… Une époque au cours de laquelle l’irrationnalité pouvait être excusée, la peur légitimée.

La grippe de 1918-1919, apparue au Texas ou dans le Massachusetts, c’est selon (mais nommée espagnole pour des raisons de découverte), a été un désastre sanitaire et social majeur (et pas seulement car elle aura emporté Guillaume Apollinaire…). Cette grippe A était de type H1N1, souche redevenue célèbre depuis 2009. Une circulation rapide l’a faite surgir à travers toute la planète, véritable première pandémie mondiale : tout le monde était susceptible de tomber gravement malade et d’en mourir, sans distinction d’âge. Entre avril et juillet 1918, la première vague sera caractérisée par une forte morbidité (létalité), mais un taux de mortalité relativement faible. En août et septembre de la même année, une seconde vague frappe près d’un tiers de la population, les jeunes décédant en de larges proportions (le taux de mortalité culmine dans la tranche des 25-34 ans ; une virulence qui serait due à une absence d’exposition préalable au virus). Enfin, au début de l’année 1919, une troisième vague entraîne à nouveau un taux de létalité élevé, mais un taux de mortalité moindre. La France dénombrera 240 000 victimes (les disparités des mesures sanitaires prises selon les pays faisant varier de façon importante les chiffres). Depuis, les descendants du virus de la grippe A H1N1 ont persisté chez l’homme et ont continué à fournir leurs gènes à de nouveaux virus, provoquant de nouvelles épidémies, épizooties surtout dans les pays asiatiques (les humains ont également transmis le virus aux porcs, dans lesquels il reste en circulation). Le monde occidental ne s’était depuis lors pas estimé directement concerné jusqu’au fiasco français de 2009-2010. L’origine de ce virus semble vraisemblablement dérivée d’un virus précurseur de type aviaire non identifié qui se sera adapté aux mammifères. Sa survie est maximisée grâce à ses complexes transitoires issus de huit gènes (complexes polygéniques), générant 1 des 16 éventuelles protéines de surface (de l’hémagglutinine HA) et 1 des 9 éventuelles protéines de surface (de la neuraminidase NA) qui s’assemblent et se réassemblent au sein d’un énorme réservoir aviaire mondial. Technique nous direz-vous. Oui, mais de cela découle pas moins de 144 possibilités combinatoires. Pour le moment, seules trois combinaisons (H1N1, H2N2 et H3N2) ont été trouvées dans des virus véritablement adaptés pouvant infecter l’homme. Estimons-nous chanceux. Jusqu’alors, une fois que de nouveaux virus grippaux humains apparaissaient et provoquaient des épidémies, l’immunité de la population à leurs protéines HA et NA augmentait rapidement.

Mais il ne faut pas sous-estimer les capacités du virus à devenir plus létal par mutations. De tels descendants directs du virus de 1918 ont d’ailleurs provoqué des épidémies dites de décalage en 1957 (H2N2) et 1968 (H3N2, virus de la grippe de Hong-Kong). Dans ce tableau viral et épidémique, une bonne nouvelle : car la grippe espagnole aura diminué en gravité avec le temps, sans qu’il soit possible de distinguer par contre entre les progrès de la médecine couplés à ceux de la santé publique et une transmissibilité optimale conjuguée à une pathogénicité minimale du virus. Il en va peut-être d’un mix entre les deux. Le mystère perdure de savoir comment ce type de crise sanitaire cesse d’elle même.

Si trois souches sont susceptibles d’infecter l’homme, nous pouvons craindre que la grippe aviaire H5N8 (parfois H7 ou H9), hautement pathogène et circulant en Europe, ne passe également la barrière des espèces dans un avenir proche. C’est pourquoi une surveillance est renforcée au sujet de ce virus très contagieux chez toutes les espèces de volailles et qui se propage à travers le monde via les populations d’oiseaux migrateurs (ces derniers restant généralement asymptomatiques). En 2010, un sous-type (un clade) a été détecté pour la première fois parmi des oiseaux sauvages en Asie et s’est ensuite propagé aux oiseaux domestiques en Chine, en Corée du Sud et au Japon. Le chevauchement des voies de migration des oiseaux sauvages provenant de différents continents n’arrange rien à la dissémination. La détection et la notification immédiate des nouvelles souches est donc primordiale. En attendant, le potentiel mortel de ce virus est pris suffisamment au sérieux pour que les services fassent procéder à l’abattage massif de la totalité des animaux d’une ferme concernée à la moindre positivité. La propagation épizootique du virus en Europe est telle que la France a porté son alerte de sécurité contre la grippe aviaire à « haut » début novembre 2020 (un seuil d’alerte qui oblige les oiseaux à rester cloîtrer à l’intérieur des bâtiments ou à disposer des filets de protection afin d’éviter tout contact avec les oiseaux sauvages). Cette situation crisique se renouvelle chaque année depuis 2015, la virulence et la contagiosité étant particulières selon les experts vétérinaires sur ce dernier épisode dans les élevages industriels, la densité et la proximité entre iceux jouant en défaveur (une zone dite de ‘vide sanitaire’ de 5 kilomètres est exigée autour des foyers). Une situation peu médiatisée par rapport à l’autre contexte sanitaire qui nous concerne au premier chef mais inquiétante selon les scientifiques, le confinement des élevages n’y suffisant pas. A l’heure actuelle, les seuls cas humains avérés de grippe aviaire ont concerné les personnels en contact direct avec des volailles infectées et les très rares cas de transmission entre humains sont restés épisodiques. Mais la menace est on ne peut plus réelle : la propagation de l’infection chez les oiseaux augmente la probabilité de l’apparition d’un nouveau virus grippal dans la population humaine. Pour mémoire, le virus de la grippe aviaire H7N9 avait provoqué dans l’est de la Chine 132 infections de contagion chez l’homme en juin 2013, avec un taux de létalité de 28%…

(source : février 2021 –  ministère de l’agriculture)

En attendant cette hypothétique transmissibilité de la grippe aviaire à l’homme, une autre grippe saisonnière propre à notre espèce sévit depuis 1917. Elle est issue de virus grippaux qui provoquent des épidémies dont l’intensité varie selon le type et le sous-type en circulation. Un réseau dédié dénombre les patients atteints de syndromes grippaux vus en consultation. Les taux d’incidence de la grippe au fil des saisons variaient de 1,9 à 3,4 % de la population. Chaque saison, plus de la moitié des cas étaient attribuables à la grippe, les enfants de moins de 15 ans étant les plus touchés. Une co-circulation de plusieurs types est observée presque chaque année. La grippe engendre une assistance médicale importante en France, variant considérablement selon les années et les groupes d’âge. Redoutée tous les hivers, la grippe franchit un seuil épidémique arrêté à 150/100 000 habitants (le pic peut survenir tardivement en hiver, et il n’est pas rare qu’il se produise en février ou en mars, dans l’hémisphère Nord). Exception faite en cette année 2020 : aucun cas grave de grippe n’a été signalé.

SRAS et paillettes

A qui a-t-on affaire ? Serait-on pris de cours ?

Depuis plus d’un an, c’est la fête. Une épidémie touche le monde entier, sans grande distinction entre pays, pour simplifier. Début janvier 2020, la France apprend l’existence d’une maladie. Encore ?  Oui, cela sonne comme une nouvelle alerte des autorités sanitaires, qu’elles-mêmes ont bien des difficultés à prendre au sérieux. L’épisode est connu, a fait l’objet de nombreux montages et même de perquisitions.

Une maladie jaillit donc, aux caractéristiques originales. L’OMS insistera sur la nécessité de procéder à des dépistages massifs et ultra-rapides, avec traçage et isolement immédiat des contacts des personnes positives. L’insuffisance des mesures et la panique chiffrée obligeront Macron à décréter des confinements, des couvre-feux. Nous y reviendrons.

Cette maladie n’est pourtant pas si singulière. L’épidémie de SRAS de 2002-2003, qui a infecté plus de 8 000 individus de part le monde, en tuant 800 d’entre elles, a été causée également par un coronavirus, tout comme l’épidémie de MERS qui a commencé dans la péninsule arabique en 2012 et persiste toujours (2 500 personnes infectées et 850 décès en novembre 2020 ; taux de létalité de 34%).  L’origine zoonotique fait encore débat, mais les regards se tournent vers une grotte du Yunnan, province située à environ mille kilomètres au sud-ouest de Wuhan. Ce premier cas connu de « pneumonie atypique » sera identifié comme syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), bien avant les cas de novembre 2019.

Voilà le point de départ. Et on était bien avancés de connaître son petit nom et de découvrir sa petite gueule.

Contagiosité, période d’incubation, infectiosité et temps de génération auront complété sa fiche technique. Depuis, outre les symptômes définissant la maladie, des recherches ont montré que la Covid-19 peut affecter de nombreux organes, menant à la perte de goût et d’odorat (les fameuses agnosie et agueusie). Beaucoup d’interrogations demeurent sur des effets secondaires d’ordre psychiatrique (une personne sur huit qui contracte un coronavirus a également une première maladie psychiatrique ou neurologique dans les six mois, selon la recherche). Une autre étude apporte les preuves que le SARS-CoV-2 peut infecter les neurones (une équipe internationale montre que ce virus attaque aussi le système nerveux central). Migraines, problèmes de mémoire… sont adjointes à la liste.

Clairement à suivre. Les analyses cliniques doivent être confirmées et les statistiques affinées. En attendant, notre Assemblée nationale a voté à l’unanimité la reconnaissance des Covid longs, puisque certains symptômes persistent six mois après la maladie.

Il ressort de cette expérience en cours que les maladies infectieuses émergentes peuvent être une menace pour l’humanité. Leur apparition inévitable et imprévisible impactant directement la vie sociétale et économique mondiale. Mais des maladies autrement plus mortelles, telles la tuberculose multirésistante et fortement résistante aux médicaments, doivent permettre d’intensifier la recherche, car l’éradication d’une maladie infectieuse reste l’exception. Pour ne rien arranger, les micro-organismes pathogènes subissent des changements génétiques rapides, conduisant à de nouvelles propriétés phénotypiques s’adaptant à l’hôte et l’environnement : les virus grippaux en sont le meilleur exemple, comme vu ci-dessus, afin de maintenir une fuite immunitaire continue.

Mais alors, comment une épidémie s’éteint-elle d’elle-même parfois ? Il faut l’avouer, taire l’espoir qui pouvait résider : nous ne le savons pas. Certains virus stoppent leur phase épidémique (mais il circule toujours de manière faible, en des foyers endémiques), parfois mais rarement disparaissent. La coordination entre les mesures nationales et leur simultanéité, le développement incessant de nouveaux vaccins (contre la grippe saisonnière contenant de nouveaux antigènes par exemple) n’y suffisent malheureusement pas. Nous ne savons pas quels facteurs déterminent la durée d’une pandémie/épidémie. ll semble qu’un virus finit par s’atténuer et cesse d’être un virus mortel pour l’humanité, et trouve d’autres hôtes. Mais les scientifiques ignorent encore comment et pourquoi cela se produit. La complexité de cette écologie mérite que les chercheurs s’y attardent. Malheureusement, la Recherche est en déshérence budgétaire en France depuis de nombreuses années et mise sous tutelle par le marché.

En attendant, il faut procéder à des stratégies prophylactiques efficaces et rapides pour endiguer toute épidémie en cours, celle-ci comprise. Dès le 30 janvier, l’OMS a décrété en ce sens la Covid-19 « urgence de santé publique de portée internationale », impliquant que les gouvernements élaborent des plans nationaux de préparation. Mais nul besoin des conseils de l’OMS, la France avait déjà paré à toute éventualité. De quoi maîtriser toute situation à venir, fusse-t-elle inconnue : le secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale avait pondu un vademecum depuis quelques années sur les conduites à tenir.

(source : SGDSN)

Repérer une ‘pandémie’, anticiper les stades épidémiques, organiser les services, mettre en place des actions, freiner l’introduction du virus sur le territoire, sa propagation s’il est entré et persistant… C’est un peu comme un plan particulier d’intervention en matière de catastrophe nucléaire : la France maîtrise !

