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[DOC] Murs Blancs, Peuple Muet

Publié le | par

Moeen, Ismat et Hafedh sont trois graffeurs tunisiens. Invisibles, ou presque, avant la révolution de janvier, ils ne cessent « d’attaquer » les murs vierges depuis le départ du président Ben Ali. Au gré de leurs interventions et de leurs « attentats » artistiques, une question revient : « Si Ben Ali n’existe plus, tout est permis ? ». Dounia Georgeon, jeune cinéaste franco-tunisienne nous a proposé son documentaire à la rencontre des artistes tunisiens, filmés dans les espaces nus, les maisons abandonnées, et les lieux vacants devenus les terrains de jeux des graffeurs.

Pionniers du tag

D’origine franco-tunisienne j’ai déjà été amenée à filmer en Tunisie en 2005 pour les besoins d’un premier court-métrage documentaire sur la condition des femmes. A cette époque la plupart des personnes interrogées pointaient l’absence fâcheuse de volonté de changement de la société tunisienne (femmes et hommes confondus). Aucun combat ne semblait en vue, aucune revendication ne semblait en latence. Et pourtant…voilà que le 14 janvier des hommes et des femmes renversent, après un mois de révoltes, le président Ben Ali que l’on croyait indélogeable. Immédiatement, les langues se sont déliées, les pancartes se sont élevées dans le ciel, et les pinceaux ont couru sur les murs marquant au fer rouge la Casbah du fameux slogan de la révolution de janvier : « DEGAGE » en lettres capitales. En quelques heures, le mur de la ville historique était recouvert d’inscriptions en tous genres : « Liberté, révolution, vive Allah, Laïcité, Ben Ali a fui… ». Les revendications islamistes côtoyaient les inscriptions gauchistes, les insultes, les mots d’espoir. Et au milieu de toutes ces inscriptions écrites à la va vite, quelques fulgurances colorées : un graffeur ça et là avait apposé le visage de Ben Ali et l’avait barré d’une croix sanguinolente, un autre y avait posé son « blaze » à côté d’une poupée vaudou à la bouche cousue, symbole de la répression benaliste.

Ce tableau amateur, présence matérielle de la vox populi, mettait en lumière une nouvelle forme d’expression que la plupart des tunisiens pratiquaient sans le savoir : le tag. La réappropriation de l’espace public par l’inscription. Selon moi, cette forme d’art urbain était inextricablement liée à la politique et la revendication sociale. Mais les graffeurs professionnels, comment percevaient-ils cette soudaine démocratisation de l’inscription vandale ? Les tags en 2005 ne semblaient pas exister aux yeux de la population, moi-même je n’en avais jamais vus. C’est pourquoi je me suis assez vite interrogée sur l’aspect profondément instinctif de la chose tout en l’opposant aux inscriptions telles qu’on peut en voir dans les territoires occupés de Palestine (des gens inscrivent chaque jour sur les murs les noms de proches emprisonnés les uns à la suite des autres). La situation en Tunisie n’était pas comparable. A partir de cette curiosité j’ai donc voulu rencontrer les pionniers de cet art urbain : et j’ai trouvé Meen et Sk One des artistes d’à peine 25 ans ; autant dire que le graffiti était un art neuf en Tunisie.

6 mois après la révolution, ces artistes urbains se sont trouvés face à des murs vierges, parfois un peu trop hauts pour eux : ils se sont posé des questions nouvelles. Peut-on graffer partout, n’importe quand, tout le temps ? La fin de plus de vingt ans de dictature a fait souffler un vent de liberté sur l’espace artistique tunisien, c’est indéniable, mais il a aussi apporté avec lui une certaine confusion. Qu’est-ce qu’être artiste dans une société comme celle-ci ? Quel est le poids des traditions, de la religion dans l’art vandale promu par les artistes de la rue? Quel sens donner à l’espace public dans un pays qui a connu la dictature ? A travers les portraits croisés de trois graffeurs tunisiens, nous avons approché la dimension politique du graffiti.

 

Sur la route du Nord


Les graffeurs sont, par définition, des artistes en mouvement, en mobilité constante, à la recherche de nouveaux  « spots » et de murs blancs. Si les déplacements étaient difficiles et très calculés sous Ben Ali, les murs vierges sont aujourd’hui disponibles et certains endroits sont désormais stratégiques pour les graffeurs qui visent l’éveil des consciences. Un autre travail les attend désormais : le graff civique. Pour eux, après la révolution, tout reste à faire. C’est donc à bord de leur petite R5 que nous avons embarqué durant l’été 2011 et que nous avons sillonné le nord de la Tunisie. Les transports publics étant encore vétustes et aléatoires dans le pays, les graffeurs considèrent la voiture comme un outil de travail indispensable, notamment pour aller dénicher de nouveaux spots et pour éclairer leurs œuvres lors de leurs expéditions nocturnes. Nous avons parcouru le nord du pays avec eux selon la « cartographie » qu’ils ont imaginée. Après avoir « attaqué » un peu partout la Tunisie ils comptent se rendre dans le sud du pays et en Libye.