Avec d’autant plus d’aisance que notre Etat est saturé de compétences et d’organisations, d’instances dotées de textes réglementaires conçus pour répondre aux situations de crise. La gouvernance française est un fin maillage politico-administratif complexe mais d’une efficacité redoutable. Cela va du ministère de la Santé au Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), en passant par l’Agence Nationale de Santé Publique (ANSP), la Haute Autorité de Santé (HAS), l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM), l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), Santé Publique France (SPF), les ARS… Mais manifestement, cela n’y suffisait finalement pas. Il fallait pouvoir fournir encore plus de conseils au Centre de crise sanitaire de la DGS (CCS), à la Cellule interministérielle de crise (CIC) et à l’Elysée. Y ont alors été adjoints un Conseil scientifique (CSCOVID), un Comité analyse, recherche et expertise (CARE), le comité scientifique vaccins Covid-19… Les nommés y sont présents pour beaucoup dans plusieurs en même temps, leurs rôles y sont multipliés et mélangés, sur fond d’amitié professionnelle exercée dans les structures officielles pré-existantes. Les influences supposées notoires avec les laboratoires pharmaceutiques n’arrangent rien au niveau de suspicion.

A ce titre, sans présupposer de son intégrité et de sa morale, on pourra s’étonner que l’influent Dr Yazdanpanah, acteur multicartes dans ces instances et dans divers groupes nationaux (CSCOVID, REACTing…) et internationaux (Discovery, Recovery, GloPID-R…) ait une mémoire aussi défaillante quand il s’agit de détailler les rémunérations qu’il obtient de laboratoires (Gilead…) pour des études toujours en cours. Voici ce qu’on trouve à son propos, sur le site du Ministère de la Santé : « Je ne sais pas » !

De toutes ces données éparses et décuplées fournies par les administrations centrales et groupes fraîchement créés, en ont été tirés des résultats si efficaces, transparents et lisibles que c’est finalement une simple équipe bénévole qui deviendra la référence nationale du suivi de le crise épidémique pour tous les Français et les médias. Cherchez l’erreur.

Tester, tracer et isoler

Et bien « Tester, tracer, isoler », tout simplement. Et non, pas si simple.

C’est le triptyque gouvernemental depuis le début. Leur mantra. Généraliser les tests pour identifier les porteurs, mettre en quarantaine les infectés et les gens avant qu’ils n’aient interagi et imposer la distanciation physique (à différencier de la distanciation sociale ; lapsus révélateur ?).

Le dépistage devait être l’arme centrale. Les résultats ne semblent pas à la hauteur des attentes. Pour cela, il aurait fallu mettre en place toute une série de mesures, organiser les troupes et agir rapidement et massivement. Rien n’a été moins vrai et rien ne semble s’améliorer. La stratégie de tests était attendue comme essentielle. Elle devait permettre une visibilité efficiente et une lisibilité des mesures à prendre. Elle n’aura jamais fonctionné. Pourtant, les arbitrages décisionnels en étaient directement dépendants : le nombre de cas positifs quotidiens ne devait être supérieur à 5000. Une politique des chiffres aussi légitime qu’un taux de déficit.

Plus globalement, c’est la mise en pratique de la stratégie du « tester-tracer-isoler » qui aura failli, plus que la théorie elle-même, validée par l’OMS. Faillite logistique. Organisationnelle. Cette tête exécutive penchée sur les tableaux, les chiffres agglomérés, les statistiques et les histogrammes slidés, même fournis par CovidTracker ou d’autres, ne pouvaient se préserver de nombreux biais d’interprétation. Cela aura participé à faire croître la défiance. Nous y reviendrons en détails plus bas.

Suivi du Covid en France (source : Arcgis)

Au mal masqué

La politique du masque partout, sans pertinence. L’autocontamination induite par sa mauvaise utilisation.

Faute de tester et d’isoler, de protéger les personnes à risque, il a fallu pallier. Notamment par le port du masque en toute circonstance, familiale conseillée comprise. Passée la relecture a posteriori des promulgations contradictoires, toujours facile quand il s’agit de rire gratuitement (mais tellement tartante !), il ressort in fine tout de même que l’épisode des masques aura été une belle séquence scandaleuse de cette crise sanitaire, qui semble perdurer d’ailleurs. Ce fiasco a été largement documenté, une commission d’enquête révélant les pressions que Jérôme Salomon, ci-devant directeur de la DGS et pourtant formé à la veille sanitaire, aura exercé sur SPF pour ne pas reconstituer le stock stratégique de masques. Si bien que le discours sur l’usage des masques aura été dépendant de la taille du stock disponible.

Les stocks mondiaux d’équipements de protection individuels (les EPI que sont les masques entre autres) se sont retrouvés épuisés, la demande mondiale étant à un niveau cent fois supérieur à la normale. Dans ce contexte commercial tendu, les autorités françaises sont mises à l’index de leur vision comptable des stocks gérés par l’établissement dédié à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Eprus) et dont la reconstitution s’avérait impossible. Sauf à remobiliser la production française réduite jusqu’alors à son niveau le plus faible, faute de commandes des gouvernements. Mais le vœu formulé par Macron d’obtenir une indépendance pleine et entière en matière de production de masque se heurtera à la réalité politique : plusieurs entreprises françaises, dont Macopharma, exporteront leur production ou arrêteront leurs lignes de confection faute de commandes de l’État. La France continue à s’approvisionner à l’étranger (surtout en Chine). En 2020, La France aura importé pour 5,3 milliards d’euros de masques chinois (parmi les 10,3 milliards d’importations en masques, tests, réactifs, blouses, etc. presque exclusivement de Chine).

Une fois distribués, les masques n’auront pas toujours satisfait aux standards normatifs. Cela était le cas de la fourniture aux professeurs et salariés par le ministère de l’éducation nationale, les masques en tissu ayant été traités à la zéolithe d’argent, un biocide considéré comme toxique pour la santé humaine et l’environnement. Ce qui aura inquiété jusqu’à l’ANSES, les masques finissant déconseillés puis retirés.

Cela n’arrangeait rien au sentiment de défiance qui se pérennisait depuis qu’obligation était faite de porter le masque en extérieur. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pourtant écrit dans son rapport du 5 juin 2020 : « à l’heure actuelle, on ne dispose pas encore de données factuelles directes de qualité attestant l’efficacité du port généralisé du masque par les personnes en bonne santé dans la communauté et il faut procéder à un bilan des avantages et des inconvénients à cet égard ». Son dernier rapport du 1er décembre 2020 n’en soulignait pas moins le fait qu’à l’extérieur, le port du masque est recommandé uniquement lorsqu’une distanciation physique d’un mètre ne peut être respectée, et en particulier pour les personnes fragiles de plus de 60 ans. En conclusion, l’OMS précisait qu’aucune étude scientifique ne prouve l’efficacité du masque à l’extérieur. Le lavage régulier des mains et la distanciation physique d’un mètre restaient les mesures les plus efficaces. C’est bien simple : aucune contamination en milieu extérieur n’a jamais été référencée et aucun foyer (cluster) déclaré.

Outre que le masque ne protègerait pas de la grippe saisonnière selon Véran lui-même, en pratique, le HCSP ne recommandait que le port du masque anti-projections chirurgical par les sujets malades, à l’instar des pratiques ayant cours dans les pays asiatiques, ainsi que pour les sujets fragiles souffrant de pathologies respiratoires. Et que les sept essais menés pendant les épisodes de grippe saisonnière antérieurs, plus haut niveau de preuve atteignable pour l’évaluation, ne mettent pas en évidence une efficacité des masques respiratoires en population générale.

Mais l’obligation portait plus loin l’effet contre-productif. La météorologie ne joue en effet pas en faveur du potentiel électrostatique des mailles des masques : lors de fortes chaleurs (transpiration), lorsqu’il pleut, vente, ou lorsque le froid induit une condensation interne du masque par la respiration, la charge électrostatique du filtre disparaît, rendant obsolète la fonction de filtration des gouttelettes aéroportées. Les masques médicaux et en tissus ne sont tout simplement pas conçus pour une utilisation extérieure et longue. Au contraire, le port d’un masque, recommandé à l’échelle communautaire et en milieu clos, peut contribuer au contrôle de la diffusion du virus en réduisant la quantité d’émission de salive infectée et de gouttelettes respiratoires provenant d’individus atteints de la Covid-19 (malade subclinique ou léger).

Outre les aspects de moindre efficacité électrostatique, le plus important problème  est son utilisation inefficiente. Sans doute une étude postérieure sera-t-elle intéressante à mener sur le mode de contamination qui sera passé de ‘aéroportée’ à ‘manuportée’. C’est un fait infectiologique d’importance : l’autocontamination est devenue la principale source de contamination individuelle, faute d’une manipulation du masque adéquate et rigoureuse. Les virus passant alors allègrement du masque aux mains fraîchement contaminées. Chacun aura fait largement observation voire expérience personnelle des masques portés jusqu’à la souillure, abaissés sur le menton comme on remonte une visière de casque, réservés sur le poignet ou le coude le temps d’un jogging, rangés dans sa poche entre deux utilisations, manipulés constamment par des doigts qui toucheraient ensuite les yeux, la bouche ou le nez, pour ne pas parler des masques non pincés autour du nez, baillant sur les côtés et favorisant les circulations d’air non filtré… Loin des gestes techniques scrupuleux.

Ce risque accru pour la population générale a été largement avancé par l’OMS dès le début de l’usage élargi et sera confirmé par des études randomisées : « l’autocontamination potentielle due à un masque humide [diminuant son potentiel électrostatique pour filtrer une gouttelette], sale ou endommagé, qui n’est pas remplacé est causée par la fausse impression de sécurité pouvant conduire à un respect moins scrupuleux des mesures préventives qui ont fait leurs preuves comme la distanciation physique et l’hygiène des mains ». Lors de l’épidémie de SRAS, à Hong Kong, des études ont montré que la transmission était majoritairement due aux personnes qui avaient enlevé leurs masques de façon inadéquate, leurs mains ayant été contaminées par l’extérieur du masque, puis elles s’étaient frotté le nez. Oui, il faut être formé à la manipulation correcte des masques, sinon il faut craindre que la prolifération des micro-organismes puisse opérer à loisir.

Enfin, la barrière hypothétique que représentait le tissu, sans distinction et vérification possibles du grammage qui en assure pourtant un paramètre filtrant, du tissage de chacune des confections personnelles, cette barrière aura été annulée faute de l’assurance de son efficacité. Loin de la simple utilité psychologique d’en voir arborés sur le nez d’autrui, les masques ‘faits maison’ seront devenus interdits, ce qui en dit long sur la mesure barrière qu’ils étaient censés être (bon courage en passant aux gardiens de la paix qui vont devoir différencier tout cela dans la rue pour faire valoir la flagrance du délit…). Sommes-nous si épargnés des mesures dysfonctionnelles et des produits frelatés  (73% des gels hydroalcooliques étaient non conformes selon la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes) ?

Au regard de tous ces paramètres défaillants, l’autocontamination des civils n’est surtout pas à sous-estimer selon un virologue de l’hôpital Cochin et un infectiologue.

En dehors de la population civile, les soignants ont leurs propres problèmes. Non pas d’ordre manipulatoire, ils sont rodés à l’exercice, mais qualitatif. Si les masques FFP2 réservés normalement aux soignants, plus limités dans le temps, entraînent des stocks conséquents, leur équivalent chinois (KN95), sans norme CE, n’aura pas résisté à la rigueur belge et luxembourgeoise (des centaines de milliers d’unités auront été rappelés car pas suffisamment hermétiques) sans que la SPF ne s’en émeuve de ce côté-ci des frontières. Plusieurs directions hospitalières auront décidé unilatéralement d’en suspendre l’utilisation devant l’apparition croissante de clusters dans les établissements de santé.

Cas d’Ecole

L’Ecole serait un sanctuaire protégeant du virus. Il faut y travailler pour en juger la réalité.

Parmi les désaccords analytiques de cette crise, celui de la prospection des clusters et de leur gestion n’est pas anodin. Pour en diminuer leur hypothétique apparition erratique, rassemblements en places publiques ou en universités ont été plus ou moins interdits car considérés comme de véritables foyers infectieux, tandis que écoles maternelles, collèges, lycées, transports en commun et supermarchés sont supposés sécurisés.

Selon le ministère de l’éducation nationale (MEN), l’Ecole ne serait pas une zone de contamination. C’est net. Net de virus. Mieux, au regard des statistiques, le taux de positivité de 0.3% signifierait même que les enfants sont protégés d’aller étudier plutôt que de rester dehors ou en famille. Mais ce taux est déduit des tests massifs antigéniques pratiqués par les services du MEN, strictement, et ne sont pas recoupés avec les statistiques des tests pratiqués par les parents après la survenue des symptômes ou à la suite d’un cas contact. Le scandale couve.

(source : FranceInfo)

Le témoignage d’un(e) professeur(e) dans un lycée privé de l’Est parisien :

Je confirme que les parents ne sont invités à tester leur enfant qu’en cas de symptôme apparent. Mais cela est bien vague. La goutte-au-nez y suffit-elle ? Une toux légère ? Scrupuleusement, oui serait-on tenté de dire. Mais il est bien illusoire d’envoyer un élève à l’infirmerie, et cela est rarement effectué. On est presque toujours certain de le voir revenir aussitôt. Autant dire que les filtres administratifs jouent en défaveur du principe de précaution. Encore que nous sommes supposés avoir de la chance, travaillant dans un lycée privé une infirmière est présente quotidiennement. En fait, nous enchaînons les protocoles depuis plusieurs mois, sans qu’il soit véritablement possible de les mettre en place dans les conditions de classes entières, soit 35 élèves sur 50 mètres carrés toute la journée. Mais comme il s’agit d’adapter ledit protocole aux réalités du terrain…  « Dans la mesure du possible ». C’est écrit noir sur blanc. Il n’y a pas terme plus flou et malléable pour éviter à la direction des contraintes intenables et aux professeurs de se rebeller des conditions de travail non respectées. Il n’y a ni autotest, ni information claire aux familles, ni consignes d’aération cohérentes…

Le secteur scolaire n’est tout simplement pas sécurisé. Et tout le monde regarde ailleurs et s’étonne des chiffres le soir en allumant sa télévision. Au moins, les parents pourraient s’en douter, puisque c’est à eux que revient la gestion de leur enfant. Mais chacun ferme les yeux devant ses propres contraintes et difficultés, car il faut aller travailler ou assurer sa disponibilité en télétravail. Nous sommes une des dernières roues du carrosse, pas la seule, j’ai bien conscience que d’autres métiers sont exposés. Le MEN a pris les devants et signifié que tout droit de retrait était irrecevable. Comme si c’était à l’employeur de décider de cette décision individuelle, salariale et subjective. Mais cela a suffisamment coupé l’herbe sous le pied pour éviter la bronca.

En attendant, face aux élèves chaque jour, il faut bien admettre que c’est usant physiquement et nerveusement. Entre les masques à peine mis, les collègues qui ne respectent pas son port, les matériels à usage collectif… il n’est pas difficile d’imaginer que la contamination est plus étendue qu’officiellement admis.

Pour Blanquer, la gestion est optimale. On se demande encore comment ce que nous vivons sur site n’est pas visible sur les radars.

La situation a flambé dans notre établissement, la dernière semaine avant le 13 février. Malgré le protocole qui oblige à fermer les classes dès que trois cas sont révélés positifs sur sept jours glissés, rien n’est obligatoirement fait. Pas plus que l’obligation alors de tester tous les élèves de la classe concernée et les professeurs qui y interviennent pour stopper toute dissémination. Tout est à géométrie variable. En tant que professeurs, nous venons chaque matin sans qu’il nous soit possible de savoir qui est positif, pourquoi 15 élèves manquent ce jour dans une classe de 34… On se demande même si quelqu’un en tient les comptes avec rigueur. Centralise quoi que ce soit. Nous souffrons du manque d’information, certains ressentaient un stress de voir se multiplier les classes réduites de moitié, et c’était pas pour créer des classes hybrides ! Le sujet majeur d’inquiétude est bien le traçage des cas porteurs du virus et des cas contacts.

Devant cette situation anxiogène, nous avons téléphoné au rectorat, à la cellule dédiée à cette crise : la personne découvrait qu’elle était référente et ignorait les détails des protocoles. Nous avons alors joint dans la foulée l’assurance maladie qui ignorait les liens existants professionnellement entre plusieurs professeurs positifs d’une même matière, empêchant de signifier un cluster clairement identifié ! Quant à notre coup de fil à l’ARS Ile-de-France, il nous a été refusé de connaître le nombre de cas positifs déclarés par notre établissement, si bien que nous étions dans l’impossibilité de vérifier que toutes les informations en notre possession leur avaient bien été remontées par la direction. En fait, seule la direction est habilitée à cela. Aucun garde-fou. Inutile de vous dire qu’il n’était pas plus envisageable de connaître les paramètres officiels retenus pour fermer un niveau, un site, ou un établissement entier. Tout est fait sans transparence, sans vérification, aucun compte-rendu n’est transmis aux salariés.

Dans le même ordre d’idées, nos collègues d’un autre établissement privé se sont vus refuser par la cellule Covid d’être considérés comme cas contacts à risque après la fermeture officielle d’une classe pour 3 cas positifs parmi les élèves, en totale contradiction avec les protocoles du MEN ! Il faut aussi préciser que le retour des élèves après la période de sept jours d’isolement n’est conditionné à aucun test antigénique ou PCR.

Je le redis : nous sommes laissés pour compte au sein de nos classes et le MEN ferme les yeux sur la réalité des chiffres pendant que les directions minimisent les cas par des subterfuges plus ou moins conscients. Il s’agit pour chacun de ne faire aucune vague, à nos dépens.

Un témoignage représentatif de cette situation dans les établissements scolaires de la région Ile-de-France, parmi plusieurs et confirmé par des syndicats. Cette gestion élastique au cas par cas, par les directions, rectorats et ARS ne correspond pas aux principes protocolaires édictés.

L’établissement dans lequel travaille ce(tte) professeur(e) avait dû se résoudre à fermer son lycée le vendredi 12 février 2021, veille des vacances, sans en informer les autorités compétentes. Il est acquis que les statistiques sont sous-évaluées : 1599 classes avaient été fermées officiellement ce même jour, contre 934 la semaine précédente en France (444 au 29 janvier 2021) et alors qu’une zone était déjà en congés. Une flambée.

(source : MEN)

Les chiffres officiels soulignent une hausse de près de 30 % des cas chez les élèves, de près de 40 % chez les adultes sur cette dernière semaine par rapport à la semaine antérieure. Ce qui est en-deçà de la réalité. Si nous reprenons l’exemple de notre établissement, les seuls 18 cas confirmés positifs et connus parmi les professeurs représenteraient donc 1,3% des personnels alors que l’établissement ne représente rien en pourcentage sur les 46 527 établissements publics et privés sous contrat que compte le pays. Avec les autres exemples accumulés, nous pouvons confirmer que les chiffres sont très sous-estimés. Il y a assurément un gros problème de suivi et de référencement des cas en milieu scolaire.

L’absence de traçage dans les écoles n’est pas le fait d’une absence de moyens, mais bien d’une décision politique. L’école n’est « pas un lieu de contamination » et il convient de garder cette certitude pour acquise dans les médias. Entre tester et isoler les personnels et assurer la continuité de service, les autorités locales de l’éducation nationale, qui jouent un double rôle, semblent avoir donné priorité. Les règles de cas contacts au sein de l’Éducation nationale ne sont manifestement pas les mêmes que dans le reste de la société.

Tout cela est évidemment contre-productif. Pour le suivi épidémiologique de cette crise d’abord. Pour la pertinence des moyens avancés et mesures affichées ensuite. Pour la crédibilité des autorités et leur devoir de résultat à assurer la sécurité sanitaire de tous enfin. Le virus n’est-il pas jugé officiellement mortel et pathogène ? N’est-ce pas paradoxal ? Le virus est-il si mortel qu’il faille être rigoureux ou un certain dilettantisme est-il admis par son taux de mortalité peu élevé ?

Autant dire que les incessants changements dans les protocoles ne portent pas favorablement la confiance à son meilleur niveau. Le variant anglais, plus contagieux, n’entraînerait finalement plus de fermeture automatique de classe. Sans doute sa répartition trop large fait-elle courir le risque de fermetures en trop grand nombre. De toute façon, guère d’inquiétude : le temps de procéder à un test complémentaire PCR de séquençage pour révéler la présence d’un variant décale d’autant, plusieurs jours, toute mesure de précaution.

Qui se fout de la charité ?

Les hôpitaux étaient censés avoir été administrés au mieux. Notre système de soins être à la pointe. Ou pas.

Dès le début de la pandémie, l’accent était mis sur la gestion et la hiérarchisation des patients dans des conditions de grande incertitude quant à savoir par exemple qui était le plus à risque et quels traitements pourraient potentiellement éviter une Covid-19 sévère. Cependant, il est également devenu évident que des retards de traitement, en particulier pour la chirurgie du cancer, se produisaient lorsque le personnel était redéployé. Une étude parue dans le British Medical Journal a démontré qu’un délai dans le traitement des cancers entraînait toutes les quatre semaines de retard une augmentation du risque de mortalité de 6 à 8 % pour les patients en attente d’une opération et de 9 à 13 % pour ceux en attente de traitement en radiothérapie. Par ailleurs, une étude sur le retard des dépistages menée par une équipe de l’hôpital Gustave Roussy annonce une surmortalité des cancers entre 2 et 5 % d’ici 5 ans, soit 4 000 à 8 000 morts additionnels. La photographie instantanée de l’état détérioré de notre système de soin et des conséquences qu’il entraîne sur les malades et patients laisse circonspect.

Témoignage d’un réanimateur du centre hospitalier Georges Pompidou (Paris):

Ne parlons pas de notre fatigue physique et psychologique. Elle va se poursuivre. Il faut bien que chacun comprenne que la France n’a aucune volonté à moyen et long terme de rattraper son retard. Notre pays compte 7 lits de réa pour 100 000 habitants quand l’Allemagne en a 24. C’est d’ailleurs confirmé officiellement : il ne s’agit en aucun cas de ‘redimensionner’ les services de réanimation en fonction d’une crise exceptionnelle. Pourtant, avoir plus de lits, c’est comme une assurance contractée dans l’éventualité de la survenue d’un incident futur : sans doute n’y aura-t-il jamais d’incendie dans votre maison, mais est-ce pour autant que vous faites l’économie d’une clause contractuelle vous protégeant financièrement d’un tel accident ?

Donc on reste avec nos presque 5 100 lits, complétés par ceux d’autres services grâce à la déprogrammation d’opérations, nous formons en quelques jours des infirmières à la manipulation des ventilateurs. Autant dire que les 10 500 places médiatisées au pire du premier pic épidémique du printemps dernier, les 12 000 promises par Véran en juin 2020, ne correspondent pas à grand-chose. Pendant ce temps, des lits étaient fermés faute de personnels avant l’épidémie, d’autres suivront par manque de remplacement, car seuls 70 postes d’internes sont proposés chaque année. Tout cela est bien insuffisant actuellement, et tous les lits surnuméraires ne sont là que pour la période de la crise sanitaire. Pourtant, nous le savons également : ce type de lits non durables, improvisés favorise la surmortalité.

Il est clair que la cohérence ne saute pas aux yeux. Le ministre de la santé a avalisé par exemple le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui prévoit 4 milliards d’euros d’économie pour l’année 2021. Ce qui est dans la droite ligne des politiques publiques menées depuis plus de dix ans par les différents gouvernements successifs : la fermeture des lits est un dogme (100 000 en vingt ans en tous services confondus selon la Drees). Le monde hospitalier doit répondre au canon de l’accélération des flux.

Choisir un bon respirateur, c’est un métier (source : Evaluation ventilateurs)

Si bien que les hôpitaux et les services dédiés ultimes ont toujours ces dernières années été saturés. En janvier 2017, la politique ambulatoire était déjà critiquée car elle avait conduit à une réduction du nombre de lits disponibles à l’hôpital. La ministre de la santé de l’époque anticipait même un désastre grippal à venir : « le bilan de la grippe cette année sera probablement lourd. […] Le nombre de personnes qui se présentent aux urgences pour une grippe et qui doivent ensuite être hospitalisées est particulièrement important, pour les plus de 65 ans c’est une personne sur deux, et pour les plus de 75 ans, c’est 80 %. […] L’enjeu des jours qui viennent est de garantir qu’il y aura des lits d’hospitalisation disponibles pour accueillir ceux qui doivent l’être, c’est pourquoi j’ai demandé à tous les hôpitaux de regarder s’ils peuvent déprogrammer des opérations ou des soins médicaux ». Une situation sanitaire si sérieuse qu’elle avait provoqué l’organisation d’une réunion à l’Elysée. L’accélération du phénomène de saturation des hôpitaux ne pouvait se résorber.

Témoignage d’un autre réanimateur :

Avec nos 11 ans de formation, nous savons réagir au sein de nos services. Mais cette urgence pourrait être plus diluée. Car hors période épidémique, le secteur de la réanimation est déjà déprimé, le taux d’occupation des lits étant de l’ordre de 85% à 90%. La moindre petite hausse épidémique qui engendre de 10 à 15% d’augmentation sur notre capacité nous met sous pression sanitaire. Rien que de plus naturel pour nous autres réanimateurs que de faire des choix tout le temps, car les hôpitaux sont en tension comme toujours en période grippale depuis vingt ans. D’ailleurs, des centaines de personnes décèdent chaque jour de toutes causes, du cancer à l’infarctus en passant par des infections… Comme tous les ans au cœur de l’hiver. Doit-on en tenir chiffrages également ? Bref, le taux d’occupation des réanimations est constamment haut.