Dans le tiers-monde tout est politique »


Trois personnalités, trois choix d’art urbain : Meen, Ismat et Sk One. Au centre du projet, Moeen Gharby alias Meen, qui tient le discours le plus radical sur le graffiti. Il a été arrêté il y a cinq ans pour avoir continué à taguer le visage de Che Guevera à Tunis, malgré les menaces qui pesaient sur lui. Depuis le 14 janvier il fait partie du collectif ZIT mais il est à l’initiative d’un sous-groupe anonyme «hardcore» qui mise sur un discours «trash» et subversif. Les autres ont décidé de ne pas le suivre dans cette voie. Nous nous sommes donc concentrés sur ce personnage qui travaille à l’encontre du tout ensemble sans faire l’impasse sur les discours plus modérés de ces deux acolytes.

Meen

 Je fais du graffiti hardcore »

Meen explique que, pour sa part, les limites morales n’existent pas en art urbain : sa prochaine intervention ? graffer une mosquée. Il exprime sans détour sa haine envers la police invoquant même la langue anglaise avec un fort accent tunisien « all cops are bastards » «en anglais, comme ça on peut être compris par tout le monde » précise-t-il. Le but pour lui est donc d’être visible, le graffeur a aujourd’hui une mission civique à accomplir : il doit inciter les tunisiens à aller voter. Le plus grand graffiti qu’il a réalisé à ce jour recouvre une majeure partie d’une station ferroviaire près de Radès (au sud de Tunis), un tag de 20 mètres de longueur appelant les tunisiens à la lutte, toujours (sur le mur est inscrit une phrase de Bob Marley « Fight for your right »).

Son style de graffiti est d’ailleurs plus incisif que celui des autres graffeurs du ZIT: il s’exprime au moyen de chocs visuels (il mêle allégrement les couleurs primaires pour créer une surprise). Son style est vif, nerveux, et son blaze, revendicatif. Et lorsqu’on lui demande si l’acte de graffer dans des maisons (autrefois habités par les ennemis : belle famille de Ben Ali) fait encore partie du « street art vandale », il n’hésite pas à « balancer » précisant que pour lui les espaces fermés ne sont en rien des « refuges créatifs » (contrairement à ses acolytes du ZIT) mais seulement des terrains de jeux pour pouvoir faire mieux à l’extérieur…

 

Ismat

Certains murs méritent le respect »

Ismat a une vision du graffiti assez proche de Meen mais ne tolère pas que l’on touche à la religion. Pour lui les murs blancs ne se valent pas : certains « méritent le respect » comme ceux des mosquées. le ZIT est, selon ses dires, un groupe d’artistes aux aspirations diverses voire opposées mais qui lui permet de se faire un nom. Tout ce qui est politique, engagé, revendicatif, il le garde pour ses sorties en solitaire ou aux côtés de son acolyte, Meen. Pour lui il faut bien séparer ce qui est de l’ordre du privé (qui recoupe selon lui son engagement politique et ses valeurs morales ou religieuses) et le travail public, voire commercial que promeut le collectif constitué après la révolution.

Sk One 

 La révolution nous a ouvert des portes,
maintenant je peux manger grâce au graffiti »

 

Si Meen et Ismat privilégient depuis la révolution les grands spots, les graffitis de Hafedh Khediri alias Sk One sont d’un tout autre acabit. C’est souvent au moyen de « flops » (tags aux formes arrondies) qu’il s’exprime et « pose son blaze ». L’expression plus douce provoquée par ses peintures est en adéquation avec son discours beaucoup plus mesuré que celui des deux amis. Question d’âge ? Pas seulement…Sk One dit ne plus être intéressé par le graff vandale qu’il a essuyé de longues années lorsqu’il était adolescent. L’urgence, il connaît. Maintenant ce dont il rêve, c’est de pouvoir travailler tranquillement, disposer de temps pour réaliser de « belles choses », c’est pourquoi les maisons des Trabelsi sont, selon lui, des endroits idéaux pour pouvoir réaliser ce qu’il nomme désormais « des peintures sur murs ». La révolution a permis à l’art de rue de se développer mais surtout de se commercialiser : Sk One vend des toiles, dessine sur des baskets qu’il vend ensuite à des marques, réalise des logos, organise des performances pour des institutions… Si la rue est devenue un business depuis bien longtemps en Europe et aux Etats Unis, elle tend à le devenir en Tunisie mais le phénomène est encore neuf. Dans cette perspective, Sk One souhaiterait que le gouvernement crée des espaces dédiés au graff « décoratif », et qu’il puisse ainsi montrer ce qu’il sait faire et s’exporter, en toute liberté et surtout, en toute légalité.

 

MURS BLANC, PEUPLE MUET

Un documentaire de Dounia Georgeon
Durée : 16 minutes

Cadre : Alexandre Funel
Montage : Alexandre Funel
Son : Adnen Meddeb
Mixage : Antoine Harrewyn
Assistance réalisation: Amal Sall

autoproduction – 2011

À propos de l’auteur

Après des études de lettres et un an au sein de l’entreprise AlloCiné, je décide de réaliser mon premier documentaire à la suite de la révolution tunisienne. Décidée à m’engager dans cette voie, j’intègre la Fémis en septembre dernier. Parallèlement à cette formation, je prépare plusieurs projets de documentaires dont l’un a trait aux femmes prostituées en Tunisie.

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