Selon la T2A (tarification à l’activité, ndlr), réforme mise en place par Castex en 2004, il nous faut constamment doser les patients pour être toujours en activité, être toujours à la limite de la jauge, toujours prendre des patients. Cette stratégie n’est pas du tout adaptée à encaisser des chocs extérieurs tels que nous en connaissons justement depuis un an. C’est une incapacité criante du système à être plastique, à répondre de façon flexible aux flux entrants et sortants. Donc nous trions, depuis longtemps maintenant, bien avant la Covid : entre des personnes de 80 ans, grabataires, souffrant de polypathologies… Et l’on fait mine de découvrir que les services de réanimation puissent être pleins et que les ventilateurs viennent à manquer.

Mais il faut relativiser dans le même temps : actuellement, compte tenu de nos compétences en la matière, qui vont en s’améliorant, le taux de létalité est bénin en réanimation, de l’ordre de 10 à 15% selon les sites, moins que beaucoup d’autres maladies plus mortelles (Ebola par exemple, ndlr). Nous n’intubons plus par défaut par exemple, en ce que cette pratique peut augmenter les risques iatrogéniques. En tout cas, la décision hiérarchique de sanctuariser des lits Covid n’est pas pertinente, car d’autres maladies s’aggravent.

Chaque année, en fin d’automne, les hôpitaux sont débordés par différentes pathologies respiratoires. Nous pouvons nous interroger sur les 200 milliards d’euros dépensés en quelques mois après avoir économisé annuellement quelques milliards depuis des dizaines d’années à force de restrictions et de coupes budgétaires. Est-ce si rentable d’un point de vue comptable ?

En attendant qu’une solution durable soit trouvée pour les futures épidémies, les yeux restent rivés sur un paramètre parmi quelques-uns fixés comme essentiels : le taux d’occupation des lits en réanimation occupés par des patients Covid. Il est calculé selon le nombre de personnes atteintes de la Covid-19 placées en réanimation selon Santé publique France (SPF) et le nombre de places disponibles dans les services de réanimation selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), qui dépend du ministère de la santé. Mais SPF compte les patients en service de réanimation et ceux qui le sont « en unités de soins intensifs (7 200 lits de soins intensifs mais sans appareil de ventilation artificielle) et en unité de surveillance continue ». Tandis que la Drees dénombre les places dans les services de réanimation au sens strict. « Rapporter le nombre total de cas graves à l’hôpital aux seuls lits de réanimation est donc approximatif, puisque tous les patients concernés n’occupent pas, précisément, un lit de réanimation ». Enfin, il conviendrait de prendre en compte l’évolution des admissions à l’hôpital et en réanimation selon les délais d’incubation (cinq à sept jours) puis d’aggravation de la maladie (sept à dix jours).

L’épidémie aura révélé entre autres les défaillances du système hospitalier, les déserts médicaux, la fragilité du système sanitaire désarmé devenu une entité de flux plutôt que de stocks

Des chiffres, des chiffres, encore des chiffres

Dans le maquis des données, quelques chiffres qui éclairent la situation.

Nous en sommes noyés. Nous souffrons de quantophrénésie, d’une boulimie insatiable, à fort appétit de chiffres, de statistiques, d’évaluations et projections mathématiques, ces chiffres fussent-ils morbides. Pourtant, ils devraient être les arguments les plus pertinents pour juger d’une épidémie. Malheureusement, ils sont pléthoriques, sélectionnés selon des arbitrages critiquables et décryptés de façon biaisée. Le rôle et l’influence des médias dans cet état de fait sont prégnants. Va-t-on installer définitivement dans nos pratiques journalières le dénombrement de nos concitoyens atteints par tel ou tel virus ? Au même titre qu’un vulgaire bulletin météo, chiffres et pourcentages des morts prématurées dues à la pollution atmosphérique s’afficheront-ils désormais sur nos téléphones ?

En tant qu’épidémiologiste, je m’étonne chaque jour de tant de chiffres, d’indicateurs, de notions scientifiques, qui parfois sont d’une grande complexité même pour nous. Ils sont livrés à une population désemparée par une telle profusion, ulcérée par tant de confusion

C’est qu’à force d’entendre parler d’intervalle de série, de prévalence, de période de latence, de période d’incubation, de taux d’incidence, de temps de génération, de taux d’attaque… à longueur de journée, on en viendrait à se penser capable de maîtriser le modèle structurel épidémiologique, avec son R0 et son immunité collective… Mais cette formation accélérée nous fait faussement épidémiologistes en herbe, et loin de la pertinence du Ro que l’on souhaite voir caler à moins de 1 (rappelons qu’il est de 15 à 20 pour la rougeole, de 3,5 à 4,5 pour la variole), il faut comprendre et admettre qu’il n’y a pas que ce paramètre dans la vie.

Devant la considération exacerbée donnée à tous ces chiffres, il nous faut en mettre au moins quelques-uns en perspective. Faire le point une fois pour toutes. Car il y a loin entre les comparaisons relative et absolue.

(source : SPF)

Que retenir de ce tableau qui ne soit clairement indiqué ? Que le taux de mortalité de la Covid-19 est de 0.01 %. En France, exclusivement. Je vous laisse digérer ce chiffre brutalement calculé.

Le taux de létalité est, lui, au pire de 2%. Mais le nombre de cas positifs est sous-estimés, toutes les personnes positives n’étant testées simultanément. Et comme on ne teste que les personnes qui se présentent, on oublie de tester les personnes symptomatiques qui ne le désirent pas, et les asymptomatiques qui n’ont pas été identifiés, qu’elles soient cas contacts ou pas. Selon l’Inserm, on n’identifierait pas entre la moitié et les deux tiers des personnes réellement contaminées. Ce taux de morbidité est vraisemblablement moindre de 2 à 5 fois selon les études : le taux de létalité se situe plutôt entre 0,4 et 1%.

Dans le monde le taux de mortalité est de l’ordre de 0.03% (la population humaine retenue est de 7 794 799 000) et le taux de létalité de 2% (entendu que les chiffres officiels sont sous-estimés également largement, toute la population ne pouvant être testée à un moment donné simultanément). Il faut comprendre que la comparaison scientifique des taux de morbidité entre pays est impossible car il est directement lié à l’efficacité des administrations et la centralisation des décomptes, aux systèmes de soin, aux tests utilisés qui divergent d’un pays à l’autre pour dépister les cas Covid, et bien d’autres choses encore difficilement identifiables. Autant de paramètres divers qui empêchent les conclusions probantes : il en est ainsi dans tout protocole scientifique qu’il ne faille faire varier qu’un seul facteur pour en déduire son influence.

Si bien que seul le taux de mortalité est d’importance pour juger de la dangerosité d’une maladie. Le taux de létalité se contentant parfois d’être corrélé et dépendant d’une politique de santé publique. Citons l’exemplaire épidémie d’Ebola, qui a vu son taux de létalité atteindre 100% en Ouganda. Oui, car 1 mort étant à déplorer parmi 1 contaminé… Voilà qui fait varier considérablement les taux de morbidité d’un pays à l’autre.

Il n’y a donc aucune pertinence à suivre le décompte quotidien des décès. Son effet psychologique est par contre dévastateur. Cette valeur cumulée est la moins efficace mais la plus dramatique émotionnellement. Il faut comprendre cet écart entre les perceptions et la réalité des chiffres. Qu’est-ce donc au demeurant que ce chiffre de 82 000 décès ? Aussi vertigineux que la somme injectée par la BCE sans qu’il soit possible d’en palper sa densité ? Poursuivons alors dans l’échelle des valeurs. La population française en 2020 est de 66 524 000 habitants. Le nombre de morts total en France par année est d’environ 600 000 par an (612 000 en 2019, toutes causes confondues) soit 9,1 pour 1 000 habitants, soit encore un taux de mortalité de 0,91%. Un tiers de ces décès sont causés par des cancers et un quart par des maladies cardio-vasculaires, les viroses respiratoires sont responsables de 8 % des décès (44 000 décès pour viroses respiratoires aiguës)… Les accidents de la vie courante (hors route) conduisent à 21 000 décès, cependant que plusieurs millions de nos concitoyens ont recours aux urgences. Vertigineux, non ? Et avec quelle opportunité de compréhension ? Guère.

Le taux de mortalité est donc primordial à tenir comme base de comparaison. Sans cynisme aucun, ce taux est relativement bon, plus élevé que pour la plupart des souches de grippe saisonnière (H3N4 de l’hiver 2016-2017 comprise), cela n’est pas contesté. Mais mieux que celui du SRAS. Une étude de l’Inserm et du CHU de Dijon s’appuyant sur les données nationales françaises de près de 130 000 patients hospitalisés pour Covid-19 montre que le taux de mortalité parmi les patients hospitalisés pour Covid est trois fois plus élevé que celui de la grippe saisonnière (comparaison relative et non absolue). Voilà le type de recul qu’il faut vaille que vaille s’imposer dans ce genre de situation sanitaire. Sans occulter les complications cliniques, les réanimations plus importantes qu’en tant de grippe saisonnière, etc. Tout cela allant de normale corrélation.

Mais peu de ce recul aura été entrepris pour contrebalancer les données quotidiennement transmises sur tous nos canaux de communication. C’est bien simple : des paramètres inédits ont été utilisés, jamais usités dans aucun suivi épidémique. Parmi iceux par exemple, celui des tests révélés positifs. Ce dernier paramètre ne repose pas sur des réalités cliniques mais sur des tests pratiqués de façon fort diverse : de ce nombre est calculé le taux d’incidence (nombre de tests positifs pour 100.000 habitants, ce qui n’est pas du tout un nombre de malades). Et selon vous, que vaut-il mieux dans un département de 1 million d’habitants ? Faire 10 000 tests et trouver 500 cas positifs (taux de positivité de 0.05%), le taux d’incidence en résultant étant alors de 50 ? Ou pratiquer 20 000 tests (taux de positivité identique) mais avoir un taux d’incidence de 100 ? Compte-tenu de l’arbitrage préfectoral qui en découlera, pratiquer le moins de tests parait être d’un meilleur bénéfice pour les libertés individuelles. Voilà en quoi ce taux ne dit rien de la circulation active ou pas du virus, du nombre de contaminations réelles.

Heureusement, pour l’analyse, il est permis d’aller plus loin que notre tube cathodique puisque sont mis à notre disposition chaque semaine par Santé Publique France des points épidémiologiques.

(source : SPF)

Quelles données majeures nous révèle ce rapport hebdomadaire ?

  • 3 500 000 cas confirmés positifs au Sars-Cov-2 depuis janvier 2020, ce qui n’en fait pas tous des malades Covid-19 ni plus des hospitalisés, chiffres sous-évalués comme nous l’avons dit,
  • 51% des cas confirmés en cette semaine 06 présentaient des symptômes, mais seuls 13,5% des cas symptomatiques étaient positifs et 3,8% chez les asymptomatiques, donc une large majorité de personnes venant se faire tester souffre d’autres maladies avec un symptôme commun au moins à la Covid-19,
  • les tests de criblage des variants (britannique, sud-africain et brésilien) ne sont effectués pour le moment que sur 45% des cas confirmés,
  • le nombre moyen de contacts à risque répertoriés par cas confirmé était de 2 (2 !?), 45% ne rapportant aucun contact à risque, ce qui laisse bien présager d’un mauvais traçage des contaminations potentielles,
  • si l’âge moyen des cas positifs était de 42 ans, l’âge médian des patients admis en réanimation est de 68 ans, près de 90% présentant au moins une comorbidité (hypertension artérielle, obésité, diabète), il faut savoir que les critères de vulnérabilité aux formes graves de Covid-19, mis à jour le 31 aout 2020 par SPF incluent les cancers, le diabète, l’immunodépression, l’obésité, certaines maladies chroniques, l’âge, si bien qu’avoir 65 ans ou plus n’est plus considéré comme un facteur de vulnérabilité en dehors d’un diabète associé à une obésité ou complications micro ou macro-vasculaires,
  • à l’hôpital, 75% des décès Covid concernent les plus de 75 ans, l’âge médian étant de 74 ans et 94% des cas positifs décédés avaient 65 ans et plus,
  • au global, l’âge médian des décès est de 85 ans et 92,7% des personnes avaient plus de 65 ans, 2% seulement des décès ne présentaient aucune comorbidité (ou non renseignée) ; à ce stade, le problème peut résider dans la certification des causes de décès.

La courbe asymétrique de mortalité est une distribution unimodale à droite. Sa dispersion est faible (plus l’écart-type est élevé plus la distribution est grande, plus il est petit plus la distribution est resserrée autour de la moyenne). Si bien que moyenne et médiane sont proches, les décès concernant un pic réparti entre 70 et 85 ans. Ce virus a des conséquences graves, dans l’immense majorité des cas, sur des organismes déjà affaiblis, soit par l’âge très avancé, soit par des facteurs de comorbidité. Il en ressort que 0,5% des personnes malades sont hospitalisées, que 0,09% iront en réanimation (encore ces chiffres ne tiennent aucunement compte de l’âge et d’une quelconque comorbidité, si bien qu’à titre personnel, ces pourcentages pourraient établir une probabilité insignifiante pour vous).

Dit autrement, sans distinction des paramètres évoqués, la probabilité moyenne pour un individu lambda de ne pas être hospitalisé est de 99,5% et celle de ne pas être admis en réanimation est de 99,91%.

Voilà ce que l’on peut tenter de prendre en compte à notre niveau d’expertise. C’est pour les professionnels de la profession que les choses vont se compliquer mais devenir intéressantes à étudier dans les mois à venir.

Des études, des études, encore des études

A un moment, il faudra s’en remettre aux spécialistes. Mais l’analyse épidémiologique s’annonce difficile, tant tout est épars.

Rien n’est plus trompeur pour les profanes que nous sommes que des courbes comparatives. D’abord car elles tracent les mortalités toutes causes confondues, que rien ne permet d’y distinguer les décès générés par des maladies non soignées. Ensuite, car il faudrait pouvoir différencier entre les sujets classifiés comme personnes « décédées de la Covid » en réalité mortes d’une autre pathologie mais classifiées Covid car également porteuses du virus. Personne ne connait le vrai nombre de décès attribuables au Covid-19 (seul le nombre de personnes en réanimation ou hospitalisées est assez bien évalué, et la mortalité totale prenant en compte toutes les causes est connue).

(source : Inserm)

Des études récentes montrent que ce groupe pourrait constituer jusqu’à 30% des décès au Royaume Uni. Cette façon de compter de plus en plus comme « morts du Covid » des personnes en réalité atteintes avant tout d’autres maladies est probablement l’explication principale du fait que, comme cela est écrit en toutes lettres sur le site de l’INSEE : « depuis le 1ᵉʳ mai 2020, on ne constate plus en France d’excédent de mortalité par rapport à 2019 ».

Autant les autorités sanitaires ne s’interrogent pas sur la surmortalité à venir des autres grandes causes de décès (cancers, maladies cardio-vasculaires) dont la prise en charge est délaissée, autant l’observation de la surmortalité due à l’épidémie est de prime abord impressionnante par la visibilité directe qui lui est faussement donnée.

CovidTracker a ses limites (source : Covid Tracker)

Il faut d’abord admettre que le type de présentation peut changer une interprétation, à notre échelle d’amateurs.

La surmortalité pourra être jugée moindre si l’on tente d’interpréter celle-ci.

Ou encore nos conclusions seraient autres sur celles-là.

(source : Insee)

Toutes ces courbes sont pourtant justes. Le sujet est donc éminemment ardu, réservé aux spécialistes. C’est à ce stade que les pros de l’épidémiologie vont entrer en piste. Il va falloir juger de la surmortalité due à la Covid. Elle existe, cela ne fait pas de doute, puisque le taux de mortalité est plus élevé que pour une grippe saisonnière. Rien d’étonnant. Mais de quel ordre est-elle ? En démographie et en épidémiologie, la surmortalité permet de qualifier le passage d’un événement sanitaire. L’excès (ou le défaut) de mortalité, soit la différence entre le nombre de décès lors de l’événement sanitaire (par exemple une canicule ou une épidémie de grippe) et la moyenne des décès au cours de la même période lors des 3 à 5 années précédentes, est alors un critère qualificatif.

Il va falloir se méfier des biais d’échantillonnage, de la sommation sur des périodes brèves qui peut invisibiliser un épisode, des périodes longues qui peuvent lisser le phénomène trop bref d’un événement sanitaire majeur, corriger les courbes de l’évolution naturelle de la population, observer l’effet « harvesting » qui peut survenir (une surmortalité par le décès anticipé de personnes ayant une santé précaire, principalement parce qu’elles sont très âgées ; elles auront échappé à un épisode grippal antérieur moins mortel que d’habitude par exemple), surveiller la mortalité surnuméraire due aux déprogrammations… Bon courage.

En attendant, l’Insee a établi à 7,3 % le pourcentage de décès en plus par rapport à 2019. Une augmentation expliquée pour partie par l’arrivée des générations nombreuses du baby-boom à des âges de forte mortalité, mais pas seulement (le vieillissement de la population française est continu depuis 2010). Il conviendra de confirmer ou d’infirmer d’autres projections qui font état d’une surmortalité de 4%. Si la Covid n’est pas une simple grippe, elle n’a rien de commun avec d’autres maladies infectieuses dont les modes de transmission ont servi de modèle aux calculs des épidémiologistes. Rappelons qu’une épidémie ne saurait se résumer aux seuls morts, que des dizaines de milliers de patients ont été affectés par des symptômes handicapants voire hospitalisés pour des formes aiguës de la maladie, avec des séquelles encore difficiles à quantifier (voir supra). Ce long travail d’évaluation oblige à se méfier des projections actuelles. Dans ses publications, Santé publique France pointe que « la hausse de la mortalité observée dans les régions les plus touchées est très probablement liée à l’épidémie de Covid-19, sans qu’il soit possible d’en estimer la part attribuable à cette date ».

(mise à jour 20210319 : dernière étude sur la surmortalité par l’INED)

Aussi, comme toujours en matière d’études épidémiologiques, il faut s’armer de patience. Les réponses adviendront, si tant est qu’elles puissent être avancées de manière exhaustive un jour, compte tenu de la difficulté à agglomérer des données disparates issus de tests hétéroclites, menés selon des méthodes variées, etc.

Passe ton PCR d’abord

Tester. Mais comment ? Avec quoi ? Pour quels résultats probants ?

Cela sera aussi un casse-tête pour épidémiologistes chevronnés : de distinguer de tous les cas positifs confirmés, étant donné les fortes variabilités quantitatives (d’un facteur mille ou plus) et des charges virales, entre un patient encore infecté, infecté asymptomatique, de celui qui contractera une forme avancée de la Covid, qui est encore contagieux… De là en déduire la contamination virale et la progression de la maladie. Car pour l’instant, nous sommes bien incapables de dénombrer efficacement les contaminés, d’anticiper la durée de positivité, de contagiosité, si un patient détecté positif a été contaminé il y a trois jours ou dix. Enfin, on ne teste que les personnes qui se présentent, on oublie donc de tester les personnes symptomatiques qui ne le désirent pas, et les asymptomatiques qui n’ont pas été identifiés. Le nombre de nouveaux cas par jour est une sous-estimation problématique de l’évolution de l’épidémie.

Mais il convenait de pratiquer une politique du chiffre, en livrant un million de tests par semaine, devant les caméras mais sans grande stratégie de dépistage.

La technique PCR est apparue à la connaissance de la population en même temps qu’à certains élèves (les réformes sont savamment anticipées). Chacun aura compris qu’il s’agit de détecter l’ARN viral en l’amplifiant. Mais les 136 kits autorisés sont variés, pour certains plus préconisés, leurs protocoles distincts, leurs amorces plus ou moins conjuguées, la concentration de ces amorces est spécifique à chacun des kits, le nombre de tours d’amplification (Cycle threshold – Ct) plus ou moins élevé (plus le nombre de tours est élevé, plus le test détecte des fragments de virus, c’est-à-dire du virus inactif chez des personnes alors non contagieuses), les réactifs commerciaux plus ou moins efficients, la spécificité au coronavirus Sars-Cov-2 plus ou moins grande…

(source : OMS)

Ces aspects techniques interrogent sur la signification des variations du nombre de cas quotidiennement répertoriés et communiqués par les autorités sanitaires. L’arrivée de plus de 80 kits antigéniques, plus ou moins efficaces et frauduleux, même si ces derniers ne détectent que des virus vivants, n’aura pas éclairé l’amalgame fait entre une personne pouvant être contagieuse, une autre qui ne l’est plus mais qui dispose encore du virus mort, non actif, dans les fosses nasales, une personne qui a inhalé du virus sans être contaminée (le virus peut aussi rester dans le nez pendant des semaines, voire des mois, après une guérison), une personne guérie et non contagieuse…

Ainsi, un dépistage de masse, superposition de techniques variées et non comparables, peut conduire à l’augmentation du nombre de cas alors même qu’une proportion d’entre eux ne présente pas ou plus de danger de transmettre le virus. Rien ne renseigne quant à sa contagiosité. Le dépistage de masse a ses limites, a ses inconvénients s’il n’est pas organisé convenablement. Et l’intérêt statistique de s’en trouver inhibé.

En gros, Il aura manqué pour faciliter la lecture épidémiologique que les autorités procédent à une homogénéisation des tests (seuil de positivité maximal des tests PCR…).

Ca ne veut rien dire le nombre de nouveaux cas par jour, parce qu’on teste n’importe qui, pourfend l’épidémiologiste et biostatisticienne Catherine Hill. Ce nombre dépend du nombre de tests et de la sélection des personnes testées. Il ne permet pas d’estimer la fréquence du virus dans la population. Le nombre de nouveaux cas n’est donc que la partie émergée de l’iceberg. Le rapport entre les personnes testées positives par rapport à l’ensemble des personnes testées en atteste.

Au pic du premier confinement, 31% des personnes testées étaient positives. A la mi-décembre, il était en-dessous de 5%, tout simplement car à Noël, tout le monde est allé se faire tester avant d’aller voir les grands-parents pour les fêtes, ça a faussé les résultats. Sinon, en temps normal, les gens qui se font tester le font pour une raison : ils pensent être malades. Mais du coup on passe complètement à côté des cas asymptomatiques. Ces derniers pouvant représenter jusqu’à 50% des cas réels…

Il faut plutôt tester massivement des échantillons représentatifs de la population, comme cela a été fait en Angleterre. En France, je déplore que ces tests auto-administrés ne sont pas autorisés par la Haute autorité de santé.

Catherine Hill (épidémiologiste)

Tous victimes, tous procureurs

Quand tout est incompréhensible et mal justifié, chacun est en droit de demander des comptes.

De tous ces chiffres, de tous ces témoignages, découle un sentiment inconfortable d’incompréhension. Une rationalité difficile à tenir irréfragable car dans le même temps, chaque jour, sont assénées de bien funestes conclusions, s’imposent à notre émotion les cas positifs parmi nos proches et les exemples non circonstanciés dans les médias.

Mais le fait réside : cette maladie est peu mortelle. Si bien que les conséquences qu’elle a sur la vie de chacun d’entre nous sont de plus en plus jugées illégitimes. Cette loi d’urgence sanitaire, ces décrets et modifications incessantes engendrent des répercussions sur chacun d’entre nous, sans distinction. Du confinement général aux couvre-feux, tous nous trouvons à devoir nous plier aux obligations. La menace sanitaire est permanente, menace démentie par l’examen précis des données sur la mortalité auquel nous nous sommes attelés dans ce dossier entre autres points.

Outre l’objectif de préserver la vie des personnes les plus fragiles, à défaut d’encadrer leur cadre de vie et de donner les moyens de les assister dans le soin, la santé de tous s’en trouve affectée. Il n’est certainement pas interdit en démocratie de s’interroger sur les pertinences de toute décision, de questionner de la proportionnalité des mesures empilées et de leur efficacité quant au but poursuivi. Même en période d’épidémie, il n’est pas illégitime d’aborder cet aspect. L’OMS ne définit-elle pas la santé plus largement ?

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité »,

d’après le préambule de sa constitution

Il n’est donc pas interdit de critiquer. ‘Indignez-vous’, qu’il disait.

Protéger la vie implique donc de prendre en compte l’ensemble des aspects, qui englobent autant les critères sociaux, culturels, spirituels, politiques et économiques que sanitaires. Il n’aura échappé à personne à quel point le confinement provoque des effets délétères. Comme d’autres pans de la vie sont concernés, les contentieux ne manquent pas. Pas seulement pour contester le zèle de certains. Chacun aura entendu les référés contre le droit de manifester, de circuler librement, etc. Mais dans le cadre large de la santé individuelle, même le Conseil d’Etat admet une atteinte résidant dans « la fermeture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacle ». Celle de ne pas considérer les libertés fondamentales que constituent la liberté d’expression et la libre communication des idées, la liberté de création artistique, la liberté d’accès aux œuvres culturelles, la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie. Mais les fermetures sont maintenues. Pourtant, l’administration n’a jamais produit d’éléments relatifs à des cas de contamination qui seraient survenus lors de spectacles qui justifient de telles mesures actives depuis plusieurs mois maintenant (le conseil scientifique Covid-19 n’en admet lui-même pas beaucoup moins dans sa note du 26 octobre 2020). Dans le même temps, au gré des diversités de situations locales, il est démontré que certaines mesures sanitaires peuvent être mal adaptées aux situations épidémiologiques locales et peuvent déclencher un effet inverse à celui recherché.

Malgré tous les paradoxes et les arguments bancals que chacun aura pris soin de noter, le gouvernement aura maintenu le confinement ou un arsenal de mesures plus ou moins restrictives pourtant susceptibles d’avoir des conséquences néfastes : opérations déprogrammées, traitements retardés, répercussions psychologiques et sociales, restrictions d’activités sportives (alors que ces dernières sont un facteur de santé publique), accroissement des inégalités, disparité territoriale (question politique subsidiaire : faut-il abandonner les plus précaires au nom du respect des plus fragiles ?), santé mentale détériorée et inquiétante pour de nombreux professionnels, notamment chez les étudiants et les plus fragilisés. Etc. Ces effets iatrogéniques ne semblent pas faire l’objet d’une réflexion pour les éviter.

Plus on avance, plus on constate que les bénéfices supposés du confinement sont des artefacts dus à la modélisation, ils ne sont pas vrais. […] Les confinements sont une mesure extrême, nous savons qu’ils produisent des dégâts incommensurables sur les gens, leurs vies, leur santé, leur santé mentale… »

Selon le professeur Ioannidis, épidémiologiste,

Dans une de ses dernières études, il a analysé toutes les politiques sanitaires internationales. Conclusion : il n’existe aucune différence de performance entre les pays qui ont confiné et les autres.  L’alternative confinement / laisser-faire serait une alternative fausse, bien que de petits avantages ne puissent être exclus. Aucun avantage significatif sur la croissance des cas et des réductions similaires de la croissance des cas n’est réalisé. Si bien qu’un classement des pays selon les résultats semble bien présomptueux. Au mieux, seuls les pays comptant moins de 10 millions d’habitants semblent avoir été avantagés, favorisés qu’ils sont de leur cohésion plus aisée pour faire face à une crise mondiale telle qu’une épidémie.

Face à la désocialisation massive, la solitude exacerbée des anciens, la détresse des jeunes générations, la perte de confiance en l’avenir, la baisse historique de la natalité, l’écroulement de pans entiers de l’économie, il est permis de se demander pourquoi des mesures plus évidentes, que des petits pays comme Taïwan auront entreprises, n’ont pas été ordonnées et scrupuleusement pratiquées : isolement des malades, via des tests de grande ampleur, véritable traçage actif des liens sociaux des cas positifs et des cas contacts, protection correcte des personnes à risque. Des actions concrètes demandées à perdre haleine par Catherine Hill (tests groupés…). La protection des personnes à risque peut effectivement être une nécessité absolue. D’ailleurs une politique de santé publique n’est jamais aussi efficace que quand elle est ciblée. Mais cela est chronophage et budgétivore.

Au lieu de cela, aucun des indicateurs fondamentaux de l’épidémiologie (groupe contrôle, DALY, QALY, …) n’a été employé pour démontrer l’utilité des mesures ni valider les décisions. Certains s’attèlent, comme l’Irsan, via cinq enquêtes, qui sur l’activité physique, qui sur la précarité (EPICE), l’anxiété (HAD), le stress… à jauger des conséquences de tout cela.

Brèfle, les décisions étant prises pour la grande majorité loin des débats démocratiques attendus compte-tenu de leur importance/impact, il est bien légitime que le jugement de chacun, à défaut d’arguments contradictoires déployés au sein des chambres représentatives, s’exprime. Et avec le temps, le ras-le-bol s’installe, fragilisant la frontière entre confiance et défiance. Devant le risque croissant que l’individu qui renâcle ne passe le stade de la désobéissance, nos gouvernants prennent leurs dispositions.

Du nudging pour notre cocooning

La ficelle manipulatoire n’est pas discrète. Ou comment donner des billes aux complotistes.

Quand il s’agit de guider de larges populations, les techniques ne manquent pas : économie comportementale, fabrique du consentement… Et comme nos administrations manquent apparemment cruellement de compétences, l’Etat ne s’interdit plus de faire appel à des conseillers privés. Alors  pour la gestion sanitaire, l’affaire était entendue : de nombreuses entreprises de high consulting ont répondu favorablement aux marchés offerts, à raison d’une commande toutes les deux semaines (26 contrats en 10 mois) : Roland Berger, Deloitte, JLL Consulting, Boston Consulting Group (BCG), Capgemini, Citwell, Accenture bien entendu mais surtout McKinsey.

Ce dernier s’est taillé la part du lion d’une série de contrats récents pour des projets liés au COVID-19 (4 millions d’euros sur un total de 11,2 millions d’euros). Un de leur rôle est par exemple de superviser le déploiement des vaccinations, de contrôler également la stratégie de Santé publique France. Pour le gouvernement, l’objectif est de suivre la méthode de façon chiffrée et que la technique se rapproche du management si estimé. Une course aux résultats qui peut ne pas correspondre aux finalités de politique de santé publique.

Seulement, McKinsey n’est pas un cabinet inconnu de Macron et conseille en parallèle des industries pharmaceutiques telles GSK, comme en Belgique. Cette intrusion du secteur privé dans les affaires publiques peut donc être perçue comme d’intérêt conflictuel. Une intrusion qui ne se borne pas à l’organisation logistique puisque Accenture et McKinsey vont travailler à l’élaboration d’un plan d’économies d’au moins 1 milliard d’euros d’ici 2022 (un marché comportant en sus une part variable indexée sur les économies réalisées).

Si bien que les techniques de management préconisées par ces cabinets ne doivent pas être prises à la légère. Elles sont d’ordre manipulatoire. Il s’agit de s’assurer de l’acceptabilité de mesures de santé publique et de coercition, d’opération de transformation de l’opinion publique mondiale par la réécriture du triangle de Karpman.

Oui, la technique nouvelle de contrôle comportemental, mêlée de neurosciences, toujours plus intrusives, est largement amplifiée ces derniers mois et prend place dans notre quotidien insidieusement. Il n’y a que les citoyens pour l’ignorer, mais cette méthode porte un nom: le nudging.

Le nudging est issu de l’ingénierie sociale et vise à la transformation furtive d’un sujet social, qu’il soit individu ou constitué en groupe, ces deux entités étant emplis de biais cognitifs qu’il s’agit idéalement de ‘rationaliser’ de la ‘bonne manière’. Le lien social, l’opinion publique, l’intelligence collective… tous ces concepts immatériels sont pour un gouvernement rigides et contraignants. Mais ces immatérialités peuvent être structurées pour peu qu’on y emploierait des recettes plus subtiles que les encarts publicitaires : elles sont censées nous faire agir pour notre bien, participant en bruit de fond à la modification des relations sociales, au reconditionnement des comportements, à la rectification de la manière dont nous prenons nos décisions pour « l’intérêt général ». C’est l’acceptabilité sociale des consignes, une adhésion immédiate à ces consignes, plus efficace et rapide que de recueillir la volonté générale des citoyens, de contribuer à leur formation via de véritables débats publics dignes de la Cité. L’examen critique, public et privé, est désactivé.

De cette panique sanitaire médiatisée, la transformation de la société est en ordre de marche. Le gouvernement français et l’institut de sondage BVA travaillent d’ailleurs en collaboration étroite sur cette technique d’ingénierie sociale (le nudge donc), fabriquant le consentement de la population au confinement et à toutes les mesures (port du masque obligatoire, attestations de sortie, flèches et points dessinés au sol pour faire respecter la distanciation sociale, application TousAntiCovid, etc.). Sur son site, BVA définit le nudge par le fait d’activer un « coup de pouce » mental pour provoquer des changements comportementaux forts, une orientation « douce » , imperceptible, subliminale des décisions, du soft power managérial étendu à toute la société. Dans les ministères, œuvrent donc des « Nudges Units », unités spécialisées . Voilà le concept d’infiltration cognitive actuellement en cours. L’administration ne s’en cache pas, comme la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). On s’étonne ensuite que le complotisme progresse

Le nudging est-il le seul avenir de nos politiques publiques ? En attendant, l’avenir proche cherche une sortie de secours.

Par ici la sortie

Vivement les vaccins. Mais sauvent-ils de tout ?

L’immunité collective mise hors jeu pour l’instant, les regards se tournent vers les labos et les espoirs sur leurs productions médicamenteuses immunologiques que sont les vaccins.
Ils sont disponibles depuis quelques semaines, après des essais cliniques accélérés que plus personne n’ignore et une homologation d’urgence. Ce qui n’est pas simple juridiquement. Car l’urgence sanitaire impose aux praticiens, soumis au Code de la santé publique, de ne plus pouvoir en ce cas leur « délivrer une information claire, transparente et adaptée, fondée sur les données acquises de la science » et de ne pas pouvoir s’assurer qu’ils ne courent aucun risque injustifié. C’est-à-dire que les données de pharmacovigilance sont à venir.

Des considérations juridico-éthiques effacées dans le cadre des stratégies vaccinales internationale et française. Stratégie clairement énoncée et résumée selon une formule devenue mème de Véran : « On n’aura jamais assez de vaccins tout de suite, mais on aura toujours assez de vaccins au bon moment ».

Episodes des vaccins. Saison 1. Nous apprenons les nouvelles négociations obscures qui ont entouré la signature des contrats, nous nous étonnons des erreurs de dosage lors des essais, nous ne savons rien de l’immunité protectrice contre les formes graves de la maladie, des détails des contrats peu transparents voire caviardés (une façon de faire qui vaut enquête), des dispositions qui suppriment toute menace de poursuite les industriels aussi bien pour les retards de livraison que pour des effets secondaires imprévus, nous découvrons les optimismes commerciaux des laboratoires, nous nous estomaquons qu’une simple obligation de moyens (“best reasonable efforts”) ait été exigée en lieu et place d’une obligation de résultats, nous subissons les retards, nous sommes sidérés des difficultés techniques dans les vaccinodromes (mauvaises seringues et aiguilles inadaptées), nous nous impatientons que le gouvernement prenne « toute mesure permettant la mise à disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire », ne réquisitionne « tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire » ou encore n’impose « des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits », voire une licence d’office ou une licence obligatoire, nous nous satisfaisons de la dextérité de certains professionnels, nous restons sceptiques que les taux élevés d’efficacité s’appliquent également aux personnes à risque, nous tentons de différencier la réduction du risque en valeur relative (RRR) de la réduction du risque en valeur absolue (ARR), nous restons incapables de savoir si les vaccins empêcheront la circulation du virus, si la contagiosité sera stoppée par leur injection, nous n’avons pas la moindre idée des délais de rappel de vaccination à appliquer…

Contrat expurgé, œuvre contemporaine de Astra Zeneca, stabilo noir sur feuille blanche 120g.

Mais parallèlement, nous en oublions de nous référer aux effets indésirables statistiquement plus importants que prévus et inhabituels dans le cadre probabiliste attendu de ce genre de médicament (tachycardie, hypertension artérielle, syndromes grippaux de forte intensité aux conséquences fonctionnelles inopportunes).

Mais surtout, nous fermons les yeux sur l’accès mondial inéquitable de ce produit qui n’arrive pas à s’imposer comme bien commun. A ce jour, sur plus de 200 millions de doses de vaccins administrées dans le monde, l’allocation a été ventilée pour 45 % dans les seuls pays du G7, pour 75% dans dix pays.

(source : MSF)

La propriété intellectuelle sévit encore de façon néfaste sur la fourniture de vaccins considérés comme vitaux pour une certaine catégorie de population. Un accord a été soumis à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour appeler certains pays à renoncer à certains droits de cette propriété. Mais les oppositions sont farouches, malgré les belles envolées humanistes médiatisées. Les intérêts des sociétés pharmaceutiques semblent les plus forts.

Si nous restons les bras croisés et permettons aux agents de santé de première ligne et aux personnes vulnérables dans les pays en développement de ne pas être vaccinés pendant que le Nord riche continue de vacciner des jeunes en parfaite santé, alors j’espère que les livres d’histoire l’écriront »

aura déclaré le Dr Mike Ryan

Enfin, nous omettons de considérer l’immunité naturelle comme efficace. Le système immunitaire d’une personne est naturellement armé pour répondre au Sars-CoV-2. L’immunité innée et adaptative constitue la première barrière de défense de l’organisme en bonne santé. Ajoutons que lorsque l’organisme développe une réponse immunitaire à un virus, l’organisme peut développer différentes versions d’anticorps qui se lient de manière légèrement différente à la protéine virale de surface, rendant les anticorps résistants à des mutations mineures. On sait que l’immunité vaccinale n’est pas toujours définitive, d’où les fameuses « piqures de rappel », contrairement à l’immunité innée, hors affaiblissement de la réponse immunitaire (maladies et thérapeutiques épuisant l’organisme, comportements à risque, mauvaise alimentation, sédentarité, grande vieillesse…).

Le problème est tout autre pour les vaccins destinés aux personnes à risque (immunodéprimées, âgées…). Alors que les campagnes de vaccination contre le Sars-Cov-2 ne font que débuter, de nouvelles souches du virus suscitent des inquiétudes croissantes parmi les experts. La découverte des variants n’est pas anormale : les mutations incessantes jusqu’en des endroits endémiques reculés risquent de rendre inopérants les vaccins à mesure que les mois passeront. Les règles de l’évolution sont ainsi faites qu’elles mènent le jeu. Rien ne peut les contraindre, toutes ces transformations génétiques virales sont le jeu normal de l’évolution des organismes, évolution accélérée dans le cas d’un virus pour lequel le cycle de vie est très court (dès son entrée dans une cellule, le Sars-CoV2 fait un millier de copies de lui-même en moins de dix heures) et qui infecte une population innombrable. Au gré de mutations aléatoires, certaines permettent au virus d’être mieux adapté à son environnement (la majorité des mutations sont muettes, ce qui signifie que les changements n’affectent pas le comportement du virus, le type de maladie, ni la vitesse de transmission). Les variants augmentent de façon exponentielle. Les vaccins peuvent devenir obsolètes.
De manière évidente, il  ne fait guère de doute que des foyers endémiques persisteront, comme pour la grippe saisonnière. Si les vaccinations ne sont réservées qu’à une partie de la population mondiale, il est peu probable qu’un virus soit totalement éradiqué, des « réservoirs » persisteront, humains ou animaux.

Si l’on considère les problèmes de fabrication et d’approvisionnement, il ressort que seules les personnes à risque doivent (ne peuvent ?) être ciblées dans les campagnes de vaccination. Cela correspond à la direction que doit prendre une vraie et efficace politique de santé publique.

Mais veut-on vraiment vivre avec le virus ? Ce virus ? Les autres à venir ? Espérer indéfiniment en la découverte de vaccins pour s’en défendre ?

De profundis

Nous ne sommes sans doute tirés d’aucune épidémie. La faute à qui ? A quoi ?

Il n’y a pas que la médecine dans la vie. Les sciences sociales sont aussi d’un intérêt intellectuel certain. Pour le coup, la Covid est une « expérimentation » inattendue et grandeur nature selon Bruno Latour : la question écologique reste entière. Car sortir de cette crise sanitaire serait pour mieux entrer en une autre… C’est bien simple, la totalité de nos modes de vie doit changer selon le chercheur, ce moment étant « l’un des premiers signes annonciateurs ». Selon Latour,

Le confinement est définitif. Cette « accélération » de notre développement économique, via le capitalisme néolibéral et mondialisé, n’est pas tenable et la question des limites se pose. C’est que la notion même de « sol » est en train de changer de nature. Nous serons tous affectés, migrants devant quitter leur pays ou « restants » que leur pays va quitter. Nul ne sera plus « à l’abri ». Le sol va nous lâcher, nous abandonner. On ne pourra plus y vivre.

Il y a donc urgence du long terme. Afin que le monde de demain soit vraiment différent du monde d’hier et que cette volonté élyséenne n’en reste pas à l’état de promesse. Il ne tient qu’à tous de profiter de cette crise pour viser un autre horizon. Comme jamais, il s’agit d’aller plus loin que l’urgence sanitaire qui s’impose. Ne plus tergiverser et ne surtout pas décorréler cette épidémie de la crise climatique, de l’effondrement de nombreux écosystèmes, du modèle économique qui prévaut depuis des dizaines d’années (par exemple, une corrélation frappante a été prouvée entre la pollution atmosphérique par les particules fines et la sévérité de l’épidémie de Covid-19 et confirmée depuis).

In faut nommer nos maux. Démographie, promiscuité (entre nous, avec les espèces sauvages) et déplacements intercontinentaux sont les trois facteurs amplificateurs de ce cadre productiviste. La propagation d’épidémies dans le monde entier résulte de la déforestation accélérée, du commerce lucratif des animaux sauvages dans une moindre mesure, de l’explosion du trafic aérien et du réchauffement climatique, de la fragmentation des forêts tropicales et des espaces naturels (causée par le développement du réseau routier, des barrages et exploitations minières).

Les déforestations ont commencé il y a 10 000 ans. Elles n’ont jamais cessé, se sont accélérées. Conséquence ? Cela favorise l’entrée en contact avec les faunes sauvages, cette promiscuité plus importante générant des transferts interspéciques (20% de ce qui reste de surface boisée dans le monde se trouve à moins de 100 kilomètres d’une lisière, et 70% à moins d’1 kilomètre). Ces déforestations, pratiquées à large échelle dans les pays du Sud pour implanter des monocultures, sont dues à la culture de l’huile de palme par exemple (90% de la production mondiale vient de Malaise et d’Indonésie où sévit le virus Nipah). Ce sont ce que l’on nomme en économie ‘des externalités’. Mais jusque-là les effets néfastes des importateurs (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et Espagne) restaient transférées sur les pays exportateurs (Indonésie, Madagascar, Malaisie, Philippines, Sri Lanka, Thaïlande). La situation semble évoluer défavorablement pour tout le monde cette fois.

La moitié des pathogènes qui nous agressent nous viennent des animaux. Alors il faut étudier ces derniers, au premier rang desquels les chauves-souris. C’est justement le but de Predict, programme visant à capturer 12 000 chauves-souris (3 coronavirus en moyenne existent par espèce). Soit 3 000 coronavirus à renseigner circulant dans l’ensemble du règne des chiroptères. L’éradication des ces animaux, souhaitée par certains, serait contre-productive car il ne faut pas sous-estimer la théorie de « l’effet de dilution » (un effet régulateur sur la prévalence et la virulence des agents pathogènes) : une diversité d’espèces diminue les risques de débordements zoonotiques. La théorie a subi de nombreuses controverses mais les preuves empiriques s’accumulent suffisamment ces dernières années pour la rendre valide. Donc plus la biodiversité est importante, plus les pathogènes se distribuent sur cette biodiversité, plus les microbes circulent à faible bruit ; a contrario, lorsque la biodiversité chute, nous favorisons les contacts et la transmission. Mais cette biodiversité est justement mise à mal depuis quelques dizaines d’années. Protéger la biodiversité c’est nous protéger nous-mêmes.

Les alertes n’ont jamais cessé de la part des spécialistes. Et il n’est pas besoin de remonter au Rapport Meadows de 1970 tombé dans l’oubli collectif : depuis le milieu des années 2000, en effet tout récemment, des dizaines de scientifiques internationaux ont à nouveau tiré la sonnette d’alarme. Selon eux, la pression qu’exercent les activités humaines sur la biodiversité crée les conditions d’une « épidémie de pandémies ».

La pandémie due au Sars-CoV-2 ne m’a pas surpris. Les émergences de maladies infectieuses s’accélèrent depuis déjà plusieurs années. L’agriculture en est une des causes, car c’est bien souvent à travers les activités agricoles que se développent de nouvelles interfaces entre la faune sauvage, qui est un réservoir à virus, et les animaux domestiques et les êtres humains. […] Depuis le début du siècle, le nombre de personnes touchées par une maladie infectieuse diminue. L’incidence des maladies infectieuses baisse grâce à nos systèmes de santé performants. La chute commence avant l’apparition des vaccins et des antibiotiques. Elle est surtout due à la santé publique et à l’hygiène. Par contre, le nombre d’épidémies augmente. Nous sommes passés de moins d’une dizaine à plus d’une centaine »

selon Serge Morand, chercheur Cnrs-Cirad, écologue de la santé et parasitologiste de terrain qui traque les virus circulant dans la faune sauvage avec pour but de les intercepter pendant qu’ils sont encore présents chez des animaux, autrement dit avant qu’ils ne se transmettent aux humains

De façon globale, il ne fait plus aucun doute que la hausse brutale du nombre d’épidémies est due à la réduction des habitats du monde sauvage, à la baisse de la biodiversité. Lier l’émergence de maladies infectieuses aux seules pratiques locales chinoises serait une erreur d’analyse (consommation d’animaux sauvages et utilisation pour des pratiques médicinales traditionnelles). Dans les élevages industriels, denses et nombreux, la diversité génétique s’y est également considérablement affaiblie, les mutations virales s’y multipliant à grande vitesse et une épidémie se contracte très facilement d’un animal à l’autre car ils sont comme autant de clones (les cochons jouent souvent un rôle d’intermédiaire ultime entre la chauve-souris et l’homme).

Nous l’avons déjà évoqué plus haut, la liste des virus émergeants chez l’homme est impressionnante et la plupart sont de moindre médiatisation dans nos pays occidentaux : Machupo (Bolivie, 1961), Marburg (Allemagne, 1967), Ebola (Zaïre et Soudan, 1976), VIH (depuis New York et la Californie, 1981), Hanta (sud-ouest des États-Unis, 1993), Hendra (Australie, 1994), grippe aviaire (Hong Kong, 1997), Nipah (Malaisie, 1998), fièvre du Nil occidental (New York, 1999), SRAS (Chine, 2002-2003), MERS (Arabie saoudite, 2012), Ebola (Afrique de l’Ouest, 2014) pour ne citer que cette sélection.

Toujours selon Serge Morand,

 S’il n’y avait pas eu le Covid-19, une autre pandémie serait survenue. Les déséquilibres écologiques sont à l’origine de ces pandémies. De nombreux systèmes de régulation des pathogènes sont bouleversés. Nous avons moins de prédateurs importants tels que les lynx ou les loups qui contrôlent les populations de petits mammifères rongeurs, porteurs de microbes divers ou de tiques elles-mêmes vectrices. Ces prédateurs en contrôlant l’abondance des rongeurs réduisent la transmission des pathogènes. Les interactions des vivants perdent leur équilibre dynamique dans les écosystèmes perturbés et avec elles, la résilience des systèmes écologiques. Nous créons des pathosystèmes. L’homme détruit la résilience nécessaire à la nature et à notre santé »

Voilà pour la balance politique. Il y a donc l’action palliative exercée par les gouvernements dans cette urgence sanitaire médiatisée à outrance, passant par exemple par la vaccination des populations à risque (personnes immunodéprimés, individus âgés…). Mais la vaccination est l’équivalent d’un simple pansement, une stratégie efficace et rapide pour limiter les dégâts. Si bien que cette focalisation sur le vaccin peut nous conduire à oublier les causes profondes de la situation actuelle.

Le soin palliatif ne correspond qu’à une solution court-termiste. Les chiffres visés plus haut nous le confirment : nous avons la chance d’échapper à une véritable épidémie contagieuse et beaucoup plus mortelle. Mais jusqu’à quand ?

Cette multiplication de maladies infectieuses à l’échelle mondiale est précisément ce qui nous attend. Soit des pandémies plus fréquentes, plus mortelles et plus coûteuses. Les scientifiques de l’IPBES ne dénombrent pas moins de 631 000 à 827 000 virus actuellement présents dans la nature susceptibles d’infecter les humains. Il n’est que voir la réapparition d’Ebola en Guinée en janvier dernier. Originellement, Ebola n’était pas censé exister dans cette région ouest-africaine, avant d’être l’épidémie la plus importante de l’histoire. Si les risques d’émergence de maladies infectieuses sont plus élevés dans les régions tropicales et à déboisement rapide, le changement climatique pourrait modifier les zones géographiques d’émergence et leur diffusion, conquérir des territoires inattendus.

D’ailleurs, des virus mortels apparaissent de plus en plus dans des endroits où ils ne sont pas anticipés. Ebola est autrement plus dangereuse : sa létalité importante (environ 50% en moyenne sur toutes les épidémies depuis 1976), ses symptômes effrayants (fièvre hémorragique), sa contagion élevée (par simple contact), rendant son potentiel destructeur si exceptionnel. Ebola a déjà causé presque quatre fois plus de morts que toutes les épidémies précédentes à celle du Sars-Cov-2. Pourtant, l’intérêt des médias occidentaux n’a véritablement été suscité qu’en août 2014, lorsque l’OMS a déclaré le virus Ebola « urgence de santé publique de portée mondiale », une fois 900 décès atteints. L’épidémie en Afrique de l’Ouest s’était achevée en 2016 après avoir atteint dix pays, dont l’Espagne et les Etats-Unis, provoquant plus de 11 300 morts pour quelque 28 600 cas recensés (bilan largement sous-évalué de l’aveu même de l’OMS). Le danger était tel, et le redevient donc, que le recours à des moyens militaires avait été validé, le Canada et l’Australie ne délivraient plus de visa aux ressortissants des pays les plus touchés (même si nous savons maintenant que la fermeture des frontières est illusoire et complique l’acheminement de l’aide).

Si certains se rassurent du taux de létalité de plus de 50% en moyenne dans les pays touchés qui pourrait n’être que de 10% grâce à nos « systèmes de santé performants », l’épisode en cours devrait terminer de convaincre qu’il n’en est rien. Ce type de virus, et ceux qui ne tarderont pas à apparaitre, sont une menace pour la sécurité et la paix internationale. Notre gestion chaotique pour la Covid, bien moins mortelle et létale, ne rassure en aucun point.

Mais qu’en est-il donc de l’action curative ? Le meilleur antidote, la meilleure prévention contre l’émergence de maladies infectieuses ne passerait-il pas par la préservation de la biodiversité ? Sans doute faudrait-il revoir de fond en comble notre modèle de société ? Un débat démocratique et politique profond doit émerger. Un « profond changement d’approche » est nécessaire, mettant en accusation « la manière dont nous utilisons les terres, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, ainsi que le commerce, la production et la consommation non durable ». Cette crise de vulnérabilité doit être un électrochoc à long terme, car les solutions à mettre en place sont de même ordre temporel.

Le Dr Samuel Myers, directeur de la Planetary Health Alliance, chercheur principal à la Harvard TH Chan School of Public Health, n’en convient pas moins :

 Nous explorons les changements dans l’environnement et comment l’activité humaine a eu un impact sur notre planète, comment notre perturbation de la nature affecte notre bien-être. La récente succession de catastrophes naturelles telles que les incendies de forêt, les ouragans et les épidémies de criquets ont des empreintes digitales humaines partout. […] La Covid est une pandémie anthropique [due à l’activité humaine, ndlr]. Cela vient d’une relation ténue avec la nature.

C’est le moment où, au lieu d’utiliser cet argent pour soutenir un ancien mode de vie qui détruit la biosphère et étouffe la vie hors du monde, nous pourrions utiliser cet argent pour soutenir le développement de nouvelles infrastructures pour nous mener vers cette grande transition ainsi qu’une réelle opportunité. […] La fin de cette histoire n’a pas à être une terrible apocalyptique. Cela dépend vraiment de ce que nous décidons de faire maintenant ».

Le visionnage de Contagion dont le référent scientifique avait plutôt vu juste aura aidé quelques mois. Une vision long-termiste semble vitale.

Mieux vaut guérir

Il nous faut conclure. Il vous faut vous positionner. Ouverture sur l’urgence d’agir.

Abreuvés de querelles scientifiques s’étalant sur les studios radiophoniques et les plateaux télévisuels, les affirmations nous sont toutes apparues contradictoires et évolutives au gré des journées. Nous avons tenté d’éclairer le guidon que nous touchons du nez depuis plusieurs mois. Mais il n’est pas non plus interdit de lever un peu plus la tête.

Que voyons-nous ? Que les modes de production ont favorisé la déforestation, réduisent la biodiversité. La mondialisation a augmenté les voyages. La conjugaison de ces simples facteurs, et il y en a d’autres, suffit à faire des microbes au sens large des autostoppeurs efficaces sur Terre.

Alors, oui, une épidémie, voire une pandémie, est une menace pour la communauté humaine et la sécurité. Mais si l’épidémie de Sars-Cov-2 est impressionnante, les chiffres permettent de relativiser la portée mortelle de son activité. Ce qui est moins rassurant et plus anxiogène est de constater combien les mesures extrêmes entreprises, parfois de simples réponses politiques plus que de scientifiquement pertinentes, sont peu efficaces. Et donc combien une maladie hautement contagieuse et plus mortelle pourrait être infiniment ingérable pour nos populations.

Les scientifiques prévoient depuis longtemps l’apparition d’un virus grippal capable d’infecter 40% de la population mondiale et de tuer des nombres inimaginables. Récemment, une nouvelle souche, la grippe aviaire H5N1, apparue dans le sud de la Chine au milieu des années 1990 et connue depuis 1997, a montré toutes les caractéristiques de devenir cette maladie redoutée. Jusqu’à présent, ce virus a été largement confiné à certaines espèces d’oiseaux, mais cela peut changer. Et c’est une des alertes les plus tonitruantes que les virologues cherchent à donner. En vain.

Pourtant, cette souche touche déjà aujourd’hui 55 pays dans le monde. Concerne soit les oiseaux sauvages et domestiques (le virus est 100% létal chez les oiseaux domestiques tels les poulets !), soit les personnes, soit les deux. H5N1 est l’une des choses les plus meurtrières que nous ayons vu circuler dans le monde au cours des siècles derniers, sans commune mesure. L’inquiétude est amplifiée car ce virus, contrairement à toutes les autres grippes étudiées, peut être transmis par l’ingestion de viande crue (aux chats sauvages, chiens domestiques) provenant d’animaux infectés. Les animaux contaminés ont des convulsions, des troubles du système nerveux central, des paralysies partielles avant de mourir. Cette souche rappelle ce que les scientifiques comprennent maintenant du virus de la grippe de 1918, qui était passé directement des oiseaux aux humains.

Palliatif un temps, les abattages n’y changent maintenant rien. Les milliers d’oiseaux migrateurs concernés par une de ses mutations se déplacent en Sibérie, en Europe et en Afrique chaque année. Nous assistons maintenant à des apparitions de foyers dans les populations humaines, contaminations encore rares et occasionnelles. Rares, heureusement, car le taux de létalité observé chez les hommes infectés est de 55% (rappelons que le taux de létalité de la Covid est de 0,5% au pire en France). Comme pour la Covid, ce n’est pas le virus H5N1 qui tue mais la surréaction du système immunitaire (la cascade de cytokine, le système immunitaire affluant dans les poumons ; la mort est provoquée par ses propres fluides, par une pneumonie, mais une pneumonie non bactérienne). Quant au Tamiflu (Hoffmann – La Roche), s’il peut faire gagner du temps pendant une épidémie, sa trop longue prescription provoque des effets secondaires (dont l’apparition de tendances suicidaires en passant). Aussi, l’ingestion de ce médicament métabolisé à 20% dans l’organisme, engendre des rejets en composé stable dans l’environnement, composé accessible à l’ingestion par les oiseaux aquatiques, donnant au virus l’opportunité de développer des souches résistantes (des souches résistantes au Tamiflu sont apparues au Vietnam). Autre soin palliatif qui aura ses limites : la fermeture des aéroports. Toutes les analyses et modélisations faites sur l’efficacité probable de cette action montre que cela ne décale la diffusion que de deux semaines. Aussi, le virus de 1918 avait circulé par trois vagues successives malgré l’absence de vols commerciaux. Et comment à l’avenir livrer des vaccins si les frontières sont fermées, les hubs de transports internationaux clôturés ?

Aucune réponse palliative ne résiste à la critique rationnelle.

La clé pour éradiquer la variole en 1980 a été une détection précoce, une réponse rapide. Pourtant, rien n’était évident : la variole a été la pire maladie de l’histoire, tuant plus de gens que toutes les guerres de l’histoire (500 millions de gens au siècle dernier). Son infection et sa létalité concernaient toute personne, sans distinction d’âge ou de niveau social : la courbe de létalité était de distribution uniforme (la variole maligne possédait un taux de létalité de 100% !). Si bien que l’on peut s’étonner de son éradication, cependant qu’aucun vaccin n’était mondialement distribué. De toute façon, l’Inde comptait en 1974 600 millions d’individus, et une campagne massive de vaccination n’aurait permis d’endiguer que brièvement la maladie puisque chaque année ce ne sont pas moins de 20 millions de nouveaux nés qui apparaissaient… Un système de surveillance pointilleux et gigantesque a été nécessaire pour favoriser une détection précoce, une réponse rapide. Les campagnes de porte-à-porte étaient menées, contre monnaies sonnantes et trébuchantes. Cela aura suffi pour atteindre cette éradication. Mais il faut avouer que cela avait échoué auparavant contre le paludisme, la fièvre jaune et le pian.

Selon l’épidémiologiste Larry Brilliant, la seule clé de l’éradication est donc une détection précoce, une réponse rapide, car il n’y aura jamais assez de vaccins ou de stocks adéquats d’un antiviral pour combattre une grippe aviaire par exemple. Cette stratégie a fonctionné pour le SRAS, grâce au Réseau d’Information de Santé Mondiale Publique, le GPHIN : ce réseau a trouvé l’épidémie en gestation de SRAS trois mois avant que l’OMS ne l’ait officialisée. Le programme InSTEDD vise quant à lui à explorer le Web, les actualités mondiales et les réseaux sociaux pour détecter les signes de développement de menaces (des systèmes de surveillance des parkings aux urgences aux hackathons afin de créer de nouveaux outils épidémiologiques).

Si l’alerte précoce est vitale, elle n’empêche les apparitions (attendues comme explosives compte-tenu de nos modes de surexploitation) et/ou les résurgences. Et cette position ne conforte qu’une réponse sans en amoindrir les causes.

En matière épidémique, pandémique, beaucoup de mesures se révèlent avec le temps contre-productives. Les constats scientifiques, depuis plusieurs années, sur les modes de production sont conclusifs et sans appel. Que n’ayons-nous anticipé ce que l’on savait inéluctable ? Pourquoi tant de procrastination ? Notre succès dans l’arrêt de nombreuses maladies infectieuses importantes émergentes, réémergentes et stables n’est pas assuré à long terme, nos outils, nos plans de préparation et nos stocks de médicaments et de vaccins n’y suffiront pas toujours. Il nous faut devancer les épidémies suivantes, pas seulement en les détectant, mais en évitant leur survenue. Alors quelles solutions curatives ? Car au gré des mutations plus ou moins rapides, il ne fait pas de doute que la recherche ne pourra pas suivre le rythme de production de vaccins correspondants et efficaces pour toutes les tranches d’âge. Alors que faire pour limiter les causes de résurgence de ce type de micro-organismes ?

Il faut construire des structures politiques afin que les sociétés soient plus en adéquation avec les défis écologiques. D’innombrables leçons doivent être tirées, survolées ci-dessus. Il faut entamer un virage strict. Ne rien changer structurellement, c’est s’assurer un siècle d’épidémies, avec l’inéluctable survenue de nouveaux virus plus mortels à un moment donné. Que le pangolin en ait été le vecteur du Sars-Cov-2 ou qu’il soit issu directement d’une mine chinoise importe peu. Que nous apprend ce virus des débordements zoonotiques de plus en plus fréquents que nous ne sachions déjà ?

Si l’épidémie virale actuelle doit agir comme un appel au réveil, parmi tant d’autres signaux, c’est pour se positionner définitivement : convient-il d’agir de façon palliative ou curative aux problèmes qui vont nous faire face ?

La compagnie du philosophe des sciences Etienne Klein finira de vous donner à réfléchir en ce sens. Bonne ouverture à vous.

Lurinas

Lectures vivement conseillées

De la démocratie en Pandémie, de Barbara Stiegler (éd. Gallimard)

La chauve-souris et le capital, de Andreas Malm (éd. La Fabrique)

L’homme, la faune sauvage et la peste, de Serge Morand (éd. Fayard)

Etat d’urgence technologique, de Olivier Tesquet (éd. Premier Parallèle)

La société de vigilance, de Vanessa Codaccioni (éd. Textuel)

L’arbre-monde, de Richard Powers (éd. 10/18)

Covid-19 : une crise organisationnelle, de Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu (éd. Presse Sciences Po)

Suivi pharmacologique, effets indésirables (ANSM)

Rapport sur les maladies infectieuses émergentes

Synthèse des études cliniques des vaccins

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Les commentaires (2)

  1. Bravo pour cet excellent travail, exhaustif, sourcé, et scientifiquement fondé. En espérant qu’il sera lu et partagé par beaucoup, pour avoir des idées plus claires sur la situation. Merci pour ce travail de qualité et de salubrité publique.

  2. Article très long mais heureusement passionnant.
    Puisse t-il être lu par nos dirigeants.